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Rechercher : Point Ephémère

  • Moeno Wakamatsu, Gyohei Zatsu - chronique d'une rencontre annoncée

    Est-ce bien un ange, blanc de lumière, qui yeux clos rêve? Un ange blafard et torse osseux à se briser, qui déploie lentement des bras aux manches telles des ailes démesurées puis qui se replient en dedans?

     

    Dés cette apparition s'installe une tension souffle coupé pour ne plus se relâcher, en un équilibre douloureux dans chaque mouvement appuyé sur la pointe des pieds. Tout au long du parcours accidenté, le temps se distend comme le corps de Moeno, jusqu’à l’immersion finale dans le vin. Absolu don ou abandon.

    Rien de faux, rien de vulgaire, rien de déplacé, rien d’inutile, rien d’insignifiant.

    On se souvient de Yumi Fujitanidans Kao, explosant en violentes éruptions. Ici tout reste retenu, intense et intérieur, au bord de la rupture, pour nous tenir en suspend.

     

    Difficile, après cette Annonciation, de reconstituer des réserves de concentration pour communier medium_002.jpgavec le danseur Gyohei Zaitsu, qui nous dit -"Il y a de l'amour". Ancré dans la tradition, campé au sol, mime triste et abstrait, d’une humanité travestie, pour une danse grotesque et tragique qui refuse toute facilité.

     

    Deux jeunes artistes pourtant d’une grave maturité, qui distance de très loin l’énergie encore brouillonne d’ In Between.

    C’était bien sur à l 'Espace Bertin Poiré.

    Et ce soir encore, pour le festival qui s'enchaîne jusqu’à la fin du mois.

     

    Guy

     

    P.S. Il semble qu' on reverra Gyohei Zaitsu, ainsi que Maki Watanabe et d'autres dans une création de Karry Kamal Karry au Café de la Danse les 29 et 30 juin

  • Danses en forme- partie 4

    A quoi sert la danse ? A extraire la beauté de là on ne serait à priori pas venu la chercher, avec des interprètes à mille lieues du petit monde chorégraphique, à changer notre regard sur eux…  Ce soir, aux mouvements des danseurs professionnels (dont Mai Ishiwata, vue chez Carlotta Ikeda et Tatania Julien) se mêlent et se fondent ceux de deux patients d’hôpital psychiatriques. Un homme mur, une femme corpulente à l’extrême, leurs corps bien loin des canons de l’esthétique. On pourrait craindre un spectacle de charité, considéré d’un regard faussé de complaisance….

    danse,point ephemere

    Il n’en est rien. Question de délicatesse dans l’approche, surtout d’honnêteté. L’inspiration du spectacle vient du vécu des interprètes, leur besoin d’expression, canalisés par le travail en commun. Les échanges avec les professionnels respirent une fraternité contagieuse, qui font s’estomper les écarts en termes techniques. Les enjeux du spectacle se déplacent, s’adoucissent, s’humanisent. La gaucherie devient grâce et vérité, les contrastes entre raideur et souplesse se résolvent dans le jeu et la tendresse. La grosse femme devient centre du monde, rassurante et consolatrice, force élémentaire. L’homme incarne une belle innocence dans des courses champêtres. Tout se rassemble et culmine dans une ambiance de fête populaire. La pièce, bien nommée, s’intitule Vie, un appel à nous réconcilier avec nos corps, avec nous même. Ils nous rendent heureux.

    C'était Vie (travail en cours) de Claire Durand-Drouhin et la compagnie traction, vu dans le cadre du festival petites formes (d)cousues à Point éphémère.

    Guy

    Photos avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Double duo

    Reliés du coin de l’œil: Claude Parle à l’accordéon monumental, Piersy Ross à la guitare et toutes ses pédales tissent ensemble un tapis dissonant d’improvisations, un tapis volant, déchiré sur des sables mouvants. Ils lâchent des décharges électro-acoustiques- ça tangue et frappe à l’estomac- comme autant d’encouragements, de provocations.

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    Vers les corps sur le fil de Yuko Kominami, débarquée du japon, plutôt en dedans, traversée, vers le bas, prostrée, et Marianela Leon Ruiz qui s’étend plutôt vers le haut, mais dans toutes les directions, yeux ouverts et curieux, incontrôlée, à tâter les limites, et aller gratter partout, plutôt toucher que croire, bousculer. On se fait tout petit sur son siège, puis on respire: elle passe sa curiosité sur sa chaise, et comme pour tout jusqu’ à l’excès.

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    Yuko a des tremblements de bête blessée et tout vient des profondeurs, à son rythme elle se déplie. Fatalement- le lieu n’est pas si grand- la rencontre entre elles deux a lieu. Un choc lent, asymétrique, délicieusement bancal: c’est Yuko qui subit les assauts de Marianela. En un déséquilibre imprévu, improvisé. Normal: le message, c’est le corps, la liberté. Pas d’intentions mais des urgences. La récréation plutôt que les concepts et corvées. On pourrait encore appeler cela buto, mais le temps de l’appeler la forme aurait changée. Pas de règle du jeu, Marianela s’attaque à Claude, Ça réjouit. C’est la fin, on rit.

    C'était Imprudance avec Yuko Kominami, Marianela Leon Ruiz, Claude Parle et Piersy Ross à Ackenbush.

    photos avec l'aimable autorisation de Claude Parle.

    Yuko Kominami ouvre ce 20 juillet à 19H00 sa résidence à point éphémère (et c'est gratuit).

  • Des bêtes avec âmes

    Juste deux conférenciers aux allures de losers, elle hagarde, lui la barbiche assurée. Avec leur réserve d'images, et un retroprojecteur comme dans une salle de sciences nat' poussièreuse. S'y glissent d'improbables gravures enfuies d'un bestiaire de l'absurde et débodent sur le mur. 

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    Ce cours n'est pas magistral quand les professeurs se muent en sujets incertains, deviennent matière à pensée, spécimens de moins en moins sûrs d'eux-mêmes: "il y a une machine dans ma tête qui prend toute la place et je ne sais même pas comment elle marche". Le couple se chahute, s'invective avec une cocasse obscénité, et des noms d'animaux. Mais les mots se jouent d'eux. La science déraille et s'égare, poétique et brinquebalante, devient méthode à réver, à déclasser et à juxtaposer les opposés. Les images sortent de l'écran et de nos cadres mentaux: de drôles de bestioles inattendues, mutantes et merveilleuses, les points de vues renversés et les choses jamais ce qu'elles semblent. C'est poétique et un brin mélancolique, les enfants rient beaucoup. Les mots flous, sans dessus dessous, se dérobent, modelés d'une pâte pétillante et colorée. Ils nous font animaux libres et métaphysiques (comme la girafe: bien au dessus de la physique)!

    C'était le Bestiare Animé de Véronique Bellegarde, d'aprés des textes de Jacques Rebotier, au Théatre National de Chaillot dans le cadre du festival Anticodes.

    Guy

    lire aussi: théatre du blog

  • 25 minutes

    Le danseur prend le temps du silence, invente une ligne dans le noir, déroule une bande. Il attend là longtemps, installé dans ce cadre minimal: on est souvent ainsi dans la vie, dans ces moments où l'on s'oublie, soi-même et sa place dans le monde. Et aux autres. Dans la salle il fait noir aussi.

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    Cette image aurait pu être empruntée à tant d'autres chorégraphies: un homme seul, de la pénombre, deux néons. Pourtant, ici plus qu'ailleurs, quelque chose convainc, cela ressemble plus à de l'apaisement qu'à de l'ennui. Le danseur avance dans la conscience de cet espace. Il en prend possession, mais comme à l'envers, démarche cassée, balloté par des hésitations, mu par quelque chose d'extérieur, d'autre. Puis tout devient plus physique, le garçon se lance dans l'action, cri raide comme un I, court, tombe, se couche. La musique se superpose aux mêmes mouvements. C'est tout, à peu prêt. Et donc trés peu réductible au récit. (Le coup du ruban, qui peut à peu envahit l'espace de la scéne: c'est trop vu, on oublie.) Mais le tout est bien comme cela, sans le besoin d'en tirer des conclusions, et l'inventaire des impressions. Bien en soi, en 25 minutes, point.

    C'était Ouvert de Samuel Mathieu avec Christophe Le Goff. Au Théatre de L'Etoile du Nord.

    Guy

    Avis de turbulences # 5 se poursuit du 15 au 17 octobre avec Philippe Ménard, Christian Ubl, Matthieu Hocquemiller.

    photo (droits réservés) avec l'aimable autorisation de l'Etoile du Nord

     

  • Aatt enen tionon à Boris Charmatz

    Représentons-nous un immeuble dont on aurait enlevé la façade, mais où à chaque étage les habitants continueraient à se livrer à leurs activités quotidiennes, comme si de rien n'était. De telle sorte qu'un spectateur au dehors pourrait observer tous ces personnages simultanément, alors même que ceux ci seraient dans l'impossibilité de se voir les uns les autres. Partant de cela, on pourrait comme Perec en écrire un roman(s), ou le danser comme Charmatz. Dans les deux cas on obéirait à un système de contraintes, qui permettrait de mieux libérer la création.

    Dans la cour de l'Ecole des Beaux Arts, cette tour n'a que trois niveaux, et le ciel au dessus. Boris Charmatz au rez-de-chaussé, Fabrice Ramalingon au 1er étage, dans le rôle central- pourtant ingrat- du benjamin. Et, 4 ou 5 mêtres au sommet: Anna Mac Rae. A la disposition de chacun, quelques mètres carrés seulement pour terrain de jeu. La proximité du vide semble reduire plus encore l'espace tout en haut. Toutes ces contraintes posées, on croit d'abord comprendre qu' Aatt enen tionon, à l'instar d' Herses, est une pièce "contre". La verticalité s'oppose à l'habituelle horizontalité de l'espace scénique. Le silence tient lieu de non accompagnement musical- les chansons de P.J. Harvey ne se font entendre que le temps des échauffements des danseurs et de l'installation des spectateurs, c'est un temps pré-spectaculaire et ambiguë. L'isolement des danseurs dans ce dispositif aveugle fait obstacle aux interactions entre eux. La demi-nudité spartiate -T shirt blanc et culs nus- consacre le renoncement au costume... 

    hd2_aatt_enen_tionon_boris_charmatz_06__cathy_peylan.jpg

    Boris Charmatz écrit qu'en proie au vertige, il dut prendre le parti d'occuper la place la plus basse. Et en quelque sorte renoncer à maîtriser ce que ce passait au dessus. Doit-on le croire? La performance n'est pas tout à fait ce qu'elle semble. Malgré les choix radicaux, le désordre n'est qu'apparent. Les danseurs ne se voient pas, mais dansent en intelligence. Le déroulement est strictement structuré, borné par deux garde-à-vous pudiques, avec des moments d'errances, de recherches d'équilibres, de fulgurantes chutes et accélérations. Et de beaux instants de stupéfactions. Trois lunes suspendues délivrent la lumière, par épisodes de sur-exposition et de semi-obscurité. Entre les trois interprètes, il y a des appels et des réponses, d'invisibles communications, de surprenant mouvements ensembles. Chacun tient un rôle, une position. Anna Mac Rae est libre, au dessus de sa tête le ciel et l'infini, tout au loin autour d'elle la nuit et la ville. Elle s'envole dès le début sur la pointe des pieds. Lance haut la jambe, joliment, naturellement aérienne. Fabrice Ramalingon touche son plafond de la main pour éprouver les limites de sa cage. Boris Charmatz, à la base semble comme écrasé, au sol souvent. Jusqu'à ce qu'on constate que, d'un étage à l'autre, les gestes se partagent et s'échangent... mais qu'en raison des positions respectives des interprètes, nous sommes peut être dans l'impossibilité de percevoir ces mouvements en ce qu'ils ont de commun. Pourtant tout est à vue, pas de trucage ni de diversion, nous nous sommes installés, assis, debout, tout autour de la tour dans cette cour, dos aux vieilles pierres, les danseurs ainsi encerclés. Chacun a trouvé sa place, nul n'ose bouger. Toute l'attention est suspendue sur les corps, eux- mêmes contraints par ce dispositif extrême dans leurs derniers retranchements. Archarnés à danser quand même. Jusqu'à l'expression d'une beauté austère et brute. La vraie dance peut exister, en toute sincéré. Abrupte mais rigoureuse. Vive et âpre, mais pourtant exempte de violence: la charge de la nudité s'évapore dans la nuit, et nous ne ressentons aucune crainte de voir l'un de ces acrobates tomber de si haut. Les vulnérabilités s'exposent, mais restent inattaquées. On se sent plus détaché que devant Herses, plus serein, moins en tension, libéré, on renonce aux explications. Ouverts aux espaces dansés où s'engouffre l'imagination.

    C'était Aatt enen tionon crée en 1996, de et avec Boris Charmatz, avec aussi Fabrice Ramalingon et Anna Mac Rae , dans le cadre de Paris Quartier d'été.

    Encore ce soir vers la Grande Bibliothèque, et samedi devant le Théatre de Vanves

    Guy

    Photo par Cathy Peylan d'une représentation passée, avec l'aimable autorisation de Paris Quartier d'Eté

    ....et de jeudi dernier il y a les photos d'Agathe Poupeney... vues du ciel ?

    P.S. : pour faire suite au commentaire sévère du Tadorne plus bas, ci aprés une autre photo, plus dynamique mais sur un plan, toujours par Cathy Peylan :

    hd_aatt_enen_tionon_boris_charmatz_09__cathy_peylan.jpg
    La verticalité doit etre délicate à capter. A regarder les photos prises par Agathe Poupeney jeudi, on suppose que celle ci devait être postée à une fenêtre assez loin: l'inverse du point de vue du spectateur, qui regardait la performance d'en bas, à un tel point qu'Anna Mac Rae sur la plateforme du haut disparaissait parfois de son point de vue.  
  • Tout ça, c'est du cinéma (partie 2)

     

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    Geisha Fontaine et Pierre Cottreau jouent quant à eux, rassurants, au vrai faux documentaire. Pour partir chercher au Japon la trace d’un manuscrit de Spinoza… Et puis quoi encore? Plus qu'au sens propre, l’histoire se regarde à plusieurs niveaux, se goute comme une fantaisie philosophique. Le manuscrit perdu serait un traité d’optique. Il s'agirait pour nous d’exercer notre regard critique, au delà des apparences. Sur la plateau la chorégraphe est pour une fois vêtue selon son prénom, mais nous trompe de robes gigognes. Et plus tard, la Geisha n’est pas celle qu’on croit. Je renonce à m'impatienter, c'est une ballade. La narratrice, bonhomme et complice, nous mystifie. C'est une initiation, mine de rien, un chemin, parcouru à distance sur l'écran. L’enquête policière, de fausses en vrais pistes selon les lois du genre, est prétexte à nous inciter à changer de point de vue, savoir à quoi le monde ressemble vu à l’envers entre ses propres jambes. Les yeux trompent, les morales aussi, les nouvelles perspectives sont moins intenses qu'occasions de sourire.

     

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    C’était Les Yeux dans les yeux de Pierre Cottreau et Geisha Fontaine, vus au Centre National de la Danse dans le cadre du cycle danse et cinema

    Guy

    Photos de Pierre Cottreau avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Anges au delà de l'Amérique

    Les années Reagan, les années sida... la pièce de Tony Kushner se date là, millésimée, mais s'en évade. C'est l'un des points forts de cette mise en scène, de s'arracher à cette temporalité, aux lieux, au final de parler plus des anges que d'une Amérique. Sur un fond de crises: de souffrance, de justice, de spiritualité. Ces personnages, surtout des hommes, essentiellement des homosexuels, sont essentiellement interprétés par des actrices, ce décalage laisse du jeu dès le départ. Une fois solidement caractérisés, le ton juste, ils échappent pourtant à des contours trop nets. Au fil du texte-fleuve, généreux, les lieux surgissent et s'effacent d'un coup de projecteur, éphémères, sans que la clarté des multiples lignes narratives n'en soit troublée. Tant que reste éclairé le plus important: le chemin-assez onirique- que les personnages font vers eux-mêmes, autant vers l'intime que le politique. Et le reste autour bouge sans cesse, tout particulièrement me grisent ces moments où je peux m'égarer entre ce qui tient de la convention scénique et des hallucinations qui guident les protagonistes: de l'apparition du fantôme d'Ethel Rosenberg au diorama mormon. L'un des enjeux majeurs du théâtre est de nous faire accepter de nous déplacer, et tout autant de laisser libres, même ivres, dans ce déplacement.

     

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    Angels in America de Tony Kushner; m.e.s. par Marcus Garzon, vu au Théatre de l'Ecole Normale Supérieure le 24 juin 2017

    Guy

     

  • Après la sidération

    L'état de suspension entre le désir et sa réalisation, l'impossibilité d'agir, voila où errent ces 3 sœurs, lointaines héritières de celles de Tchekhov. Parviendront-elles à s'accorder sur le devenir de la maison bretonne dont elles héritent, pourront-elles construire quelque chose sur ses ruines? Du psychologique, le sujet s'étend au politique. Au prologue, les 3 femmes se voient chacune assigner en monologue un point de vue à incarner, une attitude, face à la vie. Le procédé est classique, mais ici asséné radicalement. Les personnages et situations peinent ensuite à prendre vie, à échapper au piège de la dialectique, malgré le feu du jeu d'acteur, en un contraste bizarre avec un beau décor de ruines très construit et si réaliste. Mon attention peine à résister à un texte roboratif avec d'étranges embardées vers le drame familial. Ou suis-je rétif par principe à ces variations noires sur l'agonie des utopies, préférant croire aux minutes de danses qui peuvent sauver le monde? Je goute pourtant ensuite à une heureuse surprise: voir la pièce se saborder elle-même par des crises de folie, des brusques et brillantes saillies d'humour qui la rendent plus attachante, le texte moins prévisible. Et je pars sur une bonne impression, celles des dernières minutes, quand tout est sauvé par une belle litanie des envies. un feu d'artifice des désirs en une scène libératrice. Cette année allons voter.
     

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    Sidérées, écrit par Antonin Fadinard, mis en scène par Lena Paugam, vu au théâtre de Gennevilliers le 20 janvier.
     
    Guy
     
    Photo de Christian Berthelot
  • Abus dangereux

    Rediffusion du texte mis en ligne le 29/01/2015. Alcool est rejoué à Confluences du 27 au 30 janvier 2016.

    Voir, écouter une telle performance, c’est déjà s’engager. Nadège Prugnard nous force à regarder le texte en face, alors même que l’actrice nous tourne le dos. C’est que cet Alcool est triste, honteux. Il ne guérit ni ne console, du sel sur les blessures. Cet alcool brule. Rien ne tempère ce monologue de l’ivrogne: un texte âpre et concret, ancré, entier, à forte densité. L’excès à l’opposé du bon gout. Le personnage éructe, beugle, fulmine, invective, se vautre. Il se répand en une furieuse musicalité- en cela l’actrice a du inspirer l’écrivain. Mais il y a plus ici qu’un traité de l’alcool, la performance glisse peu à peu du point de vue du personnage à celui de l’artiste, c’est de mots qu’elle nous invite à se saouler avec elle, l’intime et le politique accouplés. Les feuilles perdues jonchent le sol, ces mots luttent d’une autre manière, sensible et grinçante, contre la douleur et l’insoutenable. D'une manière moins toxique que la boisson, mais loin d'être inoffensive. Cette performance engage donc, loin de l’anodin et du cynisme en vogue, et c’est salutaire. Les temps sont durs et rudes: ce qui est tiède n'étanche plus notre soif de sens.

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    Alcool de et par Nadège Prugnard vu à Confluences le 23 janvier.

    Guy

    photo de Daniel Aimé avec l'aimable autorisation de la compagnie