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Rechercher : faits d'hivers

  • Jean Gaudin et la Maison Hantée

    On avait la veille été témoin fasciné de l'apparition/disparition de spectres inspirés d'Emily Dickinson ("One need not be a chamber to be haunted"). C'etait As Far As d'Alban Richard.

    La sensation d'étrangeté flotte ce soir à nouveau, dans le décor renaissance toc et boisé du Théâtre du Ranelagh. L'arrière scène est ouverte sur un désordre défraîchi, comme d'un décor abandonné depuis des lustres. Des bruits hors contexte s'en échappent, et aussi des quatre coins du lieu, voire de partout ailleurs: en coulisse, en arrière vers l'entrée, en provenance des balcons. C'est quand apparaissent quatre individus hagards que l'on peut pour de bon s'inquiéter. Ces personnages sont habillés trop démodés-chic façon tweed années 30- pour être vrais. Ni vivants. Il leur manque une case, manifestement. Ou pire. Démarche raide et saccadée, agités de tics, ils vont droit devant eux jusqu'à se cogner aux murs. Mal barrés. Tournent et sautillent. Leurs regards se perdent vers des objets qui nous échappent. Plus qu'une explication: ils sont possédés. Par des esprits? Si c'est le cas, ces derniers ne tardent pas à prendre possession du reste de la scène: des créatures virtuelles se dessinent en effet en ombres sur les murs. Pour des danses endiablées. Toutes les dimensions du réel et du reste commencent à se télescoper, en un joli désordre.

    Tout cela déconcerte, met un peu de temps à s'installer. Mais les esprits prennent peu à peu le contrôle absolu de la salle. Des petites figures lumineuses et espiègles s'installent sur tous les murs du lieu. Les quatre décérébrés courent animés par des forces invisibles dans les travées, pratiquent des langages inédits, frayent avec les vivants. Ces danseurs ont du être danseurs dans une vie antérieure avant d'être zombies: ils dansent par éclats qui se laissent juste deviner. Heureusement, ils sont plus pittoresques qu'inquiétants, cocasses même. Les esprits deviennent franchement farceurs. Tout finira en un foxtrot endiablé, au son d'une très improbable yiddish swing music. On peut finalement s'habituer à vivre avec les esprits, s'ils sont de bonne compagnie.

    C'était fluXS.2  ♥♥♥  de Jean Gaudin, avec Bruno Dizien, Claudia Gradinger, Anna Rodriguez, Robert Seyfried, au Théâtre du Ranelagh dans le cadre du festival Faits d'Hiver

    Guy 

    P.S.:  une video, ici.

  • Eleonore Didier, entre les gestes

    Aveu1Petit.jpgCe qui ne se produit pas ou qui n'est pas vu est aussi important que ce qui se produit en apparence. En cela, ce solo créé à Lisbonne en 2005 est le digne grand frère de Paris Possible, performance pour un spectateur unique (en principe), mûrie à Point Éphémère l'an dernier. Eléonore Didier, plus qu'elle ne danse, ce soir invente des mouvements inquiets, d'abord en arpentant raz le sol, puis en sauts bas, de la lenteur vers presque la panique, l'espace blanc jusqu'à l'épuisement de celui-ci. 

    Passée debout elle construit l'espace de son regard, crée une forte attente vers la suite. Puis les habits vides de corps, comme dessinant une présence abandonnée, sont soigneusement rangés à terre- pour ne laisser à ce corps que la sincérité du dépouillement. Corps qu'on voit, tout en surface, rien qu'en surface. Lent, mais sans intentions lisibles: qu'y voir après vraiment? Rêver? Répétés, des instants suspendus sont précieux, des arrêts sur images quasi photographiques. La danseuse parvient ici, tout autant que durant les deux heures de Paris Possible, à faire durer quelques moments d'éternité. D'une rare qualité d'immobilité. Pleins de la tentation de l'abolition de la danse? L'"image" suivante a la force et l'incongruité d'un déjeuner sur l'herbe de Manet ou d'un tableau pré-surréaliste: un jeune homme assis immobile et la femme sans vêtements, sa tête cachée, souvent, tous deux d'abord dos au public, tournés vers le mur immaculé. La danseuse passe en revue l'inconfort des positions qu'elle peut avec table et chaise, laissée déjà loin derrière elle sa sobre impudeur. Les arrêts se tiennent en déséquilibre, elle succombe à la chute. A la fin-tendresse?- le garçon sera enlacé.

    Guy

    C'était Solides, Lisboa, de et avec Eleonore Didier, vu à Mains d'Oeuvre.

    Voir les photos de Vincent Jeannot.

    Lire aussi Images de danses, et -la critique professionnelle s'inéressant enfin à Eléonore Didier- Mouvement, l'année d'aprés...Il ne s'agissait pas d'une "création" à faits d'hiver, comme Gérard Mayen l'écrit dans son article, comme peut-être chaque fois qu'il découvre une pièce :-) . 

     

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  • And then, they were three...

    Au Theatre de la Cité internationale, on pourrait s'imaginer dans une salle de concert des sixties, mais en faisant preuve de beaucoup de bonne volonté, et d'un singulier sens de l'abstraction.

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    Une batterie suffit. Installée au centre de la scène, surélevée, en attente. D'abord- puisque Paul serait mort- elle tient la place d'un absent. Surtout est un symbole elliptique et efficace, sans devoir être un instrument, dont on pourrait jouer, vraiment. Qui d'ailleurs se souciait qu'en play-back à la télévision, les groupes d'alors faisaient semblant? Et les trois garçons sans guitare et en mouvement ne cherchent pas à ressembler aux quatre vrais Beatles, plutôt se figent en caricatures grinçantes. Herman Diephuis applique ici à cette matière d'imagerie (pop)ulaire- les pochettes de disques et photos de promo des fab four- la méthode reproductive déjà éprouvé sur les tableaux des maîtres flamands. Essaie d'agencer ces images arrêtées, de pose en pose. Explorer ce qui peut vivre entre elles, quels mouvements. Dans une démarche voisine de celle de Boris Charmatz (50 ans de danse), pour se heurter à certaines des mêmes difficultés. De front et en connivence, de quoi nourrir intérêt ou exaspération, c'est selon. Les cascades s'enchaînent, qui surjouent comme selon les modèles d'époque la joie de vivre, l'excentricité, la rebellion temperée, l'entertaiment à tout prix. Tout en dehors, rien en dedans. Jusqu'à l'épuisement. Les grimaces tentent de survivre au-delà du temps limite, drôles ou lassantes, savoureuses ou ennuyeuses. « Paul est mort ? » est un spectacle triste, forcement. Savoureux également. Qui se médite plus qu'il ne s'apprécie sur le moment.

    Herman Diephuis montre en quoi un concert n'est pas un concert, ou n'est pas qu'un concert au sens où on l'entend. Les gestes du concert disent quelque chose de plus que la musique, ou à coté. S'émancipent. Comme les gesticulations de Xavier Le Roy en chef d'Orchestre n'interprétant pas le Sacre du Printemps. « Paul est mort », c'est la rumeur qui faisait flores parmi les fans à la fin des années soixante. En tout cas ce soir plane une absence. Est-ce une métaphore de l'art sacrifié en commerce, réduit à la promotion? La musique de Lennon et Mac Cartney, omniprésente, répétée, banalisée, saturée, semble du coup absente, désincarnée. Les gestes à force d'appui et de répétition se vident de leur sens, de même que les bruits de foule noient les chansons. Vers la fin: l'échappée. Paul est mort, un deuil enneigé. Un faux Ringo tente un solo, silencieux bientôt, il faut remballer.

    C'était  Paul est mort ? d'Herman Diephuis, au Théatre de la Cité Internationale, avec le festival « Faits d'Hiver ».

    Guy

     photo par Alain Julien avec l'aimable autorisation du T.C.I.

    A lire ici, sur les croisements scène/musique:

    Tracks

    A Love Supreme

  • Un soir à l'opéra

    D'une représentation à l'autre, est-ce notre regard qui change, ou la pièce qui évolue? Souvent les deux à la fois. Entre l'Initio vu avec faits d'hivers au théâtre de la cité internationale en début d'année et l'Initio [live]-titre étrangement rock!- de jeudi dernier à Chaillot, il y a plus que le renfort-apprécié- d'un orchestre et d'un chœur. C'est la danse qui parvient maintenant à s'imposer, en cette convergence compliquée que l'opéra recherche, avec le chant et la musique. Équilibre atteint. En janvier dernier je m'étais plutôt attaché à analyser le livret dans son état d'alors. Je ne lis pas celui de ce soir, absolument pas attentif au détail de la  narration, plutôt juste au thème général et aux émotions reçues. Est ce l'effet de ma stratégie de spectateur, ou plus passivement la conséquence de mon humeur un peu lasse? De toute manière je suis incapable de lire le livret dans le noir, pas plus de comprendre à l'oreille les paroles dans les belles envolées du chant. Il pourrait tout autant s'agir d'une langue étrangère, voire fictive, bien appropriée pour raconter l'allégorie d'un peuple en marche, comme dans une œuvre du groupe Magma. Cette partition, si dure et dramatique, aux angles aigus, a-t-elle changé? Je ne sais. Mais- grande différence avec la première version, les musiciens sont présents, ce qui est sensible non seulement par ce que je reçois de plus intense dans l'interprétation, mais dans leur intéressante physicalité. En janvier le vide traversé dans cette errance des personnages m'avait mis mal à l'aise, ce soir l'espace est intensément peuplé, au commencement par la foule des choristes, encore silencieux mais pour divaguer à quatre pattes- ce qui évoque "La mort et l'extase" de la même chorégraphe. Au deuxième acte, l'orchestre vient sur scène rentrer dans le mouvement, en empathie plutôt qu'en concurrence avec les danseurs , tous ensemble peuple d'artistes au service du sensible. Le rôle de la sibylle est dédoublé: Tatiana Julien danse et Léa Trommenschlager chante mais bien présente, ainsi que le ténor Rodriguo Ferreira. Tous s'engagent dans le mouvement, à l'unisson d'une danse cette fois engagée, d'inquiétude et d'urgence. 

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    C'était Initio [live] de Tatiana Julien (Chorégraphie), Pedro Garcia-Vélasquez (musique), Alexandre Salcède (livret, vu au Théâtre de Chaillot le 30 novembre 2017

    Guy

    photo par Meng Phu avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Unger et Ferron: Short, cygnes, poupées

    A la lecture, les intentions énoncées par les plumitifs d' Etant Donné pour ce Show Case Trilogie paraissent un poil sérieuses et auto-centrées ("Explorer les notions constitutives du spectacle: l'idée de la beauté, l'idée du temps, l'idée de vacuité"). Elles laissent craindre un pensum sur la représentation représentée. Mais, soulagement, les chorégraphes mettent ces intentions sur le tapis avec une fraîcheur bienvenue.

    Démonstration faite avec l'attaque de Let's Dance. Le tapis blanc immaculé apparaît comme un gouffre un peu effrayant dans lequel nos trois danseurs n'osent s'engager, avant de trouver un moyen- joliment enfantin- de d'y risquer. On a vu manière plus ennuyeuse de remettre en perspective l'espace scénique. C'est autant de distance ironique partagée vis à vis de ce qui pourra s'y dérouler ensuite: l'attaque en règle d'un morceau de choix de la matière-répertoire. Tchaikovsky en prend pour son grade, les irréprochables figures classiques en ressortent blessées à mort, même si les cygnes bougent encore. Les décalages sont parfois nets- des gags musicaux dans un esprit cartoon-, parfois installés avec plus de légèreté. Même si on atteint pas les sommets pince-sans-rire qu'ont explorés les Delgado-Fuchs. Mais dans ce jeu, très précis et élaboré, des quatre coins, la jubilation se fait complice. On pense un peu à la phrase de Charles B. (1821-1867) : "Le génie est l'enfance douée d'organes adultes pour s'exprimer".

    En seconde position, Laps est le type même de la pièce urticante. D'un coté il est toujours intéressant de s'intéresser au temps, de l'autre on reste tout de même très loin de Saint Augustin. D'un coté le sous-titre est remarquable-"solo pour un danseur en short"-, de l'autre on se dit, passées presque cinq minutes de course sur place, que les plaisanteries les plus courtes sont les moins longues. D'un coté on a rarement vu sur scène quelque chose d'aussi sublimement laid que les chaussettes rouges et jaunes de Jerôme Ferron, de l'autre l'usage répété de l'aquarium apparaît d'une gratuité assez lassante. D'un coté il est approprié que Ravel soit la seconde victime, avec un bolero qui ne semble ne jamais commencer, de l'autre la performance ne semble pas parvenir à résoudre la difficulté qu'il y a à montrer l'attente tout en s'interdisant de suggérer plus que le commencement d'autre chose.

    De Beauté plastique, on a déja parlé ici l'an dernier de manière raisonnée. Non sans mérite car les belles Frédérique Unger et Emily Mézière n'arrêtent pas de déshabiller, ce qui trouble un peu le recul critique. Mais ce qui ne nous distrait pas, il est vrai, du sujet en lui même: l'expérience de la beauté. La pièce gagne encore en cohérence quand ici elle conclue la trilogie: la saturation de notre espace de vision par les poupées (style) barbies prend une nouvelle force en vis à vis du vide aveuglant du tout début. Et la performance en froide efficacité: cette fois pas plus de 3 poupées renversées. La pièce persiste à être la plus construite et équilibrée des trois, et même la plus féroce. Pour autant  l'ensemble reste cohérent et ludique. Quitte sans doute à risquer, pour cette raison même, plus d'un procés en superficialité et insignifiance... Acquitté!

    C'était Show Case trilogie: Let's Dance..., Laps (solo pour un danseur en short), et Beauté Plastique, de et par Jérome Jerôme Ferron et Frédérike Unger (Etant Donné), avec aussi  Emily Mézières, à Micadances, avec le festival Faits d'hiver

    Guy

  • la mort et l'extase

    La version de 50 minutes de La Mort et L'extase est crée ce soir et demain à Micadanses en cloture du festival Faits d'hiver. A cette occasion, voici la rediffusion du texte mis en ligne le 15/5 aprés la création de la première version.

    L'obscurité règne d'abord dans cette salle enfouie profonde, entre attente et chaleur. Enfin émerge un être que l'on voit nu et que l'on ressent desespéré. Il évolue lentement à terre, accablé, suivi d'un autre, de cinq, de dix, bientôt multipliés à vingt, trente, quarante, aux formes d'hommes et de femmes qui s'insinuent par tous cotés, envahissent et saturent la scène en un tableau halluciné...

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    L'audace, l'ampleur et la crudité de cette entrée en matière suffisent à élever la pièce à un rare, même périlleux, niveau d'intensité. Nous sommes entrainé à un voyage aux enfers, une errance spectaculaire d'âmes en peine, damnées, sans but ni espoir, aux trajectoires perdues et circulaires. Les références à l'art pictural moyenâgeux apparaissent évidentes, d'ailleurs annoncées. On oublie Cranach pour penser à Jérome Bosch. Puis notre regard prend un point de vue plus contemporain, percevant la scène selon notre appréhension des rapports entre religion et culpabilité, entre mort et érotisme, alors qu'une dizaine de parmi les interprêtes se redressent peu à peu pour jouer les figures de la souffrance et de l'extase. Danseurs et danseuses se montrent traversés de décharges de plaisir et de douleur, leurs émotions manifestées par grimaces et torsions, travaillés par des entêtements ostensibles de peines et de jouissances, se flagellent et s'abandonnent contre les murs en poses offertes, tableaux que les miroirs découverts au fond de la scène tentent de prolonger à l'infini. La ronde des âmes nues, têtes baissées, continue ininterrompue, les danseurs prisonniers de leurs cycles, condamnés à répéter les mêmes séquences terribles à l'inifini. Au dessus de ces enfers s'éleve la musique de Vivaldi, magnifique, interprétée d'une voix de castrat issue d'un corps inerte porté par des corps nus. 

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    Avant que la voix ne se taise: la pièce ne dure que 25 minutes. Il faut ici exprimer un regret: le temps est compté. Au milieu de cette masse de corps circulants, on peine vite à organiser son regard et à suivre le propos des solistes. Le dispositif, si formidable au départ, gêne ensuite la perception de la progression de la pièce. On reste avec le sentiment que le sujet si riche est survolé, sans le temps de la dépasser...sans doute inévitablement, s'agissant d'une courte proposition et de la part d'une toute jeune chorégraphe. On souhaite que cette pièce, déja si furieuse et audacieuse, mais à l'étroit dans ce format, trouve bien des développements ultérieurs.

    C'était La Mort et l'Extase de Tatania Julien, présenté à Micadanses dans le cadre de la Soirée CNSMDP.

    Guy 

    Photo de Laurent Pailler avec l'aimable autorisation de Tatiana Julien, d'autres photos ici.

    lire aussi critiphotodanse

  • La convergence des arts

    Affirmer ici que les arts dialoguent, ce serait exagéré. Bien sûr, de tous temps, la danse a inspiré la peinture, mais danser dans un musée n'a jamais fait réagir une fresque de Matisse. Même, à sens unique, je peine souvent à lire l'influence des œuvres plastiques sur le geste chorégraphique que je vois vivre devant elles. Pour autant, la situation, l'inattendu de la juxtaposition provoque de la jubilation, autorise le regard à rêver où il veut, créer des correspondances, peut-être.

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    S'agissant de la pièce en sept morceaux d'Anne Vigier & Franck Apertet, la filiation est évidente et revendiquée, avec la photographie In voluptate Mors de Philippe Halsman, où l'on voit Salvador Dali devant sept corps nus qui figurent ensemble une tête de mort. Nous pouvons ce dimanche, durant un temps sans repères, suivre les étapes de la reproduction de cette vanité en un tableau vivant dans les salles du Musée d'art moderne de la Ville de Paris. L'œuvre originale est d'abord décomposée. Les danseurs, séparément, répètent ad nauseam des poses fragmentées, sous les indications des chorégraphes. Mais est-ce une véritable répétition, où déjà une représentation tout du long ? Je perçois une dynamique sans rupture dans cet ensemble d'actions, alors que les danseurs s'isolent ou se rassemblent, se dévêtent ou se rhabillent, migrent de salles en salles. Ils s’efforcent de parfaire la continuité d'un mouvement même durant les labs d'immobilité. Cet entêtement obstiné, sec, témoigne d'une absolue indifférence aux œuvres picturales croisées alentour-on ne peut écrire "rencontrées"- autant qu'aux spectateurs. L'action se joue malgré, contre le lieu, en contraste. Juste une situation. Dans ce spectacle, donc, s'impose comme argument (inattendu dans l'espace public) une nudité calculée, jeune et souple, qui se dévoile progressivement, et jusqu'à son intégralité au moment de la résolution lorsque la figure s'assemble sous le regard vide des danseuses de Matisse, pour alors démontrer qu'il y a plus dans l'ensemble que la somme des 7 parties. Le grand intérêt de la performance est d'organiser la mobilité du visiteur/spectateur- venu ici à priori voir les œuvres du musée. Il peut suivre les danseurs de salle en salle ou les dédaigner. Sans désir préalable, tout l'éventail de ses réactions est potentiellement suscité, de son intérêt et sa curiosité jusqu'à sa fascination où son indifférence, en passant par son amusement. La performance prospère sur les oppositions et les ambiguïtés : sujet morbide et performeurs vivants, allers et retours entre les parties et le tout, espace d'exposition ou de spectacle, répétition ou représentation, plus généralement déconstruction des normes de représentation. Rien d'étonnant puisqu’il s'agit du projet d'ensemble des chorégraphes, qui les mène parfois à des extrémités exaspérantes comme j'ai pu en témoigner dans le livre consacré aux 20 ans de Faits d'hivers, mais c'est une autre histoire...

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    Dans le même lieu, la proposition d'Héla Fattoumi & Eric Lamoureux, en compagnie du compositeur et interprète suédois Peter von Poehl, est plus statistique, plus lisible, et non moins intéressante. Ces soir devant les danseuses de Matisse, avec la rencontre des deux chorégraphes et d'un trio soft-rock, Sympathetic Magic met à contribution trois arts (quatre en comptant les objets réels et vidéos de Claire Willman). Mais c'est avant tout d'un concert dont il s'agit, autour duquel les autres arts s'agencent. La musique, pop anglo-saxonne aux couleurs early seventies, chantée haut perchée, alterne détentes mélancoliques et relatives tensions qui s’exacerbent mais sans jamais sortir ds rails, avec le soutien binaire du percussionniste Antoine Boistelle et aérien du bassiste Frédéric Parcabe. Plus de douceur et de subtilité mélodique que de bruyante catharsis. La danse de Fattoumi et Lamoureux, souple et déliée, est d'une admirable modestie. Souriante, elle s'inscrit en commentaire de ce concert, avec une même délicatesse. De trouvailles en trouvailles, les interprètes jouent avec les accessoires lumineux dans une déclinaison low cost de l’incontournable light show, se prêtent avec humour au rôle de choristes. En parfaire harmonie et synchronisation avec le mood musical. On pourrait ainsi s'imaginer ado dansant gracieusement dans sa chambre, le vinyle préféré tournant sur la platine, intensément pénétré de toutes les sensations musicales et un moment indifférent à la marche du monde.

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    C'était, au Musée d'art moderne de la ville de Paris, Pièce en sept morceaux d'Annie Vigier et Frank Apertet vu le 11 février 2018, et Sympathetic Magic de Peter von Peohl, Héla Fattoumi & Eric Lamoureux, vu le 29 mars 2018.

    Guy

     PS: A la la réflexion, il y a des rencontres ou le la peinture fait corps, et le corps se fait peinture, et la musique vibrations avec le tout, ainsi ici avec Bernard Bousquet, Eleonore Didier , Jean François Pauvros au Générateur:

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  • 6 fois Loretta Strong

    Dernière semaine pour le festival de Gare au théâtre , le programme d'hier soir (et qui se répetera jusqu'à dimanche) ne pouvait pas laisser indifférent.

    medium_nip06alpe.jpgOn a d'abord tendu l'oreille pour écouter "Alpe! Alpe! ou le cri du cochon dans la nuit d’hiver" de la compagnie Etcha Dvornik. Mais sans parvenir à entendre quoique ce soit d'intelligible. On s'est juste trouvé rétrospectivement bien sévère d'avoir jugé, dans le même lieu, Murmurs trop confus. Au moins la pièce de Furymoon avait-elle ses moments.

    Ici rien qui tienne debout et pourtant tout y passe: récitatifs graves et d'une naïveté désarmante, déhanchements douloureux, danse en transe, effondrements tragiques, visites dans les rangs du public, heurts contre les murs, entrées et sorties incessantes, accessoires à la pelle-pelles justement, râteaux et brouettes à volontés comme en fin de soldes au B.H.V.-, nudité intégrale comme par obligation syndicale, perruques et déguisements sans sens, effet de fesses et de seins, courses interminables et bruyantes perdues en fond de scène- le plateau de Gare au Théatre est hélas assez grand pour inspirer aux chorégraphes toujours les mêmes facilités- bref tout le bric à brac de la transgression convenue, et tout cela sans une seule fois nous surprendre.

    Heureusement le temps fait tout oublier: on retrouvera sûrement à la rentrée l'envie de voir de la danse. 

    On poursuivait avec la Tentative Intime de Sabine Revillet, laquelle avait mobilisé pas moins de cinq metteurs en medium_tentative_intime.2.jpgscène pour son projet. Qui consistait à adapter ses journaux intimes écrits depuis l'âge de douze ans. Pour confirmer ce que l'on a pu déjà souvent constater: dés qu'on voit écrit le mot "intime"s'agissant d'un spectacle, ce n'est pas très bon signe. Car, malgré tous nos efforts pour accepter nous aussi la naïveté assumée du concept, moins de vingt quatre heures après avoir entendu un texte de Montherlant, le contraste était cruel.

    Cela dit, on souriait quand même. On appréciait la distance ironique que l'actrice établissait avec son auto-sujet, et dans le même temps l'empathie qu'elle suscitait. On saisissait de bon coeur les rubans de robe qu'elle nous tendait. En un mot on se laissait émouvoir. Mais sans réussir à entrevoir, quoi que soit d'universel. 

    Heureusement à 20 heures, décollai(en)t Loretta Strong.

    La medium_affiche1.gifLoretta Strong de Copi (1940-1987),mais au pluriel, en la personne de 6 actrices à la fois, pour saisir ensemble le rôle à bras le corps et l'agiter en tous sens, le répandre sur le plateau membre par membre. En une folie démultipliée, en une hystérie croissante, version cours de récréation après que les enfants aient étranglé les surveillants, pour nous faire partager une heure de terrible régression.

    Car la troupe- Infraktus-, en une surenchère parfaitement réglée de ballons en plastiques, de bruitages, de hurlements, d'éructations, de contorsions, de chewing-gums, de positions grotesques, de mimiques appuyées, de tirs de pistolets jouets, réussit à situer la pièce à sa juste place: dans le domaine de l'enfance.

    L'enfance des peurs indicibles, de la peur de se perdre, celle du sexe, de la mort, de la dévoration, de la mutilation. Transposées en aventures spatiales, grotesques et obscènes, de Loretta Strong, perdue dans un espace paniqué où tout s'effondre et disparait en de sanglantes explosions. Jusqu'en dernier son corps. Tout cela suscite medium_63533.jpgun ricanement qui s'étrangle dans la gorge.

    Mais pourrait il en être autrement? Les histoires que nous racontent les enfants ne nous font jamais rire, et celle là encore moins. Surtout ce soir parfaitement mise en mouvements, en une performance physique étonnante et tout à fait maîtrisée. Et on a eu personnellement le plaisir d'être affublé quelques instants de la perruque verte de Linda. On était content, car on avait rien porté de tel depuis mai 1986. Mais il s'agissait d'une autre soirée, évidemment...

  • Les cinq premières minutes

    C’est la fin d’un monde… ou la fin des études.

    Dans un cas ou dans l’autre, une mutation, vers autre chose? Que faire des cinq dernières minutes? Se jeter dans un défi, rechercher ses limites? Accomplir un acte de foi ou de désespoir, d’amour, de solidarité... voire de rigolade? Ce soir, les jeunes circassiens de la 23° promotion du Centre National des Arts du Cirque proposent leurs réponses en spectacle. En paroles, et en se donnant à voir chacun dans l’exercice de son art: corde, mat, tremplin, acrobaties au sol….  C’est une contrainte lourde à respecter pour le metteur en scène David Bobée (lui juste d’une dizaine d’année moins jeune que les interprètes), de lier tous ces « numéros » autour du thème central. Musique omniprésente, belles lumières, scénographie étudiée: il fait le choix clair de la théâtralité. Quitte à s’approcher- il me semble- de la surcharge sentimentale dans le spectaculaire.


     

    Il réussit pourtant à révéler par mots et gestes une part de la personnalité de chaque interprète, de leur vérité. Je ressens toujours de l'émerveillement devant les prouesses. Mais m’intéresserais-je vraiment aux évolutions de cette jeune femme sur cette corde verticale, si je n’avais prêté avant attention aux doutes qu'elle dit à l’heure du saut vers l’inconnu, à sa fragilité? Elle s’élève, tente d’échapper à la pesanteur, à cette fatalité, glisse tout le long comme s’étant abandonnée, laisse deviner que la chute pourrait être désirée. Le risque prend un autre sens. Apprécierais- je l’énergie et la jovialité de ces deux acrobates au sol, l’un bavard, l’autre sourd-muet, s’ils n’avaient d’abord manifesté d’un geste éloquent que la fin du monde, ils n’en ont vraiment rien à taper! Une autre jeune femme éperdue demande à haute voix: «si j’étais la dernière femme et tu étais le dernier homme, que me ferais tu maintenant ?». Avant de s’envoyer ensemble en l’air, sur le tremplin. Les artistes viennent des quatre coins d’un monde, qui comme le plateau semble tourner trop vite, les projette au bord du déséquilibre. Le temps, inversé et angoissé, passe en compte à rebours, avant une possible catastrophe, qui mettrait tout sans dessus-dessous. Ce plateau ressemble aux pièces d’un appartement, lieu de vie sans cesse bouleversé mais qui permet à tous de se réunir pour dessiner en collectif le portrait d’une jeunesse inquiète et fragmentée, avec ses rencontres, ses foules sentimentales et ses solitudes: des amis autour d’une table, un couple qui s’enlace, se dispute… Sur cette planète Mélancolie, l’avenir est leur mais tout à inventer.   

     

    Même sujet, mis en scène à l’opposé. Michel Schweitzer, 53 ans, donne le plateau et la parole à des jeunes amateurs autour de 18 ans, dans leurs derniers temps du passage de l’adolescence à l’âge de jeune adulte. Schweitzer assisté d’un comparse et D.J., se place dans la posture d’un animateur bienveillant et paternaliste. Pour aussitôt mettre en scène l’ambigüité manipulatoire de sa propre position. Il propose aux interprètes de structurer leur spectacle autour d’un abécédaire rédigé par un philosophe. L’un des jeunes refuse aussitôt ce cadre imposé, préfère donner la priorité à ce que lui suggèrent ses propres intuitions, même confuses. Ce qui suit prend dés lors l’apparence d’une prise de pouvoir improvisé, d’un  dialogue en forme de rapport de force permanent entre les générations pour la maîtrise de l’expression. Sur deux pendules les minutes s’écoulent  à des vitesses différentes, suggérant un fossé qui se creuse. Au prix de longueurs et de fluctuations de notre attention, sur scène tout semble possible.

    Le groupe, avant toute véritable prise de parole, préfère chercher énergie et cohésion dans un temps de danse techno, se rassemble en une grappe dense et hédoniste, quitte à laisser le public de coté. La scène est foutraque, lumières allumées dans la salle, conventions spectaculaires refusées. Les jeunes tiennent l’espace du plateau par le nombre, le dj propose et négocie, Michel Schweitzer garde le contrôle des écrans pour délivrer suggestions et messages. Les jeunes s’expriment quant à leurs préoccupations, alternent sujets pratiques et existentiels, abordent questions sentimentales et sexuelles avec un mélange de franchise et de pudeur. De l’effronterie et de l’inquiétude, un maintenant crâneur et des lendemains incertains. La prise de parole est collective, bousculée, en jeu de ping-pong, sans complaisance, souvent sur un mode de dérision. Les antagonismes et manifestations d’incompréhension s’expriment tout autant entre eux qu’avec les vieux. Ils se rassemblent par la musique, la danse et la chanson, mettant en pratique les « talents particuliers » pour lesquels ils ont été sélectionnés. Par transitions en demi-teinte, l’effet Starac’ est évité. Leurs performances sont encore jeunes, mais émouvantes dans ce contexte, par ce qu’elles disent de leur devenir. Leur prise de risque trouve son écho dans les discussions, et l’urgence qu’ils expriment de trouver leurs les limites. Cette proposition surprenante s’achève par l’expression du dilemme qui résume leur difficulté à être au monde: le choix entre un cynisme prématuré, et un enthousiasme idéaliste. Je suis alors interpellé par la posture de Miche Schweitzer, plus proche de ma génération, qui feint alors un attendrissement détaché l’impuissance à se souvenir de sa propre jeunesse.

    C’était This is the End, spectacle de fin d’études des élèves de la 23° promotion du Centre National des arts du Cirque, mis en scène par David Bobée jusqu’au  12 février à l’espace chapiteaux de la Villette


    Et Fauves mis en scène par Michel Schweitzer au théâtre de la cité internationale jusqu’au 31 janvier dans le cadre de Faits d’Hiver.

    Guy

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    à propos de David Bobée

    A propos de cirque

  • Quand j'entends le mot culture,...

    Colt python 357 Magnum, carabine a bascule à air comprimé Gamo, Glock 17, Beretta 75 auto KWV, Kalashnikov AK 47, Smith and Wesson 45, alarme portable Prévenson, Taser TW11, bombes lacrymogènes, pistolets jouets à amorce et à bouchon, Sophie la girafe (?), rubboards, plaques tonnerres, sifflets de police, appeaux d'oiseaux, corne de brumes... ce sont quelques-uns parmi la trentaine d'instruments non conventionnels et plutôt menaçants maniés par les musiciens de la création chorégraphique de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, Ne pas toucher aux oeuvres.

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    Pour autant, personne ne peut être vraiment surpris: programmes et dossiers de presse annoncent la couleur. La stratégie d'annonce et de promotion de l'oeuvre met en avant des visuels intrigants et explicites sur ce point: les musiciens mettront en joue autant qu'en jeu les danseurs. Le teasing est efficace, le sujet annoncé fort, et du coup les attentes de beaucoup de spectateurs d'ors et déja aiguisées vers une politisation de l'exposé, vers de potentielles allégories de la situation précaire des artistes dans un environnement hostile...

    Qu'est il fait de ces attentes? La seule que je me suis moi-même autorisée à s'exprimer n'est pas déçue: la pièce-même si l'idée de départ est un peu déflorée par le teasing- dépasse en originalité d'approche et créativité la grande majorité de ce qu'on peut voir sur scène. C'était déja le cas avec Une Piece Mécanique,et les deux propositions ont aussi ceci en commun de remettre en question l'acte de danser: les interprêtes y sont chaque fois placés dans des situations incertaines. Hier contraints de retrouver leur place au milieu des robots en mouvement, ce soir confrontés à des musiciens armés. La danse chaque fois non seulement y survit, mais s'adapte et s'y développe de manière innattendue, par des correspondances inédites avec les composantes du contexte.

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    En commençant par déjouer les attentes trop évidentes. Si les quatre musiciens prennent place d'abord, occupent le terrain martialement, ce sont ensuite les cinq danseurs-parmi lesquels je reconnait Sophie Demeyer- qui commandent de leur gestes les premieres mesures de la musique. Le rapport conventionnel musique/danse ainsi inversé, aussi le rapport persecuteurs/victimes auxquel on aurait pu s'attendre. Tout évoluera de manière ambigue et surprenante, de ces interactions visuelles et sonores entre les deux camps en présence. Oppositions vestimentaires également, entre les musiciens habillés stricts et les danseurs en jean et T-shirt, inversion ponctuelles des rôles par mise en mouvement des musiciens ou appropriation de percussions par les danseurs. On devine, suggérées avec humour à froid, des stratégies complexes, sacrifices offerts et provocations, actions et réactions, regards lourds de sens, rapports de force, toujours incertains et souvent renversés, de suggestion, violence seduction, manipulation...

    Si ce plaisir interprétatif est intellectuel, j'en goute un autre plus esthétique et sensuel, celui liée à la pure musique. Celle-ci est bien sur essentiellement percussive, se joue des contraintes du choix des instruments, garde puissance et expressivité, sur un registre qui s'étend du claquement discret aux détonations plus franches. Toutes les cartouches ne sont pas grillées dés le début, des surprises réservées jusqu'à la fin dans l'utilisation des objets. Les musiciens devant leurs partitions, veillent avec leurs armes à l'exécution de l'oeuvre musicale autant que celle des danseurs. Ou est ce un effet dramatique de mise en scène, cette précision représentée avec beaucoup d'ostensation pour nous faire imaginer par opposition la fiction d'une danse plus libre, laissée à l'initiative de de corps qui ruseraient et s'affirmeraient par rapport à ce cadre rigide? En revanche mon intérêt se laisse distraire aux moments où la musique laisse du répit et la danse livrée à elle-même, moments me paraissant vagues et répétitifs, d'enlevage de vêtements. et ré-habillages. Un troisième niveau m'échappe, mais sans doute sans dommages: de savantes références, musicales et chorégraphiques. Pour moi la jubilation l'emporte pourtant, même si je commets l'erreur de discuter immédiatement à la sortie avec d'autres spectateurs plus réservés, et déçus dans leur attentes, qui auraient préféré une oeuvre plus affirmée dans sa signification. Je dois leur concéder que malgré les armes manipulées ce soir il y a plus de bruit que de danger. Nous avons été prudemment avertis de nous boucher les oreilles si nécéssaire, et aucun spectateur n'a été bléssé durant le spectacle.

    C'était Ne pas toucher aux oeuvres.Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, création musicale de Francesco Filidei, à l' Auditorium Saint Germain, en ouverture du festival Faits d'hiver.

    Guy

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    photo (Pierre Cottreau) avant l'aimable autorisation de la compagnie)