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Rechercher : faits d'hivers

  • Looking for Paco: episode 6

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 6: A la seconde prés... 

     

     

    « Combien ? Bon, tu en mets 8 secondes de plus...non plutôt 10 secondes ! » Surprise: c’est bien Paco qui parle chiffres, avec une précision insoupçonnée, son horloge interne mise au diapason de mesures objectives du temps. On est très loin de ce que je voyais lors des répétitions au studio Blanca Li: mouvements et exclamations, zéro papier. Ces deux semaines, les dernières avant la première de Fresque, sont consacrées à faire coïncider la danse avec les créations de Laurent Scheegans à la lumière, Serge Meyer à la scénographie vidéo, Frédéric Malle à la musique.

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    Tous trois manipulent leurs consoles aux dizaines de boutons et curseurs lumineux, pianotent sur leurs ordinateurs portables, toutes ces machines peu sensibles à la poésie et l’intuition. Ils leur traduisent donc, en langage numérique, les intentions de Paco. Programment, collent, synchronisent, rallongent, raccourcissent, diluent, interrompent, soulignent, truquent, règlent, à la seconde prêt. A la main crayons et papier. Dans l’obscurité de la salle Frédéric porte au front une lumière, comme un mineur de fond. Ils répètent avec les interprêtes, et il semble toujours y avoir pour l’œil et l’oreille de Paco quelques secondes de décalage entre danse, et la lumière ou la musique. Quelques secondes qui font qu’il faut commencer. Paco frappe dans les mains et, avec une gentillesse obstinée, fait reprendre tout le monde du début. Chaque fois donc tous recommencent, modifient leurs réglages in extremis avant de recommencer la séquence, avec une patience tout autant inentamée.

     

    Et essaient de repousser les limites de la technique. Vincent danse avec une belle ombre blanche, un effet mis au point par Serge, grâce à un logiciel créé tout exprès…pour suivre une seule silhouette. Inévitablement, Paco tente de détourner le système jusqu’à l’accident créatif. Il envoie cinq danseurs bouger ensemble dans le champ des capteurs, histoire de voir ce qu’il en sort…L’ombre peine à suivre, le logiciel proteste en laissant l'image trembler. La lumière, la vidéo, la musique, me semblent ce soir omniprésentes. Habitué que je suis maintenant à voir les danseurs répéter seuls, sans filtres ni effets. Il y a au mur et au sol les reflets de l'eau dans la lune, et non l'inverse. On entend ce que Paco appelle le « do-do »: une respiration qui n’est d’autre, renseignements pris, que celle de l’un de ses enfants endormi. Catherine Montaldi me raconte qu’un jour Frédéric serait sorti avec magnétophone et micro « pour enregistrer le silence ». Frederic me confirme toute la liberté qu’il a eu, à l’instar des danseurs, pour intégrer ses idées et créations à la pièce. Le passage avec les voix, celui là même qui posait un peu problème lors du premier filage que j’avais vu, a survécu, avec quelques modifications.

    Pour autant, tout ce qui est strictement danse n’est pas figé encore: Paco descend parfois des rangs en courant pour interrompre une séquence, rectifier un mouvement en le dansant lui-même, faire avancer ou reculer un danseur de quelques centimètres. Avec une complication supplémentaire: il n’y a que six danseurs sur sept aujourd’hui. Dimanche ou lundi, un individu, dans la rue a eu la mauvaise idée d'agresser Orin, envoyé à l'hôpital pour le coup. Orin a du renoncer à sa participation au festival Faits d’hiver. La danse de Paco semble toujours hors du temps, mais sa création ne se fait pas hors du monde. Les répétitions continuent donc cette première semaine de janvier, avec un peu d’inquiétude, en attendant le retour d’Orin. Dans notre feuilleton de Fresque, on se serait bien passé de cet épisode là…

     

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    A la pause Jérôme va montrer à Paco la photo de la fresque entière de Pompéi, image qu’il a retrouvée Dieu sait comment. La triste vérité est la suivante: les trois femmes au regard si mystérieux contemplent …un Hercule allongé et ivre mort. La légende de la photo est formelle. Paco, toujours souriant et affable fait semblant trente secondes de s’intéresser de s'intéresser à l’affaire, puis en revient à la danse. Sage attitude: après tout cette belle image n’était que le point de départ de la création, elle est derrière nous maintenant. Je regarde Hercule à terre et je repense à Orin, absent. Puis j’oublie l’image réelle dévoilée par Jérome, préfère définitivement celle construit dans mon imaginaire, hors champs. Pendant tout ce temps Marion, quelques bureaux plus haut, s’affaire et compte les réservations, vigilante, confiante cependant.

     

    Le samedi revient Orin, en un seul morceau. Il reprend sa place en douceur. Les réglages se poursuivent, à 7 + 3 + 1. Quelques étudiantes en dessin viennent s’installer sagement accompagnées par Catherine. Plus tard je monte ouvrir dans le hall à deux amies de Paco qui se sont annoncées. Arrive sur leurs talons une classe de lycéens, plus accompagnateurs, tous assez intimidés, une classe entière dont on aurait juste fait disparaître les garçons. Et d’autres personnes encore, qui vont s'assoir dans l'obscurité, qui peut-être avaient froid dehors. Nous ne sommes décidément pas dans une tour d’ivoire, mais Paco et tous restent concentrés et imperturbables.

     

    Un filage commence, sans costume encore, je suis stupéfié par le rythme des premières minutes, révées, sans presque rien pouvoir reconnaître des gestes vus les mois d’avant…mais je dois partir!

    A la sortie dans le hall un garçon de 11 ans, qui a suivi sagement et yeux grand ouverts deux heures de répétitions, décide sans appel de devenir danseur.

     

    Guy Degeorges

      

    Photo de Jerôme Delatour, les autres sont sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

    En attendant, lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5, episode 7 , les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le T.C.I. propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

  • Looking for Paco: episode 5

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 5: Avant les vacances. 

     

    Le temps fuit. Demain commence déjà la toute dernière semaine de répétition de Fresque, avant la première du lundi 19 janvier, et il y a beaucoup à raconter. 

    Pour commencer: un retour en arrière, avant Noël et la nouvelle année. C'est un après-midi avant les vacances, à Micadanses. Le lieu semble désert, ou à peu prés, en tout cas pas très gai.. Paco n'est pas là, parti quelque part en province, pour la journée. Se passant de lui, les sept danseurs répètent, dans le studio May Be, cette salle de répétition qui est aussi utilisée pour certaines représentations de Faits d'hiver

     

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    Minutieusement, ils travaillent, progressent dans l'exécution de certaines séquences. En toute sérénité. A proprement parler, ils ne créent pas, ils affinent. Comblent certains vides, relient des gestes. Ce qu'au départ je recherchais reste insaisissable, décidément, mais pour me permettre de découvrir autre chose: ce que je vois en ce moment est spectaculaire. Mais d'une manière éphémère, qui plus tard s'estompera, quand la création sera achevée. Car je vois maintenant, en pleine lumière, toutes les performances physiques, les efforts, les prouesses athlétiques, les élans arrachés et la lutte contre la pesanteur, les impossibilités contournées centimètres par centimètres. Tout ce qui sûrement sera rendu invisible dans la pièce, dans son déroulement, pour qu'alors les mouvements puissent paraitre naturels, les corps emportés dans le flux de l'évidence et du récit. On verra alors les interprêtes sur la scène, mais le travail sera caché, à l'intérieur d'eux. Il n'est pas interdit de penser que certains danseurs en soient un peu frustrés... Mais pour le moment à Micadances tout se voit et tout est étonnant, d'une manière qui me renvoie à la conscience cruelle des limites de mon propre corps: Sylvère se tient à l'envers, finit en équilibre tout son poids sur l'épaule, s'appuyant à peine le long de Vincent. Il parait incroyable que des hommes de sa carrure, ou de celle d'Orin, puissent se mouvoir avec une telle agilité. Plus tard l'un des danseurs me confie qu'au fil des mois de répétitions, son organisation musculaire a finit par s'adapter aux contraintes propres à cette pièce, pour contrecarrer la fatigue. Takashi, un peu à l'écart, plus petit, se lance dans des mouvements très rapides, des mouvements de chats. Ici sont rassemblés deux asiatiques, une sud-américaine, quatre européenn(e)s qui ne se ressemblent pas: d'évidence il y a pas de physique imposé pour danser pour Paco. Les garçons avancent debout sur les mains, les trois filles ne sont pas en reste, tous se lancent dans des figures hip-hop. Tels de grands ados, voudraient-ils aujourd'hui m'en mettre plein la vue qu'ils ne feraient pas autrement. En l'absence de Paco, ils s'observent les uns les autres pour se conseiller. Chacun est à l'écoute, Noriko, qui parle rarement et plutôt en anglais, intervient pour rectifier une position de Silvère, et tous sont attentifs. Vu d'ici- mais je ne viens qu'une fois sur cent- ni tension, ni chefs, ni rivalités. Mais de la fatigue et des corps essoufflés, des enchaînements répétés dix fois et plus. Et des plaisanteries, tout le temps, et d'autant plus aux moments où l'effort est évident, ou la figure virtuose. Comme par pudeur, comme pour s'excuser d’avoir à se montrer, et même les uns aux autres, pour ne pas donner l’impression de vouloir en montrer trop. L'auto-dérision comme remède contre l'esprit de compétition? Même, ils rient souvent comme des enfants qui auraient réussi une pirouette. J'ai l'impression de me retrouver dans la cour de récré. Comme par exprès les filles répètent ensemble une scène et les garçons s'arrêtent, s'assoient pour les regarder et commenter, un rien sardoniques. Ensuite, les rôles sont inversés, les filles regardent les gaçons répeter. Puis tous se laissent retomber à plat le temps d'une pause, s'étirent et se massent, entament un grave débat pour décider qui demain matin va acheter des haribos. Jesus me propose un peu de la tortilla qu'elle conserve dans un tupperware, c'est appétissant mais je n'ai pas l'excuse de griller autant de calories qu'elle. Puis ils recommencent, et les plaisanteries de mêmes…

    Quelques jours plus tard, Jérôme m'écrit, tout excité, pour m'annoncer qu'il a retrouvé la partie manquante de la Fresque. Il la montrera à Paco... mais dans l'épisode d'après, au T.C.I.....

    Guy Degeorges

      

    Photo de Jerôme Delatour  (mais ici prise au studio Banca Li), les autres sont sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

    En attendant, lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 6, episode 7 , les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le Théatre de la Cité Internationale propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

    (1) c'est le tarif le plus doux, sauf si vous avez moins de 12 ans.

  • !Kung Filage

    !Kung Solo est présenté les 12 et 13 janvier à Mains d'Oeuvres dans le cadre du festival Faits d'Hiver.
    l'article qui suit a été mis en ligne le 8 janvier.
    La piece se file, le temps plus lentement, lui-même ne s'enfuit même plus du tout quand tous les mouvements se figent. Qui voire revient deux ans avant. Ce !Kung Solo est d'abord pour moi le souvenir de Paris Possible, en plus net désormais, et plus coloré.

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    La répétition de ce soir à Mains d'Oeuvre est grande ouverte: nous sommes une bonne vingtaine. Le hasard place assise à mes cotés, Eléonore Didier: il y a matière à sourire et à s'interroger-à défaut de penétrer ses pensées- en surprenant du coin de l'oeil ses gestes et ses mimiques muettes, ses réactions attentives aux actions de son interpréte: Mathilde Lapostolle. Celle dernière qui reprend le rôle dansé jusqu'alors par la chorégraphe elle-même, plutôt transpose, parait solidifier ce qui errait jusqu'à présent dans le territoire de la recherche, de l'incertain. Du soi à l'interprète, quelque chose échappe à l'intime, s'objectivise, comme un manuscrit que l'on voit enfin imprimé en livre. Par moment Eléonore sourit ou se fige, trépigne lorsque-deductivement-quelque chose ne file pas comme pévu. Se découvre-t-elle en double, sa disparation organisée, ce nouveau corps installé dans ses pensées? A un moment les yeux de Mathilde Lapostolle semblent noyés, braqués vers Eléonore qui alors plisse les siens. Les deux femmes semblent alors se scruter, de prunelle à prunelle. Du souvenir brut chair sur béton, dépouillé, de Point Ephémère , à la répétition de ce soir, le background s'est théatralisé; tapis vert pomme, jaune vif les chaussettes et frou-frous. La réprésentation est plus fantaisiste que le chantier. Mais l'échelle est restée. Eléonore, Mathilde: on pourrait d'abord confondre l'une et l'autre, corps planqué sous la doudoune, tête sous la capuche, visage sous les cheveux. Les mouvements pourtant ont ce soir quelque chose de plus définitifs, nets, dansés. Même quand elle retombe au repos, aprés être retombée plusieurs fois de suite comme si elle tentait de retomber toujours plus bas en vain, dans ce repos ou ce renoncement qui semble désormais interprété. Je jubile de revoir autrement ce moment provocateur (mais ce soir joué devant un public d'avance bienveillant). Je suis certain que, les prochaines fois, beaucoup en seront exaspérés. Le temps de la création a beau avoir laissé la place à celui de la réprésentation, il garde cette qualité d'indécision. Je retrouve aussi- agencées différement-d'autres pièces du mécano, d'autres matériaux. Déja vue, cette partie de jambes en l'air solitaire, d'une narquoise indécence, la tête qui s'entête à heurter le carton, et le corps mu par l'absent, corps muet et assymétrique, passif. Plus loin l'énergie épuisée, recroquevillée, le désir agite les seuls doigts, comme un premier ou dernier chatouillement. Toujours ces tentatives pour se glisser dans les interstices, y disparaitre, en autruche sous le tapis, sous le plastique. Il y a tous ces instants pour longtemps, et l'absence omniprésente. Mais pour en revenir sans cesse à un corps trivial et matériel, d'un humour incertain. D'autres passages réinterprétés semblent se préter à de nouveaux sens. Mathilde nue dans le rôle d'Eléonore- mais les photographes frustrés pour ce soir des instants les plus photogéniques, et drôles aussi- se dédouble elle-même sur la scène en photographe et modèle, rive son oeil à l'objectif, prend des poses inquiètes habillée de cartons, crée des images à foison, se refugie dedans comme sur un bateau de fortune, pour partir ailleurs. Cette piece me parle du temps qui passe, de pensées fugaces et plutôt inavouables, de l'insaisissable, du possible et de renoncement. Mais avant de partir -moi-même préssé, attendu ailleurs- je regarde chorégraphe et interprête dans ce processus, l'une dépossédée, l'autre captive, toutes deux frêles et volontaires. Cette sourde obstination à matérialiser les mêmes obsessions en art et gestes fait le jeu de mon regard, de ma mémoire de spectateur.

    C'éait une répétition de !Kung Solo d'Eléonore Didier avec Mathilde Lapostolle, à Mains d'Oeuvres. Guy

    Photo de Camille Muret (dossier de presse de Mains d'Oeuvres)

    Ici les photos de Vincent Jeannot-Photodanse et Jerôme Delatour- Images de danse.

  • Je pense comme une fille enlève sa robe de Perrine Valli: un débat virtuel

    A l'occasion de la représentation par Perrine Valli de Je pense comme une fille enlève sa robe, le mercredi 19 mai 2010 au Centre Culturel Suisse, retour sur les échanges entre Jérôme Delatour, Pascal Bely et moi-même apres la création de la pièce à Mains d'Oeuvres (mis en ligne sur nos blogs début 3 fevrier 2009):

     

    Guy : J’hésite…J’ai été plutôt déconcerté. Sans trouver la bonne approche pour regarder cette proposition. Le sujet annoncé-la prostitution- est fort et particulier. Un sujet à risque !

     

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    Mais ce qu’on voit au début semble étranger à ce thème: une danse lente dans la lignée de ce qu’on a déjà vu de Perrine Valli (des poses bras tendus comme sur la photo qui illustre le site de Mains d’œuvres). On s’y fait …avant de découvrir des tableaux qui nous ramènent au thème central: les deux interprètes lourdement maquillées, la danseuse confrontée au déferlement de ces petits hommes virtuels...Je m’y suis un peu égaré, malgré les itinéraires dessinés en sparadraps pointillés… )

      

    Jérôme : Il est vrai qu'on est loin de la prostitution réelle. C'est plus une idée de la prostitution, un fantasme de prostitution chez une jeune femme d'aujourd'hui. Rien de sordide ici. En fait, la pièce de Perrine Valli parle de bien d'autres choses. Elle est toute d'ambivalences et de miroirs: la gémellité de la pure et de la pute ; les pointillés formant chemin et frontière ; les petits bonshommes pouvant symboliser des clients - c'est l'interprétation de Rosita Boisseau dans sa critique du Monde - mais aussi des enfants, un désir d'enfants. La bande son, qui laisse percer des cris juvéniles, va dans ce sens, et la scène est aussi belle que légère, enfantine elle aussi, presque allègre. Cette scène peut aussi renvoyer à la représentation de Nout, la déesse egyptienne au corps étoilé (la voûte céleste, en somme) qui avale le soleil le soir et l'enfante au matin !

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    Guy : Cela m’a plutôt évoqué des images de space invaders. A chacun ses références…

     

    Jérome : Je te rejoins sur la cohabitation étrange d'une danse abstraite, où l'on reconnaît que Perrine Valli est encore très fortement influencée par la gestuelle sémaphorique de Cindy van Acker (dans Obvie, par exemple), et d'une narration.

     

    Guy: Mais dans l’ensemble, c’est tellement différent de ce que Perrine Valli a présenté précédemment-il faut signaler qu’il s’agit d’une toute jeune chorégraphe et interprète- qu’il s’agit presque d’une première pièce…

     

    Jérôme : Pour ma part, j'apprécie que Perrine s'engage sur cette voie moins aride. De plus, sa pièce est parfaitement rythmée, et ponctuée par de simplissimes, mais très efficaces mises au noir, qui délimitent une succession de saynètes.

     

    Pascal. : Nous pourrions échanger encore longtemps sur le propos de cette œuvre. Elle n’en manque pas mais entre- t- elle en résonance ? Les idées fusent, tel un brainstorming entre artistes inspirés par la question. La multiplication des espaces, des symboles ne créée pas la cohérence. Tout s’additionne sans se relier. L’escalade dans le propos métaphorique sature et ne permet plus aux corps de relier les symboles. La danse de Perrine Valli met au même niveau images, utilisation de l’adhésif et mouvement comme si le corps prostitué était langage au même titre qu’une statue ou un tableau. C’est une danse totalement « contaminée » par une esthétique de l’art contemporain alors que la danse est en soi un propos. En osant filer la métaphore, le spectateur enfile les tableaux, sans plaisir, en attendant que cela finisse.

     

    Jérôme : Je ne comprends pas pourquoi ce que tu appelles art contemporain devrait s'arrêter aux portes de la danse. Du reste il n'en a jamais été ainsi : le spectacle vivant a toujours fait appel à l'art de son temps pour habiller ses artistes et la scène. Le dispositif scénographique de Perrine Valli est d'ailleurs d'une sobriété exemplaire. J'aime cette simplicité. Enfin, au risque de paraître te reprendre point par point, les tableaux ne s'additionnent pas mais se succèdent bel et bien. L'adhésif sert de fil conducteur et marque une progression, un dévoilement. De même que l'on découvre peu à peu que les jumelles du début, unies par leurs postiches, sont deux femmes tout à fait différentes.

    Il y a aussi cet homme absent, qui rappelle de manière frappante celui de Solides Lisboa (Eléonore Didier - les deux pièces se rejoignent d'ailleurs sur de très nombreux points, jusqu'à troubler ; nous y reviendrons peut-être), peut aussi bien incarner le client ou le compagnon idéal.

     

    Guy : Je ne vois dans le rapprochement avec Solides Lisboa que des coïncidences. On peut trouver trois points communs: la table, la nudité, la lenteur... Pour commencer on voit beaucoup de tables (Cf In-Contro !) en ce moment de même qu’on voyait beaucoup de perruques l'an dernier.. Disons que c'est fortuit ! Ensuite : la nudité, son emploi était difficilement évitable compte tenu du sujet. Cette nudité est traitée avec maîtrise et pudeur, allusive, quand les deux femmes avancent du même pas, l'une l'ombre nue et cachée de l'autre.

     

    Quant à la lenteur elle me pose problème. La lenteur…Autant la lenteur me parait consubstantielle au projet d'Eléonore Didier, autant ici plutôt je la subis. Sans forcement pouvoir l’expliciter. Ce que tu appelles des mises au noir, je les ressens comme des blancs entre des passages signifiants, des interstices qui se sont pas forcement raccords.

    Trop longs ces moments consacrés à arracher les rubans, bouger la table, des moments hors de la danse. La même lenteur mais utilitaire et démonstrative qui m’a gêné chez Marcela Levi.

    Je rejoins Pascal là-dessus: il y a beaucoup de matière, et parfois forte et évocatrice. Mais trop accumulée, l'articulation ne semble pas encore maîtrisée. La cohérence ne s'impose vraiment qu’assez tard dans le déroulement de la pièce.3226880734_71fd11bb49_b[1].jpg


    Jérôme : Avec Solides, Liboa, il s'agit bien de coïncidence, et elle me frappe lorsqu'elle va jusqu'à ce point. Tu oublies la place de l'homme : dans les deux pièces, chorégraphiées par des femmes, il est réduit à un figurant sans visage. La table d'Eléonore et de Perrine n'est pas celle d'In Contro: chez l'une comme chez l'autre, on porte cette table et on se couche sur elle. Le bruit d'ambiance, capté dans la rue, revient également dans les deux pièces. Ici la nudité n'avait, à mon avis, rien d'obligatoire. Elle ne renvoie pas tant à la prostitution (qui n'est guère compatible avec la pudeur que tu soulignes) qu'à une façon de s'exprimer en tant que femme d'aujourd'hui. A mon sens, les nombreux points communs de ces deux pièces a priori tout à fait indépendantes livrent un témoignage concordant sur la sensibilité féminine contemporaine ; et elles sont très intéressantes à ce titre. Que signifie, chez ces jeunes femmes, cet homme absent ? Une attente, une revendication, une déception ? Je suis un homme, elles m'interpellent. Quant à la lenteur, elle m'a moins frappé que son caractère cérémoniel, presque religieux : une série d'actes convenus à l'avance est exécutée avec précision et en silence. La danse elle-même n'est pas lente. On peut inverser la hiérarchie que tu établis : pour moi, c'est la danse qui fonctionne comme interstice, ou plutôt intermède, de ce que tu nommes interstice, et que je considère au contraire comme la trame dramatique de la pièce. Nous sommes dans des procédés classiques du théâtre.

      

    Pascal : Je n’ai jamais attendu de la danse qu’elle fasse une démonstration. Or, Perrine Valli raconte, démontre, va ici puis là, occupe la scène, le mur, la coulisse. C’est fatigant cette manière si démonstrative de concevoir l’art chorégraphique ! Le tout s’étire sans que l’on puisse à aucun moment se raccrocher à une émotion, à une image poétique, à un geste, un mouvement.

     

    Guy: Il y a quand même des images auxquelles on peut se raccrocher !

     

    Pascal: Tout est maîtrisé jusqu’à délimiter la scène de façon quasi obsessionnelle avec un adhésif pour ne produire que des cases. Il y a dans cette œuvre un contrôle de l’imaginaire assez effrayant qui positionne le spectateur à devoir apprendre une esthétique sur un sujet sensible et tabou. Une façon assez élégante de signifier au spectateur que la danse peut faire aussi « ennuyeux » qu’un classique au théâtre ! Au fond : je pense que ce spectacle n’est pas destiné à un public de danse (il suffisait de l’observer pendant le spectacle !). Mais qu’est-ce qu’un public de danse ? Je ne sais pas. En fait, j’aurais bien vu cette œuvre à la biennale de Lyon d’Art Contemporain ou à la documenta de Kassel.

     

    Jérome : J'avoue que tu me vois perplexe. Objectivement, Perrine danse 50 % du temps... pour les 50 % restants, on peut appeler cela de la performance… est-ce si rare ou étranger à la danse contemporaine actuelle ? En un mot, je n'ai pas vu de spécificité particulière à la pièce de Perrine dans ce domaine. Aurais-tu dit du Paso doble de Nadj qu'il était envahi par l'art contemporain ?

     

    Guy : conclusions ?

     

    Pascal : Et si cette œuvre s’inscrivait-elle dans une articulation avec d’autres arts (vidéo, photo, danse, musique)? C’est peut-être cette articulation qui me pose problème. Et à regarder les photos prises par Jérome, j’ai comme l’intuition qu’il est un des acteurs de cette pièce, en tant que photographe et bloggeur! Perrine a réussi à lui faire épouser son propos…

     

    Jérome: Nous aurions pu poursuivre sur cette question de l'art contemporain, et il avait  d'autres choses que je n'ai pas pu dire sur les thèmes abordés par la pièce. Ce qui est vrai, c'est que la photographie rapproche sans doute des danseurs. On suit leurs mouvements physiquement avec l'appareil photo. En regardant dans le viseur, la vision est plus resserrée, plus intime. On est aussi plus sensible, sans doute, à la beauté formelle. Maintenant, cela dépend quand même aussi de la pièce.


     

    C'était un débat virtuel au sujet de Je Pense Comme Une Fille enlève sa robe de Perrine Valli, avec Perrine Valli et Jennifer Bon, présenté à Mains d’œuvres dans le cadre du festival Faits d’hiver.

  • Apres le chaos

    Petit retour sur Kao:

    Yumi Fujitani est très loin d'être une débutante: vingt ans de vie artistique, dont dix aux cotés de Carlotta Ikeda.

    Mais pour se produire elle doit prendre pretexte d'un festival de "théâtre gestuel" pour s'inviter à l'Akteon. Qui est un medium_kao_solo.jpglieu certes attachant, avec une vraie personnalité, mais seulement 50 places plus ou moins assises en se tassant bien, avec une scènes comme un mouchoir de poche où l'on a vu un soir de canicule une Loretta Strong apoplectique perdre trois litres de sueur, et un soir d'hiver une Ophelie blafarde grelotter.

    Comme quoi le Buto en est toujours là où il a commencé: dans les arrières salles et dans la quasi-clandestinité, en tout cas bien à l'écart des circuits institutionnels et subventionnés. Consolation: les cinquante places ce soir là étaient occupées et largement au delà.

    Mais, pour nous contredire un peu, signalons qu'on pourra revoir Yumi Fujinati en juin, d'abord au festival buto bertin Poiree, puis au Theatre du Lierreoù elle mettra à nouveau en scène Kao... mais en version trio.

    Guy

  • Ecouter...

    De l'écrivain Catherine Rihoit, je connaissais l'écriture jubilatoire, insolente, echevelée, du Bal des débutantes. Egalement, lors de belles rencontres, ses éclats de rires, aussi derrière comme un fond de colère. J'ouvre "j'ai Lu" plus par intérêt pour la femme et l'auteur que pour le sujet lui-même. Je suis pris, et surpris. J'entends ce que je lis. Des mots de 1858, d'au coeur des Pyrénées, des mots d'hiver, des mots durcis par la misères. Simples et âpres, ces mots pèsent. Plusieurs voix s'élèvent, les témoignages se rapprochent, se répondent. Où ce livre m'emmêne-t-il? Je ne sais pas encore. J'irais écouter: 

     

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    « Elle dit qu'elle voit »Quoi ? Aquero, quelque chose, une lumière blanche. Lourdes, une enfant, un mystère. Et si le miracle c'était croire ?

    Mise en voix : Jeanne Carré d'après « J'ai vu » de Catherine Rihoit avecJean Claude Aumont, Yannick Barnole, Jeanne Carré, Emmanuelle Grivelet-Sonier, Richard Jones-Davies, Caroline Kumba-Nzila, Didier Laroche, Mélanie Lecarpentier, Jacques Madar, Françoise Mothié, Catherine Rihoit...

     Les jeudi 27 - vendredi 28 - samedi 29 mai 2010 à 20h30A La Comédie Nation, 77 rue de Montreuil, 75011 Paris, Métro Nation Pour réserver : 09 52 44 06 57 ou reservation@comedienation.com A vous de lire - pl.15 & 12 €

  • So sad about us

    Pourquoi est-ce si triste? Avec le champagne- quelques larmes- à l’entracte, tant d’émotions éparses, comme des lambeaux de brume sortis de la machine à fumée. Un collage de textes et d’images, comme sur un placard d’affiches jaunies et déchirées d’où des éclats vifs se détacheraient. Yves Noël Genod cette fois s’efface, laisse fuir le théâtre de peur qu’il ne se sauve, ouvre les fenêtres sur cet après midi d'hiver pour laisser passer air et lumière de l’extérieur. Nos portables laissés allumés dans cette salle de répétition-plutôt qu’un lieu attendu pour une représentation. Le théâtre revient par les portes, en souvenirs, incarné en ces corps dans un espace scénique indéfini, mais on dirait des fantômes, sinon des survivants. La grâce d’un enfant aux cheveux verts, l’effronterie d’un adolescent. Deux femmes pour bouffonneries  ou charme. Les vaines exhortations  au public d’un vieil acteur au public, comme un baroud d’honneur. Sous les auspices d’Emily Dickinson, des textes poétiques et des corps qui se refusent, des jeux et poursuites  aux répliques de boulevard sauvées de l’amnésie. Ils saluent en plein milieu de la piece, comme pour déja disparaitre. Celeste Alberet raconte les derniers jours de Proust, le mot « Fin » posé sur son œuvre, et cette mélancolie ressemble à celle où nous plongerait la mort du théâtre.

    C'était Je Peux d'Yves Noël Genod au théatre de la cité internationale.

    Je Peux (la pratique) est suivi de Oui (la théorie) encore ce dimanche à 14H30 pour la dernière au T.C.I.

    Guy

  • Entretiens avec Katalin Patkaï- 2° épisode

    Dans cet épisode: Terrains Fertiles- Bucarest- Un Ours- Des chevaux- Appropriate Clothing must be worn- Les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- Plastique et mouvement -Pas de regrets

    Guy : Avant de créer « Appropriate Clothing » tu as, je crois, participé à un programme international de performances.
    Katalin : Oui il s’agissait du projet Terrains fertiles. C’était super. J’ai adoré le faire. Le brésilien Joel Borges avait sélectionné des artistes. Sa démarche était ambiguë, je crois qu’il voulait recueillir de la reconnaissance à travers les artistes qu’il choisissait. Il était un peu tyrannique, un peu bizarre, mais le résultat a été super chouette. On travaillait seul trois ou quatre semaines dans un lieu, à s’en imprégner et réfléchir à comment l’exploiter. On a commencé à Bucarest. On n’utilisait pas des lieux de spectacles. J’ai travaillé au Conservatoire, un lieu énorme, colossal, construit sous le régime communiste. D’autres artistes sont allés répéter dans le palais de Ceausescu. J’ai trouvé l’environnement tellement agressif que je n’ai pas osé sortir dans la rue la première semaine. A ma première sortie, je me suis fait suivre par quelqu’un. J’étais choquée par la violence dans les rues, la manière raciste dont les roumains se comportaient avec les Roms. Les chiens errants trainaient partout. Je ne peux pas parler des campagnes, mais la ville était ingrate, avec ses grandes artères et ses constructions énormes. C’était un mélange surréaliste. Je me familiarisais petit à petit, je travaillais ma curiosité, mon empathie pour ne pas voir les choses toutes en noir, je visitais les vieux quartiers complètement délabrés. J’ai ressenti un rapport de force avec la ville, avec la population, ces chiens… J’ai fait une performance dans un escalier monumental. Je jouais une star qui se cassait la gueule dans ces escaliers, en une chute au ralenti sur l’air du beau Danube bleu. C’était assez violent. Il m’arrive aujourd’hui encore de me faire mal, mais à l’époque je ne m’économisais pas du tout. Je m’étais confectionné des grosses pattes d‘ours - le symbole de la ville -, et Ceausescu était connu pour ses chasses à l’ours. Je dansais comme un ours et, en même temps, je projetais une vidéo porno avec une scène entre deux femmes. Je ne saurais pas analyser pourquoi j’avais utilisé cette vidéo.

     

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    Guy : Bien avant tes masques d’animaux de « MILF », et la ménagerie sur scène pour les « Cochons », tu faisais déjà la bête!
    Katalin : J’avais commencé bien avant ! Je faisais le cheval dans « X’XY», que tu n’as pas vu. Ugo n’aimait pas au début, mais à la fin il a trouvé ça bluffant. Je sais extrêmement bien faire le cheval et j’ai appris à dessiner en dessinant des chevaux. Tout mon monde est synthétisé dans un cheval. Un jour je ferai un spectacle avec un cheval. Je ne sais pas dresser les chevaux, il faudra donc que je prenne le cheval jeune, pour qu’on construise un rapport fort qui permette qu’on travaille ensemble.


    Guy : Vas-tu un jour monter un spectacle avec Zingaro ?
    Katalin : Arrête ! Je n’aime pas Bartabas, il est trop hautain. Je l’ai approché pour «C’est pas pour les cochons » sans aucun succès. Il m’a snobée. Mais ce n’est pas grave. Des vents, j’en ai pris beaucoup.


    Guy : Après « Terrains fertiles » tu as créé « Appropriate Clothing » en 2006. Je me souviens que tu apparais nue au tout début, avant de t’habiller. On peut toujours voir la fin du spectacle sur dailymotion, cette chorégraphie érotique entre les trois personnages sur le canapé. Mais j’avoue que tout le reste est devenu flou dans ma mémoire.

    Katalin : Je croyais que tu ne l’avais pas vu.


    Appropriate clothing must be worn, Kataline... par mainsdoeuvres

    Guy : Si, j’ai vu la pièce à « Mains d‘Œuvres », c’est d’ailleurs le tout premier spectacle que j’ai vu là-bas, mais je n’ai rien écrit dessus car je n’avais pas encore créé mon blog à l’époque.

    Katalin : Il se passe plein de choses entre ces deux scènes. La pièce s’inspire de la description de pratiques sexuelles caricaturées. Ugo (Dehaes)est mis en état de carpette, écartelé sous une peau de bête comme un ours. Aude (Lachaise) et moi nous nous livrons à une danse sur lui, une sorte de danse des couteaux. Nous sautons au-dessus de lui avec nos talons très pointus. C’était assez dangereux. Parfois, en répétition, on se loupait et on lui faisait mal. Mais il s’est montré stoïque. Ensuite il y a une déambulation, un rapt. Ugo fait voler en l’air ce canapé très phallique. Puis une séquence bondage très drôle. J’ai un très bon souvenir de cette pièce. J’y caricaturais les pratiques sexuelles. Je m’étais beaucoup renseignée sur ce sujet -comme sur tous les sujets sur lesquels je travaille. C’était la grande époque des clubs échangistes, encore qu’ils aient toujours existé et qu’ils existeront toujours. Je m’étais rendue dans l’un de ces clubs où il faut venir accompagnée. Je n’avais pas du tout envie de participer. Autant je ne suis pas farouche, autant je ne pourrais pas faire ça avec quelqu’un que je ne connais pas ! Il fallait donc que j’évite de participer… tout en ayant la possibilité de regarder. C’était un vrai spectacle, à la Eyes Wide Shut, avec des lumières tamisées ; une vraie orgie. J’ai trouvé ça incroyable, magnifique. C’est vrai que je suis allée dans un club vraiment « hype », aux Chandelles. Pour rentrer il faut un bon chéquier. C’est le monsieur qui paye. Il y a un sas à l’entrée avec une caméra. On vérifie si tu es bien habillé car les consignes sont strictes. Pas de jean, et la femme doit être en robe ou en jupe.

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    Guy : Ce qui est paradoxal puisque c’est pour se déshabiller ensuite. Ton titre « Appropriate Clothing must be worn » (tenue correcte exigée) est donc une référence aux règles affichées à l’entrée de ces clubs.
    Katalin : Oui. Dans ces endroits, tu n’as pas le droit de te dévêtir si tu n’es pas bien vêtu. Comme pour un strip-tease : si tu t’effeuilles, les pétales doivent être jolies !


    Guy : Crois-tu que l’humour que tu as voulu mettre dans la pièce a été compris par tous ? J’avais été fasciné, mais ton humour m’avait un peu échappé…
    Katalin : Des tas de gens n’ont pas perçu cet humour. Avec le recul, moi je trouve la pièce vraiment drôle, même s’il y avait, comme toujours, une part de sérieux. A l’époque j’étais déjà un peu « peace & love ». J’étais très adolescente. Je découvrais que Dieu n’existait pas. Comment résoudre de manière altruiste cette donnée ? Du coup qu’est ce qui rapproche les gens ? Les gens se rapprochent physiquement parlant, c’est une des solutions du XXI° siècle. Puisqu’il n’y a personne pour nous obliger, puisque que nous faisons ce que nous voulons de nos corps, rapprochons-nous et éclatons-nous ! Aimez-vous les uns les autres ! C’était un propos hédoniste et drôle. Car on peut rire de tout et des comportements sexuels aussi. Je m’étais beaucoup servi des films d’Hitchcock. J’aime bien son rapport à la sexualité. Je pense au Procès Parradine, où la femme a une liaison avec un domestique. Dans ce film il y a une belle scène où un homme touche les genoux d’une femme.

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    Guy : Hitchcock est le cinéaste du voyeurisme par excellence. Il avait la réputation d’être impuissant et il avait des relations intenses et compliquées avec ses actrices… Je viens de revoir « Body Double » de Brian de Palma qui est un de ses disciples. C’est un hommage à « Fenêtre sur cour » et à « Sueurs froides ». Le protagoniste passe une partie du film à espionner une femme avec des jumelles… La différence c’est qu’Hitchcock devait jouer avec la censure de son époque et détourner l’érotisme vers d’autres objets, alors que De Palma peut en montrer plus.
    Katalin : J’aime beaucoup les films de Brian de Palma, l’esthétique des années 80 et les couleurs. Spécialement « Carrie », la scène au début avec la fille sous la douche, puis soudain le sang des règles. Je trouve ça osé, sublime. Il a une scène dans un film d’Hitchcock, je ne sais plus lequel, avec trois personnes sur un canapé. A un moment il y a une ellipse - et on imagine qu’il s’est passé des choses entre ces trois personnages. J’aime comment Hitchcock produit ces ellipses, pour nous faire compléter le vide avec notre imaginaire, c’est hyper osé. Il y a beaucoup de références dans Appropriate Clothing… qui ne se voient pas du tout.


    Guy : Comment as-tu travaillé la matière de cette pièce ?
    Katalin : A ce moment-là, je n’étais pas dans la recherche du mouvement. J’avais des images qui m’étaient rentrées dans la tête, j’avais une vision…. Je n’avais qu’une vision de la chose. Je trouvais ça très ouvert comme propos, mais je n’ai jamais réalisé ce que je dis sur scène, ma vie privée n’est pas aussi orgiaque ! Je réfléchissais plus par images. J’essayais de les habiter par tout ce que j’avais appris avec Marie-Jo, d’habiter les corps, de travailler sur la qualité du mouvement. En même temps, ça ne se voit pas beaucoup car le propos était explicite… D’abord il fallait créer une mécanique, une imagerie et une ironie de la chose. Du coup la danse là-dedans est assez évacuée. C’était encore très plastique.

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    Guy : Tu ne referais pas cette pièce de la même manière aujourd’hui ?
    Katalin : Je ne veux pas revenir en arrière. Je suis contente de la pièce telle qu’elle est.


    Guy : Si, comme Hitchcock pour « L’Homme qui en savait trop », tu avais carte blanche pour faire un remake de cette œuvre, comment ferais-tu ?
    Katalin : Je prendrais d’autres interprètes et je referais pareil, parce que ce que ça a dit à l’époque, ça le dit toujours. Mais je ne pourrais pas bouger physiquement les choses puisque ça s’appuyait sur quelque chose de plastique que je ne pourrais pas réécrire en mouvements, tu comprends ?


    Guy : Non…
    Katalin : Si tu veux dire que si j’avais à créer aujourd’hui une autre pièce sur le même thème, celle-ci serait différente, bien sûr ! Il m’arrive de repenser: si on avait fait comme ci ou comme ça… Si pour MILF j’avais retransmis les témoignages de femmes, si j’avais engagé leurs paroles beaucoup plus, etc…. Mais après coup, je me dis que finalement je n’aurais pas radicalement changé les choses.

    (A suivre...)

    Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

    Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

    Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

    http://www.katalinpatkai.com/

    Dans l'épisode précédent: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

    Dans le prochain épisode: Hygiène de vie-Ascendance- Hongrie- Fréquentations artistiques- Nadj- 1er leçons- Rock Identity- Encore Jim Morrison- Cantat- Le centre du danseur

  • Entretiens avec Katalin Patkaï - 1er Episode

    Dans cet épisode: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

    Guy : Katalin, tu es chorégraphe et danseuse contemporaine. J’ai pu voir la plupart de tes pièces, nous en discuterons évidemment, mais je voudrais aussi comprendre qui tu es, toi. Et ce que c’est d’être une artiste aujourd’hui. Mais commençons par parler de tes créations. Je vois une forte cohérence dans les thèmes que tu y traites : en particulier le thème du masculin et du féminin…
    Katalin : Je pense qu’il y a une cohérence, encore que les choses se soient précisées au fil du temps. Au début je pensais travailler sur le thème du masculin. Le sujet est devenu le féminin. Ceci dit, le chemin se fait tout seul. J’évite d’analyser après coup, mon rôle c’est de faire. Et c’est à d’autres de s’approprier le travail, et de l’analyser. Je reçois souvent des retours, des critiques, qui relèvent les intentions que j’avais effectivement au départ. C’est au moment de la préparation que j’ai un désir, une idée forte et précise de ce que je veux dire. Alors j’écris beaucoup. Ensuite, au moment de la création, il se crée un décalage, qui peu à peu devient énorme. Quand finalement je vois la pièce, elle s’est métamorphosée. C’est comme quand tu fais un enfant !


    Guy : On va quand même essayer d’analyser ensemble! Au départ de chacune de tes créations, il y a donc toujours une phase d’écriture ?
    Katalin : Oui. C’est une nécessité pour moi. Je prends l’ordinateur et j’écris sur plusieurs pages le pourquoi, comment… Le cas de MILF était typique. J’ai beaucoup écrit, sur la femme, sur la condition de la femme. Daniel Jeanneteau qui m’a soutenue pour cette pièce, me disait que c’était trop documenté, trop théorique, que je n’étais pas une sociologue. Pourtant ça me sert beaucoup, pour digérer, même si j’ai parfois des retours d’interprètes qui trouvent que mes intentions ne sont pas claires. Quand on passe à la création, cette phase d’écriture est finie et je ne reviens pas dessus. J’utilise juste des cahiers sur lesquels je dessine, où j’écris de courtes phrases pour reformuler, pour préciser.


    Guy : Tu me disais, avant de commencer l’enregistrement, que tu cherchais un nom écrit dans ta tête… Tu fonctionnes visuellement ?
    Katalin : Oui, complètement. Si je vois un mot écrit, je m’en souviens. Si on me le dit, il s’efface. J’ai des images mentales de mes mises en scène, et je les travaille. Au départ, c’est venu par le dessin. Aujourd’hui je dessine moins qu’avant. J’ai fait des dessins pour Jeudi -ma dernière pièce- de choses que je n’arrivais pas à expliquer à Justine Bernachon, à Ugo Dehaes. Quand je dis à Justine: « tu vois, on est complétement fondu entre nous… », ça peut lui parler…ou pas. Je me suis rendu compte que pour se faire comprendre des interprètes, il faut des dessins. Peut-être qu’il y a des gens qui arrivent à se faire comprendre sans, ce n’est pas mon cas. Il faut épuiser différents moyens de communication : le dessin, la parole, montrer en live…

    Guy : Tu évoques la difficulté de se faire comprendre. As-tu entendu, sur telle ou telle pièce, des critiques ou des retours que tu as jugés injustes ?
    Katalin : Une fois après une représentation de X’XY qui était l’une de mes premières pièces, un spectateur très énervé avait dit quelque chose d’assez violent comme : « c’est quoi cette femme qui se prend pour égale ou supérieure aux hommes ». Mais en fait, je comprends ce qu’il a voulu dire!

    Guy : C’était violent…. Mais peut-être avait-il bien saisi le fond de ton propos !
    Katalin : Oui. Au début je voulais parler de l’homme dans mes pièces. Mais à l’époque j’étais en rivalité avec les hommes, comme pour prétendre moi-même être un homme. Aujourd’hui j’ai changé, j’ai une position plus clairement féministe, je la revendique.

    Guy : Même si ta position évolue, le thème du genre féminin est présent dans toutes tes pièces. Le plus souvent tes interprètes sont des femmes.
    Katalin : C’est allé crescendo. J’ai commencé par créer un solo pour un homme (Spatialisation sonore pour un danseur), ensuite un duo homme-femme (X’XY), puis un trio avec deux femmes et un homme, qui était donc mis en minorité (Appropriate clothing must be worn), et après, il n’y a plus eu que des femmes. Dans Sisters il y avait six danseuses ; c’était le sommet de la pyramide. Une pyramide un peu croulante. Aujourd’hui encore, on me dit que malgré Sisters j’ai de la chance d’être reprogrammée aux Rencontres Chorégraphiques de Seine Saint Denis pour Jeudi. Mais je ne considère pas Sisters comme un échec, même si l’expérience a été difficile. Et il n’y a que des femmes dans Rock Identity, et dans Milf, Jeudi, mes deux dernières pièces.

    Guy : « Sisters », on y reviendra…. Je repense à « Rock Identity », tu y joues le genre - ou tu te joues du genre - en interprétant des personnages masculins, des légendes du rock, sans renoncer à ta féminité. Par exemple, tu danses Jim Morrison les seins nus. Ramènes-tu ces personnages vers ta féminité ?
    Katalin : Non, c’est plutôt moi qui vais vers leur masculinité. Mais peut-être que cela revient au même. A l’époque, j’étais encore dans une logique de rivalité. Je crois que je voulais montrer qu’une femme pouvait être autant une bête de scène qu’un homme, avec autant de sauvagerie et de charisme. Je pense à mon père, il avait énormément de charisme. C’était un très bel homme. Je veux comprendre le mystère du charisme. Comment on le fabrique, s’il tient à l’individu ? Quelqu’un comme Jim Morrison, au-delà de sa personnalité profonde, réfléchissait à tout ce qu’il allait faire en public. Il sculptait son personnage. Mon père, Ervin Patkaï, était sculpteur. Peut-être que moi-même je fais moins de la danse que de la sculpture en mouvement, à partir de postures…

    katalin patkaï

    Guy : Ton père est mort prématurément, alors que tu étais jeune je crois…
    Katalin: J’avais 14 ans. J’ai fait une psychanalyse, qui n’a rien donné, je pense. La mort de mon père est toujours un sujet très sensible pour moi. Il était un personnage, un immigré hongrois, avec une histoire héroïque. Petite, je ne me rendais pas compte qu’il était beau ; il y avait quelque chose de dérangeant chez lui. Il avait beaucoup d’accent, je sentais chez lui une friction avec la culture française qui n’était pas la sienne. Il m’a transmis le don du dessin, dès mon enfance. Ma mère et lui se sont séparés. Il buvait, beaucoup d’hommes buvaient à l’époque, surtout chez les gens de l’Est, qui ont la main lourde ! Après son décès, ça a été une période très douloureuse pour moi, avec des non-dits dans ma famille. Ma sœur, qui est un peu plus âgée, le jugeait sévèrement. Moi, je l’idéalisais et, de son vivant, j’avais pris son parti ; j’en voulais à ma mère qui était dominée. Je me rends compte que j’étais injuste vis à vis d’elle. J’étais une pré-adolescente et mes rapports avec mon père devenaient compliqués, avec des conflits. Je le provoquais, il me frappait. Je ne voulais pas pleurer et il y allait d’autant plus fort pour me faire céder… Il mangeait des piments hongrois, je voulais l’imiter et ça me brûlait. Il se consacrait tout entier à son travail, comme moi aujourd’hui, mais lui ça l’a détruit. Il gagnait de l’argent avec le 1% des bâtiments publics en réalisant des œuvres dans des établissements scolaires, c’était un plasticien assez reconnu… Moi, je ne gagne pas un rond! Aujourd’hui je continue à admirer mon père, mais je comprends mieux ma mère, une femme effacée. Cependant je ne comprends pas qu’on puisse se sacrifier comme elle s’est sacrifiée pour mon père, au prix de son propre épanouissement.

    katalin patkaï

    Guy : A propos d’équilibre homme/femme, tes interprètes sont donc des femmes mais tu collabores souvent pour la mise en scène avec des hommes: Yves-Noël Genod, Ugo Dehaes, …
    Katalin : C’est vrai… C’est un équilibre. Ugo est mon opposé : aussi carré que je suis bordélique. J’en ai besoin. Je gagne du temps. Cela dit, je suis très contente de MILF que j’ai chorégraphié seule, spécialement de la dernière version présentée au Générateur de Gentilly. Je revendique cette pièce, même si la création a été douloureuse en raison des rapports avec une interprète qui ne comprenait pas mon travail. Peut-être cela aurait-il été moins douloureux si j’avais eu le soutien d’un homme. Mais nous étions quatre femmes et j’étais interprète en plus de mon rôle de chorégraphe.

    Guy : Tu es en train de me dire qu’il faut un homme pour réussir à faire travailler des femmes ensemble !
    Katalin : C’est compliqué ! Je n’ai pas de problème avec la majorité des interprètes. Mais dans le schéma mental de certaines femmes, il faut un homme pour incarner la stabilité, l’autorité. C’est vrai que je suis souvent prise au piège par des interprètes qui me demandent dans quel sens exact je veux aller durant la création, mais je ne peux pas vraiment répondre à ces demandes. Sinon leur relire le texte d’intentions que j’ai rédigé au départ. Je ne parviens pas toujours complètement à les rassurer.

    Guy : On rencontre tous ce problème. Quand je donne des formations, j’incite des stagiaires à trouver des solutions par eux-mêmes en les aidant avec de la méthodologie mais que certains demandent des recettes toutes faites.
    Katalin : Je mène un projet de café associatif à Pantin, j’organise des appels à projets pour des ateliers et des animations, mais j’ai du mal à avoir des propositions spontanées. Je suis obligée de rassurer les participants, d’être plus dirigiste. Parfois au cours de mes créations, j’ai un interprète qui ne rentre pas du tout dans mon travail, qui ne sait pas quoi donner ; c’est douloureux pour lui aussi.

    Guy : J’ai le sentiment que quand tu mets seule en scène, le résultat est plus riche et touffu, et quand tu travailles en collaboration avec quelqu’un qui t’apporte un autre regard, c’est plus concis, resserré, narratif…
    Katalin : C’est meilleur, tu veux dire ?

    Guy : Non, c’est différent. On sent cette différence entre tes deux dernières pièces : « MILF », qui est une pièce très riche, et « Jeudi » créé avec Ugo Dehaes, qui est plus concentrée. Et malgré les digressions apparentes d’Yves Noël Genod sur « C’est par pour les cochons », la pièce est assez homogène.
    Katalin : « Rock Identity » aussi, que j’ai créé seule, est une pièce très rigoureuse… Mais c’est une pièce qui m’a pris beaucoup de temps ! Le dialogue permet d’aller plus vite, éclaire les choses. « Rock Identity » est prêt maintenant. Je l’ai commencée en 2006, rejoué en 2009 à la Loge, Je n’y toucherai plus. Comme les peintres, on est bien obligé de s’arrêter un jour. Pour « MILF », j’étais dans le brouillard, à cause d’une interprète. Aude Lachaise a repris le rôle plus tard, et cette dernière version est à peu près stabilisée. Et Jeudi, c’est fini ! C’est dû à l’efficacité d’Ugo, alors que moi j’aurais toujours voulu rajouter un truc. Cette efficacité, ça me fait du bien!

    Guy : Tu danseras à nouveau des soli sur scène ?
    Katalin : Non… Si, juste un spectacle avec mon fils Ernesto.

    Guy : Ce sera plutôt un duo.
    Katalin : Oui ! Concernant les vrais soli, plus je suis sûre de moi physiquement, à même de comprendre l’aspect corporel des choses, plus je trouve cohérent de faire plutôt travailler les autres. Je commence à mieux voir ce qui est approprié pour tel interprète, jusqu’où il peut aller. Je repense à Marie-Jo Faggianelli, qui est géniale, une grande travailleuse. Elle sait parfaitement quoi obtenir de l’interprète. Elle m’a rendu un très grand service en me faisant danser pour la première fois. Elle m’a embauchée comme scénographe, en 2005, mais elle-même avait tellement d’idées en matière de scénographie que je n’avais rien à lui apporter sinon en tant qu’accessoiriste. Elle m’a alors donné des cours de danse… et ses danseuses sont parties car elle ne pouvait pas les payer, je suis alors devenue son interprète! A l’époque, je menais en parallèle une résidence à « Mains d’Œuvres ». Mon premier projet pour Ugo Dehaes en 2000 avait attiré l’attention. Je travaillais avant comme scénographe en Belgique, où j’avais rencontré Ugo qui travaillait pour Meg Stuart. Je lui avais proposé le projet - Spatialisation sonore pour un danseur - et il avait dit oui ! Il me faisait confiance, j’étais donc coincée et j’ai mis un an à finir le projet. A ma sortie des Arts Décoratifs, j’ai dû vendre une sculpture de mon père pour arriver au bout du projet financièrement. J’ai créé la danse pour Ugo, c’était une chorégraphie peut-être un peu naïve. J’ai aussi créé la bande son. Daniel Jeanneteau a vu la pièce et bien plus tard il m’a accueillie en résidence, c’était une rencontre importante pour moi, il y a de belles rencontres dans ce métier.

    Guy : Que reste-t-il d’une pièce dix ans après ? Que peux-tu me dire de « X’XY», que je n’ai pas vue ? Peu de ceux qui nous liront l’on vue sans doute. C’est le paradoxe de notre discussion que d’évoquer des œuvres qui sont par nature éphémères. Disons que nous en parlons autant pour préparer l’avenir que pour se pencher sur le passé !
    Katalin : C’était une pièce chouette. Un bon cru. Avec une bonne équipe. J’étais insouciante, avec beaucoup de foi en l’avenir. Je dansais avec Mickaël Phelippeau. Nous utilisions une grosse mousse pour décor. La pièce intriguait. Les gens se demandaient qui était cette fille qui se dénudait beaucoup… Il s’agissait pour moi de montrer l’affrontement physique entre l’homme et la femme. A forces égales. J’ai joué la pièce en 2004 à « Mains d’Œuvres », et à « l’Etoile du nord » où Christophe Martin m’avait programmée. J’avais la foi de la jeunesse, aucune timidité, j’étais allée le voir. Je ne connaissais pas encore les codes, les hiérarchies…, les hiérarchies qu’il ne faut pas forcément respecter. Mais ma naïveté avait payé. Ce qui m’a quand même aidé c’est que j’étais en résidence à « Mains d’Œuvres ». Cela rassurait. Maxence Rey, qui s’y occupait de la danse, m’y avait invitée après avoir vu ma première pièce. A l’époque il s’était créé un syndicat des chorégraphes, je n’étais pas très militante, mais j’ai quand même assisté à une réunion. Certains se plaignaient des difficultés pour jouer. Comme j’étais très naïve, j’avais dit « mais non, on est super bien accueilli, il n’y a pas de problème… » Quand j’y repense ! Maintenant je comprends mieux les intérêts des uns et des autres. Pour autant je ne voudrais pas travailler dans un autre milieu. Mais il faut connaitre et comprendre ce milieu pour ne pas être malheureuse.

    katalin patkaï

    Guy : Je n’ai pas d’observation - et pour cause - à propos de la pièce "X'XY", mais on se rattrapera avec la suivante, « Appropriate Clothing» que, pour le coup, j’ai vue. Mais avant de créer « Appropriate Clothing » tu as, je crois, participé à un programme international de performances.

    (A suivre...)

    Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

    Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

    Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

    http://www.katalinpatkai.com/

    Dans le prochain épisode: Terrains Fertiles- Bucarest-Pattes d'ours- Les chevaux- Appropriate Clothing must be worn- les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- Plastique et mouvement -Pas de regrets

     photo X'XY (crédit en cours)

  • H comme la Vie

    Douce mélancolie, étrange poésie. Serait-il un peu fatigué ce soir d'hiver à Saint Nazaire, un peu malade? Cela colore avec d'autant plus de beauté les émotions qui s'installent bientôt. Arthur entreprend ce soir de "réarmer l'amour". En passant, de raviver ici dans le présent les liens passés entre les figures aimées- le père Jacques Higelin, Brigitte Fontaine... -et nos avenirs.
     

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    Intimité: l'économie des moyens scéniques, à mille lieues de tout gaspillage technologique ouvre sur le rêve, autant que l'inépuisé inattendu des paroles et des mélodies. Et doucement l'on s'envole. Une toile peinte, en bois un oiseau et un squelette géant, la lumière d'une torche électrique qui transforme les musiciens en ombres de géants. Ceux ci sont, A.H. inclu, juste 4 sur scène mais qui s'aventurent dans tous les rôles où les chansons les emmènent:  le violoncelle devient basse, la batterie se multiplie en percussions, les guitares explorent tous les registres de l'imaginaire. Le piano d'Arthur refuse toute esbroufe: le plus souvent un humble support harmonique et rythmique. Mais soudain surgit de ses doigts un solo furieux , inattendu et nécessaire. Sa voix ose, sincère, d'un rauque gainsbour(g)ien jusqu'à de vulnérables envolées, à nu.  Depuis les disques des débuts jusqu'au dernier en date- "La Vie" bien nommé- s'entête une belle évidence, le seul sujet peut-être: vivre encore et s'en émerveiller, envers et contre tout , à l'instar du chercheur d'or en proie à la gangrène qui écrit "tout va bien", comme la boxeuse amoureuse qui esquive les coups.
     
    Lire aussi http://unsoirouunautre.hautetfort.com/archive/2013/09/15/arthur-h-i-m-beginning-to-see-the-light-5166650.html
     
    Arthur H, accompagné de Nicolas Repac, Pierre Le Bourgeois et Raphaël Séguinier vu au Théâtre de Saint Nazaire le 20 janvier 2024.
    Guy