C'est vite vu: ce soir le vocabulaire chorégraphique va plus chercher ses inspirations coté zoo et basse-cour que dans le catalogue académique. Ce Faune ne s'envole pas vers le poétique, il trace son chemin à coups de sabots, de mouvements hachés, tout contrefait et tourné en dedans, sur un seul plan, de gauche à droite de la scène et retour, ni profondeur ni mouvement vers le haut, bête sans ambiguïté. Le collant est hérissé, évoque de plutôt loin les photos de Nijinski. Faute de nymphe disponible, la créature finit par faire l'amour aux cônes de lumière, sa corne repositionnée où il faut, dans un élan masturbatoire et espiègle. On ne sait au juste ce que Marie Chouinard a choisit de retenir de ceux qui l'ont précédés, pour exécuter ces deux pièces de répertoire, et ce qu'elle a choisi d'oublier de toute la tradition pour revenir à plus archaïque, mais le résultat est drôle et perturbant.
Pour le Sacre, l'habituelle thématique sacrificielle est laissée au bord du chemin, pourquoi pas? Ce printemps s'éveille en pleine nature, évidemment. Les danseurs-animaux s'agitent tous azimuth, chacun dans sa prison lumineuse, mais sans barreaux. La lumière, en l'absence de décor- comme pour le Faune-, structure et découpe l'espace au cordeau. Moulinets, sauts et parades tout y passe, nerveux et saccadé. Jusqu'aux démonstrations d'art martiaux, façon grand maître mimant la prise du chat ou de l'oiseau. Quelques espaces lumineux finissent par se croiser, pour des rencontres assez troublantes: un mâle en rut se frotte à une femelle bardée de cones pointues. Les autres bestioles continuent solitaires à se dépenser up-tempo, les espaces-lumières s'allument et s'éteignent, on commence à se lasser, et même de Stravinsky. Les danseurs évoluent vers le collectif, mais un peu trop tard, puis le printemps se transforme franchement en saison des animaux amoureux. Le faune de tout à l'heure s'est-il glissé parmi eux incognito? C'est, en tout cas, le retour des cornes en érections. Se sent on menacé dans notre virilité? On frôle en tout cas la sur-dose de symboles phalliques. Tout cela, jusque dans la rudesse des gestes, est masculin à l'excès. Est ce l'expression du complexe de castration érigé en système chorégraphique?
C'était Prélude à l'aprés-midi d'un faune et Le Sacre du Printemps, ♥♥♥♥♥♥ de Marie Chouinard, au Théâtre de la Ville. Jusqu'au 6 avril.
photo du site internet du Théatre de la Ville