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T.N.O.

  • Pur et dur

    J'avais vu une première fois cette mise en scène du maitre de Santiago ici même en 2006.

    Cette fois ci, mon ami Gilles en rend compte:

     On ne sera jamais assez reconnaissant à Jean-Luc Jeener de donner, avec un budget quasi nul, trois fois plus de chefs-d’œuvre classiques (au sens large) en une saison que la Comédie-Française.  Bien que ne tournant pas le dos aux auteurs officiels (Molière, Shakespeare, Racine, Genet, Beckett…) chers à la nomenklatura culturelle, il exhume aussi des œuvres de dramaturges moins en cour, voire quasiment enterrés, comme Corneille, Claudel, Giraudoux ou Montherlant. Ce faisant il œuvre pour la survie de la culture, la vraie, celle qui procède de la rencontre entre un auteur unique, avec ses passions, ses obsessions et ses idiosyncrasies, et un public d’hommes libres désireux de se construire et d’en savoir plus sur eux-mêmes et sur le monde.

    L’œuvre de Montherlant repose sur une observation minutieuse de l’existence et sur le souci absolu de la vérité humaine. De cette observation (qu’on peut apprécier dans des œuvres quasiment naturalistes comme Les jeunes filles ou Les célibataires), il tire une morale et une métaphysique. Cette dernière repose sur la tension permanente entre un panthéisme nietzschéen, une animalité assumée  (Pasiphaé, Le songe, Les bestiaires, etc), et une vision détachée et nihiliste de l’existence qui le rapproche des stoïciens, des mystiques espagnols et des jansénistes (Mors et Vita, Explicit Mysterium). Cette apparente contradiction n’en est pas une, puisqu’elle caractérise notre condition humaine ; mais, chez Montherlant, elle débouche sur une morale, qu’il qualifie de morale de l’alternance, et qui constitue une sorte de bréviaire permettant de concilier recherche du bonheur et acceptation lucide de notre condition de mortels. Il s’agit en somme d’agir selon ses passions, comme si on les prenait au sérieux, tout en se ménageant une porte de sortie, une stratégie d’esquive, parce qu’on sait bien que l’existence ne l’est pas.

    Si le héros d’une œuvre de fiction autobiographique – Alban de Bricoule, Costals – se doit donc de pratiquer constamment cet exercice spirituel, au théâtre il est tentant pour l’auteur de se dédoubler, transformant ainsi la pratique de l’alternance en conflit entre des personnages pouvant susciter un intérêt dramatique. C’est sur ce principe que repose Le Maître de Santiago. Don Alvaro, austère « moine-soldat », aspire à la pureté et à la transcendance divine. Il vomit l’Espagne de son temps qu’il considère comme corrompue. Il ne désire plus que s’abîmer en Dieu. Les autres chevaliers de l’ordre disent oui à la vie. Ils rêvent de conquêtes, de pouvoir ; ils ne dédaignent pas la richesse ; ils veulent le bonheur de leurs enfants et acceptent les lois de l'existence. L’un d’entre eux, Don Bernal, par calcul, parce qu’il veut que son fils épouse la fille de Don Alvaro, et que celui-ci s’enrichisse afin de la doter, tente de convaincre Alvaro d’aller briguer argent et pouvoir dans le Nouveau Monde. Rien n’y fait, pas même l'objection évidente que cette exigence n'est qu'une forme d'orgueil.  L'homme est déjà dans l'au-delà; les affaires terrestres ne lui sont plus qu'une nuisance.

    De nos jours ce théâtre d'idées passe paradoxalement mieux à la scène qu'à la lecture; incarnés dans des personnages, les considérations éthiques et métaphysiques, les principes généraux n'en acquièrent que plus de force -- surtout s'ils s'opposent les uns aux autres.  Les valeurs portées par l’œuvre de Montherlant sont si éloignées de l'esprit contemporain qu'elle gagnent en crédibilité, exprimées par des personnages en chair et en os.  La mise en scène et les acteurs -- compétents voire excellents -- sont tout entiers au service du texte. Le décor se réduit à quelques braseros, qui enfument progressivement la pièce, tout en s'éteignant petit à petit, les uns après les autres. Évocation saisissante des conditions de vie au début du XVIe siècle, mais aussi symbole.  La poésie des phrases sonne, les forces vitales et spirituelles se heurtent. La pièce se termine par un long épilogue élégiaque, marqué par le christianisme le plus sombre,  celui de l'Ecclésiaste et de Pascal, après que le personnage principal eut convaincu sa fille, elle qui incarne l'amour de la vie, de se sacrifier pour le rejoindre dans son culte intransigeant du Néant.

    Le maitre de Santiago d'Henry de Montherlant mis en scène par Patrice Le Cadre, vu au théâtre du Nord Ouest le 9 juin 2014.

    Gilles

    Postface au compte rendu de Gilles:

    Ici est choisie l’épure, et ainsi tout est bien. Le texte file droit, sans trop d’effet ni de diversions, vers une conclusion inévitable : le refus de la vie. L’économie de décors et d’accessoires dit l’ascèse et la pauvreté. N’est laissé que ce qui prend  du sens : l’épée, la croix…  De rares lumières percent  l’obscurité,  jugements et  décisions sont difficiles. Juste, la mise en scène autorise assez d’humanité à l’interprétation pour éviter que le propos ne devienne  insupportablement  sec, qu’il soit intense au contraire. C’est même une pièce où l’on se touche beaucoup, comme pour s’excuser de l’affrontement des idées, pour se consoler et s’assurer de rester encore soi-même un peu vivant.

    L’essentiel est qu’il s’agit d’une belle pièce politique, car elle a la rare qualité de ne pas être manipulatoire, dans le sens où le spectateur peut faire son choix. Si l’auteur et le metteur en scène ne le font pas, Il est sain pour le spectateur  de prendre parti, en regard des enjeux que la pièce peut agiter aujourd’hui. Ces enjeux ne sont plus ceux de L’Espagne du XVI° siècle, ni même ceux du contexte colonial  contemporain de l’écriture de la pièce. Comme tout un chacun, je ressens comme il est tentant de céder aujourd’hui au dégout de la politique, de se détourner de la chose publique et de s’abstenir, pour affirmer sa propre intégrité. C’est sans doute la voie la plus facile. Mais aujourd'hui j’ai plutôt envie d’en finir avec Don Alvaro !

    Guy

  • Spectacle vivant

    La salle est peinte en noir, nue, ce soir il faut très chaud. C'est normal en enfer. Trois morts-vivants en huis clos, à ne plus se supporter en direct sous le regard des spectateurs. On peut voir cela tous les jours sur écran mais le texte là n’est ni de Loana, ni de Nabila: de Sartre en personne. N’empêche, qu’en reste-t-il aujourd’hui? La thématique sartrienne est bien rouillée mais la mécanique théâtrale tient toujours. Peu importe l’enfer maintenant. Et la philosophie est morte, elle aussi. Reste la construction en montées et paroxysmes, surtout de beaux acteurs, bien vivants, qui réinventent les passions, se réapproprient les mots usés, font ressusciter de cris et sueur tout ce qui est suranné,  à force de physicalité. Ils en conjurent l’enfer, (Dieu ?) merci !

    Huis Clos de Jean Paul Sartre, mis en scène par Isabelle Erhart avec Marta Corton Vinals (Estelle), Alicia Roda (Ines), Joel Abadie (Garcin), Jean Louis Wuillemier (garçon d'étage) , vu au Théâtre du Nord-Ouest le 24 août 2013.

  • Goldoni: les vacances ne sont pas finies

    A quelle époque sommes nous ici? Textuellement vers 1761 en compagnie du vénitien Goldoni, mais aussi quelque part au début du siècle dernier à se laisser guider par les manières et les costumes- charme discret de la nostalgie-, et tout autant ici et maintenant, dans cette salle du T.N.O. où plus qu'ailleurs se fait oublier la distance entre le public et la scène, lorsque les spectatrices d'un certain âge continuent à papoter alors que les acteurs en domestiques s'affairent comme si de rien n'était à la préparation des valises.

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    En vérité nous sommes ce soir à la veille des vacances de tous temps- celle des riches évidemment. Dehors, ou bientôt: la crise. Mais l'important c'est une fois encore de partir, de jouir du sursis de l'été. En attendant la faillite, tels des personnages de Scott Fitzgerald ou du Jean Renoir de La Règle du Jeu, on se grise à crédit de vins légers, d'apparences et de frivolités. Même, entre l'essayage des dernières robes à la mode, une tasse de chocolat relevée de quelques médisances et une partie de cartes, on croit s'aimer. Mais dans les amères limites des conventions et des intérêts bien compris.

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    Cela pourrait être déja vu et trop attendu, si ce n'était joué délicieusement léger, d'un élégant réalisme, toutes âmes vouées aux désillusions, les domestiques juste un peu plus lucides que les maîtres. La gravité et la noirceur se laissent juste deviner en filigrane. Epurée également de ce qui la déséquilibrerait trop ouvertement coté mélodrame ou bouffonnerie, l'œuvre en trois parties se savoure comme en creux. Ce théâtre est subtilement politique, l'air de ne pas y toucher, avec plus de portée que si avaient été employées des lourdeurs pasoliniennes. Parce qu'on se surprend à s'attacher à ces personnages pourtant dépeints sans concessions. Vrais à un point qu'ils nous inspirent indulgence et tendresse, nous rendent accros à ce sitcom avant la lettre, une comédie douce-amère comme les Woody Allen dernière manière. On ne supporterait pas de manquer un seul épisode de cette trilogie: plus qu'une consolation, pour une rentrée contrariée.

    C'etait la Trilogie de la Villégiature, de Goldoni, traduite, adaptée, mise en scène par Carlotta Clerici (Théâtre Vivant), rediffusée en alternance au Théatre du Nord Ouest  jusqu'au 2 octobre.

    Guy

    lire aussi: Martine Silber

    photos (Droits Réservés) vec l'aimable autorisation de Carlotta Clerici.

  • Tartuffe, acte 1

    Dans quelques mois, l'Eglise de Scientologie  sera convoquée en tant que personne morale devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de l'accusation d'escroquerie en bande organisée. Tartuffe, quant à lui, court toujours. Pas toujours évident de reconnaitre l'escroc: il y a depuis Molière, des tartuffes gros et des tartuffes maigres. Jerome Keen, saississant dans le rôle titre, appartient sans doute possible à la seconde famille: plus effrayant que comique, sombre, emancié, sévère, le crâne rasé, de même que la mise en scène colle ici au Molière TNO.jpgtexte d'une manière on ne peut plus efficace, intense et austère. Avec, comme les bons soirs au T.N.O, proximité entre le public et les comédiens, absence de décor, sobriété intemporelle de costumes tendance avant guerre. Pas si facile non plus de juger l'arbre à ses fruits: l'aveuglement d'Orgon, la victime, reste le principal ressort comique et dramatique de la pièce. Porté à l'extrème quant il faut que sa femme Elmire manque de se faire violer sous ses yeux par Tartuffe, afin qu'enfin ceux ci ne se dessillent. Comme quoi les femmes y voient clair bien avant les hommes, n'en déplaise à MMe Laure Adler qui expliquait il y a trois jours sur Arte que chez Molière les personnages féminins étaient ridicules ou insignifiants. Mais l'auteur ne dit rien ou presque des raisons de la folie d'Orgon, de la soif spirituelle dont il doit forcement souffrir au point de se livrer corps et âme à l'imposteur, lui offrir cet amour indécent et sa fille en prime. Sauf à admettre que richesses et plaisirs terrestres déaltèrent si peu qu'il faille les sacrifier aux faux prophêtes. Malgré les efforts de la justice, Tartuffe a de beaux jours devant lui.

    C'était Tartuffe ou l'imposteur, de Molière, m.e.s. par Edith Garraud, au Théatre du Nord Ouest, en alternance dans le cadre de l'intégrale Molière jusqu'au 8 mars 2008

    Guy

  • Deux jumeaux peuvent en cacher des autres

    Pas de vraie intrigue sans jumeaux: ils sont nombreux et depuis des siècles, les auteurs de théâtre à avoir tiré sur ces ficelles à force usées, pour faire apparaître et disparaître des jumeaux- vrais ou faux, doubles, sosies, imposteurs de toute nature. Brecht en bas de la liste, pour une version dialectique-marxiste plutôt indigeste. Chaque fois, c'est la virtuosité dans les substitutions et ces tours de passe-passe, l'enchaînement crescendo des quiproquos, qui dans un premier temps épate. Puis on se dit qu'est révèle quelque chose d'essentiel du théâtre dans ces jeux de géméllités, d'usurpations, d'échanges d'identités. De caractérisations contrastés qui ne s'avèrent être que trompeuses apparences.

    medecin volant.jpgDans le Médecin Volant, Sganarelle se dédouble. S'improvise médecin pour tirer d'embarras une ingénue. Puis piégé par sa propre imposture, doit s'inventer un frère jumeau moins honorable, jusqu'à rencontrer de plus en plus de difficultés pour jouer les deux personnages à la fois. Il prouve au moins en passant qu'il suffit d'être pédant pour apparaître comme un médecin compétent. Etre aux yeux des autres ce qu'il n'est pas vraiment. Les ingrédients des grandes tragi- comedies qui suivront sont déja présents... mais quand il écrit le Médecin Volant (1645), Molière (1622-1673) n'est pas encore vraiment Molière, apparemment. Il se fait les dents. Se contente d'être bouffon. Les effets tombent, lourds, et peinent. Ce Sganarelle semble à tout bout de champ effrayé par sa propre imposture, sa gène devient communicative. La troupe peine ce soir à animer le texte tel quel, et n'ose pas ré-inventer.

    Juste retour à la comedia dell' arte qui avait inspiré Molière: les Jumeaux Venitiens (1747), de son suiveur Goldoni (1707-1793), sont quant à eux des jumeaux pour de vrai. Mais de caractères opposés et que l'on prend sans arrêt l'un jumeaux.jpgpour l'autre. L'un est noble et raffiné, l'autre veule et idiot, à 100 % gouverné par ses instincts. Comme deux faces irréconciables d'une même personnalité. L'intrigue est échevelée et irrésumable. La comédie de moeurs glisse insensiblement vers la noirceur, sans renoncer à un enjouement enfantin. Voire. On ne peut que s'effrayer que chacun des actes de l'un des jumeaux engage la vie-voire la mort-de l'autre. La comédie de l'argent et de l'amour ne connait pas de pitié, la société change pour un cynisme assumé, le siècle finira par s'effondrer. Interprété sur tréteaux en pleine ville par un dimanche ensoilellé, c'est une belle illustration de ce que peut offrir le théatre édudiant, avec vigueur et sincérité, mais avec justesse pourtant.

    Reste à se demander si on peut aujourd'hui encore nous faire le coup des jumeaux: Depuis le temps de Martin Guerre le contrôle social fait que l'identité officielle est de plus en plus placée sous contrôle. Ce n'est plus aujourd'hui que sur le territoire virtuel du net que l'on peut encore redéfinir ses rôles et ses apparences.

    C'était Le medecin volant de Molière, mis en scène par Valérie Thériau, au Théatre du Nord Ouest, dans le cadre de l'intégrale Molière en alternance jusqu'au 8 mars. Et Les Jumeaux Venitiens de Goldoni mis en scène par Alexis Roque, vu en juin en plein air, avec les scènes d'été du Théâtre 13.

    Guy

  • Pour Shylock

    352405803.jpgSur quel pied peut-on jouer, de quel oeil peut-on voir, aujourd'hui, le Marchand de Venise? On s'aventure sur un terrain moralement plus périlleux encore que celui où évolue La Mégère Apprivoisée. Il faut sans doute que la pièce soit jouée comme elle est écrite. Car, si on ne peut pas se représenter comment l'oeuvre était reçue et comprise par son public du temps de Shakespeare, il est évident qu'aujourd'hui toute notre empathie va à Shylock. L'insouciante arrogance d'Antonio et Basiono, et avant tout leur antisémitisme-bien qu'user de ce terme ici soit assez anachronique- nous irrite et nous révolte. Shakespeare charge Shylock de lourds stéréotypes-avarice, fourberie et acrimonie-, et en fait un Harpagon sanguinaire. Mais l'auteur offre à son personnage un cadeau hors de prix: ce monologue universel et poignant, parmi les plus beaux de son oeuvre:

    Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes,
    des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec
    la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé
    aux mêmes maladies, soigné de la même façon,
    dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été
    que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?
    Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,
    ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?
    Acte III, scène I

    Après cela, qu'écrire de plus? 

    Que la cause de la chute de Shylock, par delà toute contingence, est que cet homme ne sait résister à ses passions. Maladie mortelle qui perd  plus d'un personnage shakespearien. Shylock persiste dans la vengeance, au lieu de s'abandonner au pardon, ce pardon qui sauve les personnages de Mesure pour Mesure. On constate aussi que l'argent, de tous temps, se paye en livres en chair. Lorsque le marchand juif, incarné par Jean Pierre Bernard, la voix ancrée au plus profond, sort de scène, il faut beaucoup de charme et savoir-faire aux interprêtes d'Antonio et de Portia pour que l'on s'intéresse encore un peu aux marivaudages de leurs personnages. Une fois encore le T.N.O. assure, avec les moyens du bord, un travail salutaire de conservation du répertoire, alors même que beaucoup de scènes subventionnées se consacrent plutôt à la création. Ce qui est bien sur une tâche tout aussi importante, en plus d'être plus gratifiante pour les créateurs, mais...

    On regrette que Will Eisner (1917-2005) ne nous ai pas offert sa version sur papier du Marchand de Venise. Le grand créateur de bandes dessinées s'était interrogé à la fin de sa vie sur les stéréotypes raciaux dans les arts, et leur influence sur les mentalités. Avec assez d'honnêteté pour regretter d'avoir eu lui-même la légèreté dans sa jeunesse d'avoir créé pour son héros masqué, The Spirit, un faire-valoir du stéréotype "bon nègre". Ces travaux et réflexions de Will Eisner trouvèrent leur aboutissement avec un album passionnant: "Fagin le juif" (2003), réhabilitation du personnage négatif d'"Oliver Twist" de Charles Dickens, recréé dans le souci de la vraisemblance historique et sociologique, au rebours des idées reçues. Que nous aurait il appris sur l'autre stéréotype juif de la littérature anglaise?

    C'était Le Marchand de Venise ♥♥♥♥♥ de William Shakespeare, mis en scène par Geneviève Brunet et Odile Mallet. Au T.N.O..

    Dimanche prochain encore

    Guy

  • Le Roi Lear d'heures en heures

    Pour ouvrir l'intégrale ShakespeareTroilus et Cressida étaient expédiés à très grande vitesse. Pour finir, le Roi Lear prend son temps pour mourir. Cinq heures d'errance, de folie, et de délitement. Pas plus, pas moins. 

    352405803.jpgC'est la première heure qui parait la plus longue. On écoute et on résiste. Comme contre tous les débuts de pièce? Malgré le Roi Philippe Desboeuf, magnétique, passé de l'autre coté de l'âge, osseux et aux longs cheveux d'argent, madré et reptilien. Mais tout au long de ces premières minutes, il n'y a rien à comprendre que l'on ne sache déjà: la grande scène du partage du royaume, les flagorneries de Gonerill et de Regane, la disgrâce de Cordelia, les premières manoeuvres d'Edmond, on connaît tout cela par coeur. Et le début de cette pièce chaque fois choque par trop d'invraisemblances. Qui peut croire à un Roi qui abdique avec tant de légèreté, et donne tout à ses filles? Il y a des difficultés insurmontables à rendre crédible la colère capricieuse de Lear contre la pudeur de Cordelia. Prétextes, fausse pistes... Pour nous mener où? Consolation: Philippe Desboeuf nous pétrifie de fascination, son interprétation du Roi Lear est dans notre esprit hantée du souvenir de celle du Roi Ferrante. Les deux personnages ont en commun d'avoir de sérieux problèmes avec le pouvoir et la vieillesse. Et chacun a sa stratégie propre pour échouer à les résoudre. Autour du phénomène Desboeuf, la distribution est homogène, ce qui n'a pas toujours été le cas durant cette intégrale.

    Seconde heure, des fourmis dans les jambes, mais l'affaire décolle pour de bon avec le retour de Kent (l'excellent Jérome Keen), qui entraîne Lear et son fou vers d'étonnants terrains bouffons. Joue-t-on souvent ces scènes là de cette façon si légère? Le roi Lear n'est pas si digne que cela, plutôt un enfant terrible, on en excuserait presque son hôtesse Gonerill d'exiger des coupes budgétaires dans cette escorte si tapageuse. Ces enfantillages constituent ils les premières manifestations de la folie de Lear? On ne ressent nulle pitié à être témoin de son aveuglement. La tension monte, c'est le retour chez Regane, enfin Lear est chassé, au dehors, dans la tempête, hors du monde. Les choses sérieuses vont commencer. Une dame ronfle sur son siège, mais c'est plutôt bon signe, car le reste de la salle en est agacé. On sort 10 minutes à l'entracte, rassuré d'avoir envie d'y retourner. On lit une interview de Jeener sur un mur, on y apprend qu'avec Shakespeare le T.N.O. a fait sa meilleure recette depuis sa création. Très bonne nouvelle, tant mieux pour les comédiens, on espère juste qu'il restera de quoi remplacer quelques fauteuils. 

    Retour pour la troisième heure, on est accueilli et ébranlé par la tempête. On s'abîme d'un coup dans une pièce devenue onirique, un aspect qu'on avait un peu oubliée. Les personnages sont dispersés par les éléments, les liens entre eux se brisent. Basculement et vertige au moment précis où, au milieu de fumées aux couleurs psychédéliques, Edgar/Tom apparaît. Créature chauve et nue, balbutiante, contrefaite, primitive. beuglante. Place à la folie, et dans notre regard une incompréhension jubilant et inquiète. Réplique celebrissime "Toi aussi tes filles t'ont tout pris?" Lear lui tend son manteau de peaux de bêtes, tous deux dansent nus, quitte à choquer silencieusement quelques vieilles barbes dans le public, qui viendront s'indigner sur le livre d'or. Faux problème: Jeeener n'est pas du genre à déshabiller Tartuffe pour épater. C'est juste qu'à lire W.S.,Tom doit être nu, donc il est nu: c'est aussi simple que cela. Et il est d'ailleurs toujours aussi difficile d'écrire quoique ce soit à propos des mises en scène de Jeener, tant celles-ci se caractérisent par leur humilité. Par un parti pris de transparence. Aucun effet déplacé, aucun procédé anecdotique qui donnerait prise à des commentaires faciles. Le regard est dirigé sur les acteurs, qui oublient de s'économiser. A défaut de décors, une utilisation quasi métaphysique des lumières... et un goût confirmé pour les "beaux" placements. Pas d'option fermée, la mise en scène reste ouverte sur les multiples sens de l'oeuvre, nous laisse libre. Mais, puisqu'il n'y a jamais de lecture vraiment neutre et objective, une interprétation spirituelle de la pièce est plus que suggérée...

    Quatrième heure enchainée: ankylose certaine, mais on est passé au delà de la fatigue pour s'abandonner à l'ivresse de ressentir. Le sentiment intense de tout voir et tout comprendre par instants, la frustration de se perdre le moment d'aprés dans la confusion. Le sujet de la pièce s'est définitivement déplacé de l'étude du pouvoir et de l'ingratitude, pour essentiellement parler du dépouillement, de la mort. Desboeuf est toujours excellent, mieux que cela. Tant pis pour les brechtiens: on a depuis longtemps oublié qu'il joue. Sublimement, l'intrigue tourne à vide, malgré l'agitation des armées et les rebondissements des intrigues. Quelque part hors la scène, les soldats des différentes factions s'affrontent pour rien. Car Lear est ailleurs. Revenu à l'essentiel. Rien de plus, rien de moins, qu'un homme prés de mourir. Car Gloucester, qui avec ses yeux ne voyait jamais rien, est pour de bon énucléé. Jeener montre l'homme. Réduit à l'essentiel. Le fou et l'aveugle errent dans un monde qui se désagrège, privé de Roi, d'ordre et de raison. Tous deux restent cruellement hors d'atteinte des tentatives de leurs amis pour les faire revenir dans la société. Le langage obscurcit ce qui reste de réalité, il n'est plus besoin du fou. Le ciel est vide. On se perd. Pas de décors ici, ce qui ne fait que donner plus de force à l'impression d'irréalité spatiale, d''indéfinition des lieux, qui caractérise la pièce. Jusqu'au paroxysme de la scène de la falaise, où la convention théâtrale atteint son point d'abîme.

    Cinquième Heure: la bouteille d'eau est presque vide, mais le niveau de tension reste élevé. C'est comme du théâtre existentialiste avec des combats à l'épée. Lente décrue. Les "mauvais" personnages succombent à la logique de leurs ambitions et de leurs folies. Les "bons" aussi. Tous sont punis. On sent venir la fin, le taux de mortalité monte en flèche, les morts sont tristes et inutiles. N'ont même plus d'importance. Ovations. On sort, poursuivi par Lear pour longtemps encore, n tout cas plus que cinq heures.

    C'était Le Roi Lear ♥♥♥♥♥ de William Shakespeare, mis en scène par Jean Luc Jeener, avec Philippe Desboeuf, et quinze comédiens, au T.N.O

    Prochaine et dernière représentation dimanche 9 mars, dernier jour de l'intégrale W.S.

    Guy

  • Shakespeare: contes et songes

    Il est tout à fait possible d'emmener les petits découvrir Shakespeare, sans que le songe ne se transforme en f05fbe43deffc2465e3d973143a7a8b5.jpgcauchemard. Au Théatre Mouffetard, les sortilèges d'amours sont administrés à coups de piqûres par deux acteurs déguisés en moustiques géants, qui courent sur scène en bourdonnant. Dans ces conditions, le succès est assuré. Bien sur, les adultes vont sourciller en entendant les personnages être rebaptisés "Rillettes" ou "Pur Porc", en découvrant l'intrigue du Songe d'une nuit d'été  simplifiée de 3 à 2 actions simultanées. Tant pis pour eux, ce n'est pas aux adultes qu'ici on s'adresse. Pour le bonheur des vrais spectateurs, les cinq acteurs, et tous leurs masques et costumes, en font des tonnes, en couleurs et en chansons. Les enfants découvrent avec un effarement délicieux que sur scène, et peut être aussi dans la vie, on peut tomber amoureux n'importe quand, n'importe où et de n'importe qui.

    Approche tout à l'opposé, mais avec tout autant de réussite à l'arrivée, au T.N.O. : une voix, quelques 1c6e3715d6b5761733705651e53956b0.jpggestes, une percussion, c'est assez pour quitter la rive et que surgissent de l'obscurité les images du Songe, de la Tempête, de Roméo et Juliette. Le choix de la sobriété. Pour emmener par les détours du conte les enfants, bouches bées, bien plus loin dans la complexité des pièces qu'on aurait pu le penser.

    C'était le Petit songe d'une nuit d'été de Stéphanie Tesson d'aprés William Shakespeare, mis en scène par Antoine Chalard, au Théatre Mouffetard,  jusqu'au 5 janvier, et les Contes de Shakespeare, d'aprés Charles et Mary Lamb par Monique Lancel au Théatre du Nord Ouest, en alternance jusqu'au 9 mars dans le cadre de l'intégrale Shakespeare.

    Guy

  • Lost

    Les rescapés explorent l'île par petits groupes, veulent en percer les mystères, se retrouvent impuissants confrontés aux volontés des étranges habitants du lieu, sont terrorisés par des phénomènes inexpliqués, par les apparitions de monstres et créatures surnaturelles.

    Ce n'est pas la dernière saison d'une serie made in Los Angeles, c'est juste La Tempête, oeuvre tardive de Willy, son quasi testament. Une pièce étrange et onirique, presque ésotérique, de quoi occuper les fabricants d'exégèses fc017e753e191a7a214000796a70ca18.jpgpendant quelques siècles. En tous cas une pièce atypique dans la production shakespearienne: ici nulle passion qui menerait un Macbeth ou un Othello jusqu'à son propre anéantissement, ni intrigue à proprement parler qui nous tiendrait en haleine. Trahisons, luttes de pouvoir: toute l'action a eu lieu avant  la pièce, dans un temps ordinaire, suspendu par la tempête. Ensuite, comme dans les séries d'aujourd'hui, les naufragés rencontreront leur vérité à travers les épreuves. Mais c'est l'île elle même- et ses incarnations primitives: Ariel et Caliban- qui est le personnage principal de la pièce. Un lieu de magie, mais comme empreint d'une lassitude apaisée, où les passions se résolvent, où les fautes sont pardonnées.

    L'île est donc un lieu hors du monde et du temps, avec plus d'évidence encore que la forêt du Songe d'une nuit d'été, ou l'Illyrie de la Nuit des rois, une puissante métaphore de l'espace théâtral lui même. Il faut donc que soit imposé à nos esprits l'étrangeté de ce lieu: c'est chose faite dés l'entrée, avec, agitant quatre grandes voiles, une effrayante tempête, ensuite souvent le son des tambours, de beaux effets de lumière, et une juste part laissée au ténèbres. Le texte est ensuite joué avec humilité, mais avec intélligence. Dans cette troupe peuplée de têtes familières pour qui fréquente le T.N.O. François Paul Dubois en Prospero dégage une irrésistible mélancolie, tout autant que de l'autorité. Frédéric Touitou  surjoue un peu Caliban. Surtout, Carlos Ouedraogo campe un Ariel résolument, étonnement, delicieusement africain.

    Tous les mystères ne seront pas éclaircis, tant mieux. Mais qui est vraiment le magicien Prospero, un homme qui, fait extraordinaire, renonce de lui même à sa magie? Peut être ce Prospero est il déjà mort, nous suggère à l'oreille une voix perspicace.... 

    C'était la Tempête de William Shakespeare, mise en scène par Bernard Mallek et Paola Rizza dans le cadre de l'intégrale Shakespeare, au T.N.O.

    Guy

  • Timon-Macbeth: 34-10

    Le match est disputé sur un terrain qui n'est pas neutre. Sur lequel les deux équipes se sont entraînées: la salle Laborey du T.N.O.. Mais chaque camp joue seul et en alternance, devant un public silencieux, ni cornes de brumes ni sifflet. Quand à f661ae2a6ca0d7997ec45348352e1e30.jpgl'arbitre, c'est le grand Will en personne. Dans les ceux équipes, pas de stars internationale, mais des talents déjà remarqués. A noter, au nombre des transferts, Audrey Sourdive, déjà remarquée en pilier dans la mêlée des religieuses de Port Royal, ici talentueuse dans le rôle de la Lady. Macbeth part favori, avec l'avantage de la notoriété, un public presque acquis, plus exigeant aussi? Timon d'Athenes du même Shakespeare est un outsider, quasi inconnu, mal aimé des critiques, qui vont même jusqu'à douter de la paternité de la pièce.

    Las, Macbeth peine à marquer, un peu joué ras le texte. Beaucoup de passes manquées entre les acteurs, pas tous du même niveau. Jouent ils trop perso? Déception, on se souvenait de l'entraîneuse plus inspirée par Montherlant. ll y a des beaux moments de jeu, pourtant, mais trop de démonstrations inutiles, de longueurs plombés d'emphase. On se disperse, sans rentrer dans nos 22 mètres. La sorcière marque un essai, mais pas pas vraiment transformé. Trop de pression? Manque d'entraînement ?

    Timon fait vite la différence, d'une élégance intemporelle, en habit chic colonial. On se souvient de la performance de l'équipe sous la bannière de Jeanne d'Arc. Le terrain dramatique est ce soir43fb9e1190dd68ce707aa010afb73124.jpg bien occupé, dominé d'un bout à l'autre. L'avantage est assuré par un jeu de haut niveau dés le début de partie, sur les thèmes de la prodigalité de Timon et de l'hypocrisie de ses invités. Jerome Keen marque l'essai. Actions d'équipes brillantes à la mi temps, alors que Timon est ruiné, la scène du banquet d'eau chaude servi aux convives avides est d'une précision et d'une énergie à couper le souffle. Dans un même mouvement, l'aisance et l'efficacité. La transformation est réussie, lors d'une belle malédiction jetée à la face d'Athènes, par un Timon amer. Le choc: on est plaqué. Fin de partie un peu moins vive, plus défensive, avec Timon l'ermite.

    C'était Macbeth, mis en scène par Damiane Goudet, et Timon d'Athènes (traduit par Jean-Claude Carrière) mis en scène par Cyril Le Grix - La Torche Ardente,  au T.N.O. en alternance jusqu'à début mars, dans le cadre de 'intégrale Shakespeare.

    Guy

    P.S. : des photos de Timon, ici