C'est un espace en déshérence-une école-d'un vide glaçant et inhospitalier. Au mur: un possible tableau noir éraflé, dont fuit la craie, où rien ne s'inscrit pour pour ne rien expliquer. Un espace de transit avant l'expulsion vers un monde extérieur, effrayant, qui déjà impose ses règles dedans dans toute leur violence. Rien n'y fait espoir ni sens.
Quatre personnages s'y croisent sans repos pour ne jamais s'y comprendre. La fille rebelle, le garçon réaliste, la prof qui y croit encore, le surveillant déjà abîmé par la vie. Leurs corps tendus et intranquilles, leurs voix âpres, se croisent dans l'incompréhension. Le discours bienveillant de la prof, maladroit dans sa verticalité, reste inaudible. Les théories complotistes du surveillant aigri s'imposent avec la force d'autant de revanches sur la vie, sur le pouvoir des puissants. Sous son influence, la fille se laisse griser par le sentiment de découvrir des vérités qu'on lui cacherait, qui pourraient tout expliquer.
Les théories du complot à l’œuvre dans la pièce sont circonscrites à des événements vécus par les personnages, loin de notre triste actualité. Et pourtant... Les mécanismes décrits s'appliquent tout autant: biais de sélection des informations pour confirmer des croyances préétablies, confusion entre coïncidence et causalité, absence de vérification ou de recul critique, défiance envers toute source perçue comme institutionnelle, escalade dans les croyances pour échapper à tout dissonance cognitive, crédulité de personnes vulnérabilisées par des situations d'échec personnel, sentiment de supériorité retrouvé sur les autres pris pour des naïfs....
Pour autant la pièce, servie par une mise en scène serrée et une interprétation à vif n'a rien de didactique. C'est un drame qui se précipite jusqu’à son paroxysme, sans leçons à donner ni solution à proposer. Simplement, tristement, juste.
La théorie, de Marie Yan, mis en scène par Valentine Caille et interprété par Léna Garrel, Jordan Sajous, Guillaume Verdier, Laure Wolf.
Vu le lundi 15 novembre au théatre de l'Etoile du Nord dans le cadre du festival satellites
reprise les 15 et 16 décembre aux plateaux sauvages
Guy
photo avec l'aimable autorisation de la compagnie