Dans quelques mois, l'Eglise de Scientologie sera convoquée en tant que personne morale devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de l'accusation d'escroquerie en bande organisée. Tartuffe, quant à lui, court toujours. Pas toujours évident de reconnaitre l'escroc: il y a depuis Molière, des tartuffes gros et des tartuffes maigres. Jerome Keen, saississant dans le rôle titre, appartient sans doute possible à la seconde famille: plus effrayant que comique, sombre, emancié, sévère, le crâne rasé, de même que la mise en scène colle ici au texte d'une manière on ne peut plus efficace, intense et austère. Avec, comme les bons soirs au T.N.O, proximité entre le public et les comédiens, absence de décor, sobriété intemporelle de costumes tendance avant guerre. Pas si facile non plus de juger l'arbre à ses fruits: l'aveuglement d'Orgon, la victime, reste le principal ressort comique et dramatique de la pièce. Porté à l'extrème quant il faut que sa femme Elmire manque de se faire violer sous ses yeux par Tartuffe, afin qu'enfin ceux ci ne se dessillent. Comme quoi les femmes y voient clair bien avant les hommes, n'en déplaise à MMe Laure Adler qui expliquait il y a trois jours sur Arte que chez Molière les personnages féminins étaient ridicules ou insignifiants. Mais l'auteur ne dit rien ou presque des raisons de la folie d'Orgon, de la soif spirituelle dont il doit forcement souffrir au point de se livrer corps et âme à l'imposteur, lui offrir cet amour indécent et sa fille en prime. Sauf à admettre que richesses et plaisirs terrestres déaltèrent si peu qu'il faille les sacrifier aux faux prophêtes. Malgré les efforts de la justice, Tartuffe a de beaux jours devant lui.
C'était Tartuffe ou l'imposteur, de Molière, m.e.s. par Edith Garraud, au Théatre du Nord Ouest, en alternance dans le cadre de l'intégrale Molière jusqu'au 8 mars 2008