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shakespeare

  • Cabaret Roméo

    Il y a, au coeur, la scène du balcon. Juliette encablée qui se tortille d'amour, en suspension, Romeo qui en bas sort mais revient encore, pour prolonger entre eux l'instant de cette promesse qui s'évapore. Comment puis désirer ce que je possède déja? Tout le mystère est dit, survit au risible de la passion exposée, et à la ronde des personnages grinçants qui entourent ces amants. Ils sont à la fois acteurs, commentateurs, manipulateurs, tentent de nous divertir en soulignant à gros rires et traits de fard, les artifices et illusions. Passion empéchée, tragique conclusion: tout est dit d'avance. N'empeche. La naiveté, passion l'emporte, même distraite par un désordre bouffon, perruques, morceaux de bravoure, rires et chansons, videos au gout du jour, dans une profusion toute shakespearienne. Toute chose se transforme en son contraire, mais on en revient à l'essentiel. Ce couple sous la loupe porte jusqu'au sacrifice notre soif d'absolu et de révolte, c'est, tout mis à part, d'une belle simplicité.

    C'était Roméo et Juliette de William Shakespeare, m.e.s. par Julien Kosellek.  au théatre de l'Etoile du Nord.

    Guy

  • Hamlet à temps

    Ils ont tous un peu plus ou un peu moins de 30 ans, pas trop de temps à perdre, et Shakespeare pourrait avoir écrit la pièce pour eux pas plus tard qu'hier, ou c'est tout comme, avec Sweet Dreams à fond dans la scène d'introduction. Un Hamlet à jouer au pas de course (deux heures maximum): en toute fidelité l'histoire à la fois simple et compliquée d'un jeune homme confronté à toute la difficulté d'être un homme dans un monde de vieux. Où les fils n'en finissent pas de porter les crimes et malédictions de leurs fantômes et ainés, dommage pour l'amour avorté entre Ophélie et Hamlet en pleine dep', autant de fumée dans la tête que sur la scène. Romain Cottard dans ce rôle titre, surprenant et efflanqué entraîne la pièce de rebond en rebond, de la bouffonerie à l'interrogation existencielle jusqu'au To Be,etc... dépoussièré. Avec énergie, toute la troupe prend possession de l'espace, scène et salle confondue, ne gaspille pas un temps précieux en entrées et sorties, ponctue le drame en chorégraphies vigoureuses et rock' n' roll.

    C'est souvent gonflé, rarement forcé (sauf lorsque ces jeunes ont un peu de mal à être crédibles à entreprendre de jouer les vieux trop comme des vieux). L'histoire est racontée dans l'urgence mais avec intelligibilité, dans toute la profondeur de ses mises en abyme. Si riche, vive et crue qu'elle n'a pas besoin d'être modernisée pou être d'aujourd'hui (lorsque le fossoyeur traite Yorik de fils de pute... c'est bien dans le texte!).

    C'était Hamlet, de W.S. , m.e.s. par Igor Mendjisky, au théatre Mouffetard, jusqu'au 19 mars.

    Guy

  • Retour aux classiques

    Un mercredi blanc de neige et Paris au bord de la paralysie: c’est le moment de se souvenir que le Théâtre de Vanves n’est qu’à cinq minutes du métro, donc le trajet le plus court pour repartir en Villégiature, même juste le temps d’une soirée… Cette pièce est admirable. Beaucoup le savent, depuis deux siècles et demi, même pour moi ce n’est pas une surprise: je partageais ici tout mon enthousiasme en 2009. Nous avons presque passé 2010 mais la crise s’accroche, Goldoni reste donc actuel plus que jamais (et pas moins que Copi), avec ses riches impécunieux prêts à tout pour sauver les apparences. Les revenus fondent, les dettes s’accrochent,  on tient malgré tout à partir en vacances quand même, tous esclaves de la ronde des modes et des convenances, et de  l’argent bien sur.  

    La mise en scène de ce soir semble le résultat- heureux à l’arrivée- d’un compromis, entre des tentations contemporaines (la stylisation de la première partie située en ville et jouée plaquée avec frénésie à l’avant-scène avant que le décor ne tombe pour ouvrir l’espace sur l’aisance et le calme de la résidence d’été,  les didascalies dites face au public, les changements de rôles sans artifice…) et une jubilation à jouer pleinement les personnages et les intrigues. La pièce ne s’en porte pas plus mal, énergique et rythmée. Et ne sont pas sacrifiés pour autant la clarté des situations, sous la drôlerie l’acuité des observations sociologiques. En vérité j’oublie la mise en scène et suis emporté, y crois (en particulier épaté par Filippo- Olivier Achard, la bonhomie et naïveté faite homme). Frustré pourtant que la trilogie soit amputée de l’épisode du retour, avant qu’il ne faille soi-même repartir dans le froid…

    Un peu bas que Vanves, sous encore plus de neige, se trouve Clamart, deux jours plus tard, pour Macbeth. Se pose à moi un cas de conscience, car à force d’être refroidi, je ne me trouve plus dans des conditions de santé propices pour apprécier cette fois ci la performance et moins encore pour en parler…  Mais impossible de ne pas tout de suite saluer l’énergie et l’enthousiasme de cette troupe qui sans décors ni budget visible, sur un plateau de salle des fêtes, ranime de force Shakespeare avec bruit et fureur. C’est un antidote efficace à la sinistrose culturelle ambiante !

     C’était la Villégiature de Goldoni, mise en scène par Thomas Quillardet et Jeanne Candel, vue au théatre de Vanves, et Macbeth de Shakespeare, mis en scène par Thomas Adam-Garnung à l’Espace saint Jo

  • Lectures, poètes, dictateurs.

    C'est le 23 avril et nous apprenons que ce soir se fête l'anniversaire (1) de William Shakespeare. Dans l'enchantement de la salle circulaire et superbement délabrée des Bouffes du Nord, on pourrait se rêver au théatre du Globe. Mais le temps engourdit. La voix du poète nous parait hélas bien distante, étouffée. Les mots dits ce soir ne nous viennent pas des pièces de théâtre, mais des sonnets. Ce choix est audacieux, l'audace s'arrête là. Les deux interprètes lisent, notes en main, assis sur des tabourets. Et bien sûr impeccablement, avec une sensibilité et une rigueur au dessus de toute reproche. Avec trop de précautions? Ces textes sont doux-amers, pétris d'humanité et de nostalgie, évoquent la fuite du temps, les désillusions amoureuses. Mais on peine à les comprendre, ainsi lus en v.o. et sur-titrés, et plus encore à s'y intéresser. Le parti pris de cette mise en lecture ressemble plus à du manque d'imagination qu'à du respect. Peter Brook étant Peter Brook, on hésite à en rester à ce constat. On tend l'oreille avec plus d'efforts pour saisir des subtilités cachées. On ne parvient qu'à se confronter à un exercice élitiste, manièré et précieux, renfermé sur lui-même, acteurs tournés vers l'auteur, n'incarnant que du bout des lèvres. Quand Shakespeare évoque le feu de la jalousie, les comédiens tentent vers l'un vers l'autre quelques mouvements et fâcheries: rien de plus que des connivences polies. Une occasion perdue.

    Mandelstam_1934.jpg

    Ecrites sous le règne rigoureux d'Elisabeth 1er, alors que les audaces littéraires et théâtrales pouvaient coûter la liberté ou la vie aux artistes, les oeuvres de Shakespeare ont survécu aux années jusqu'à fonder le théâtre moderne. Sous la dictature de Staline, Nadejda Iakovlevna Mandelstam dut apprendre par coeur les poèmes de son mari, Ossip Emilievitch Mandelstam (1891-1938) afin que son oeuvre survive à la censure. Mandelstam,  quant à lui, mourut, déporté, insoumis. (Ce qui remet, mais on va trop hors-sujet, les trangressions artistiques d'aujourd'hui à leur juste place). C'est l'histoire de Mandelstam que Robert Littell  raconte dans son roman (2), c'est cette histoire que les acteurs lisent. Une vraie lecture, celle-ci annoncée comme telle, assumée, et toute proche de l'improvisation. Au point que l'interprête-telle Irene Jacob- puisse parfois se perdre un peu dans le texte: c'est la contrepartie de la prise de risque qui permet à l'ensemble de prendre vie, avec une tension et une inquiétude à la mesure des situations sans retour qui sont revécues. Laurence Roy incarne Nadejda Iakovlevna avec élégance et intensité retenue, le drame progresse avec une cruelle ironie jusqu'au surprenant face à face entre Mandelstam et Staline. Antonio Interlandi est "le montagnard du Kremlin", déja dans le jeu, effrayant, et sans besoin de fausse moustache... Littell n'est pas Shakespeare, evidemment, mais se consacre avec force à ce sujet poignant, cet engagement est repris par les acteurs, intact et vivant. Robert Litell vient raconter en quelques mots sa rencontre d'il y a 30 ans avec Nadejda Iakovlevna. A nos cotés deux amies polonaises, admiratrices du poète, nées de l'autre coté du rideau de fer, le passé est palpable.

    C'était Love is my Sin, sonnets de William Shakespeare adaptés par Peter Brook, interprétés par Natasha Parry, Bruce Myers, Franck Krawczyk (musicien), au Théatre des Bouffes du Nord, jusqu'au 9 mai. Et la lecture d'extraits de "L'hirondelle avant l'orage" de Robert Littel, par Irene Jacob, Laurence Roy, Antonio Interlandi et André Oumansky à l'hotel Lutétia, dans le cadre des samedis littéraires

    Guy

    (1) Si l'on en croit la tradition, le seul fait vraiment établi est que W.S. fût baptisé le 26 avril 1564. (lire absolument "Shakespeare" de Peter Ackroyd, points, ISBN 978.2.7578.05556.5)

    (2) "L'hirondelle avant l'orage" de Robert Littell, aux éditions Backerstreet.

    Concernant les sonnets, à lire l'article de ma voisine, tout aussi ennuyée. Et un autre point de vue , et encore un autre.

    La photo est celle de Mandelstam à son arrestation.

    P.S.: le 5 mai prochain, l'écrivain Nedim Gûrsel sera jugé à Istanbul pour "atteinte aux valeurs religieuses "http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/04/25/un-romancier-franco-turc-devant-les-juges_1185380_0.html

    PPS: Iouri Samodourov et Andrei Erofeiev sont présentés, le 29 mai, devant un tribunal moscovite à suite de leur exposition. Ils encourent une peine de prison ferme de cinq ans. Le procureur Taganki justifie les poursuites engagées par le fait que l’exposition litigieuse témoignerait « de manière tangible d’une attitude dégradante et insultante vis-à-vis de la religion chrétienne et plus spécifiquement de l’église orthodoxe ». Source : Mouvement http://www.mouvement.net/site.php?rub=2&id=11e9f05773e1e3bb

    PPPS: Bonne nouvelle, Nedim Gürsel est acquitté : http://bibliobs.nouvelobs.com/20090625/13472/nedim-gursel-acquitte.

    Pour la petite histoire, j'ai envoyé un mail fin mail à J.M. Adolphe (Mouvement) à propos de Gursel, resté sans réponse. Comme quoi certaine indignations sont selectives...

  • Gertrude (Le cri): Maman et la Putain.

    Densité et confusion... Ce théâtre roboratif et ambigu laisse ouvertes pistes et interrogations.

    Gertrude - alain Fonteray 2.JPG

    Howard Baker organise l'inintelligibilité avec délectation, parasite l'Hamlet de Shakespeare. Il fait ainsi l'économie de la présentation des personnages...quitte à en faire surgir de nouveaux: Albert l'amant de Gertrude, le serviteur Cascan... Sitôt le sujet posé, le détourne, le pervertit, l'obscurcit: "Ce qui est intéressant dans les pièces classiques, ce sont les absences"(1). La perspective de la pièce se renverse, organisée autour de Gertrude. Gertrude dans l'oeil du cyclone, autour d'elle le chaos s'amplifie, emporte une à une ses victimes. L'intrigue progresse pas à pas, mais souterraine. Giorgi Barberio Corsetti renonce à simplifier quoi que ce soit par la mise en scène, sature le plateau d'effets et de signes, dont l’accumulation peut indisposer. Autant de résonances visuelles et sonores de l'étrangeté. Les arbres se replient dans la terre ou descendent du plafond, les linges s'envolent sur les cordes, les éléments de décor coulissent sur aiguillages jusqu’au vertige, ou se renversent de l'horizontal au vertical. Toujours à contre-pied, le langage se dérobe, heurté, coulé... Pour peindre passion et folie, d'un point de vue ni cynique, ni compassionnel mais.... comment dire? Judicieusement, l'interprétation reste à l'écart de toute hystérie, drôle et subtile. Juste Anne Alvaro (Gertrude) par moments noie le texte. Ce théâtre se mérite, se fait plus admirer qu'il n'emporte. C'est un extraordinaire objet d'étude, pour en premier lieu l’étude de Gertrude

    Gertrude - Alain Fonteray.jpg

    Gertrude donc au centre de l'attention, et au centre d'elle l'orgasme, la jouissance. Enfin: le cri. Entrée: Claudius copule avec Gertrude sur le cadavre du roi- à peine refroidi. Gertrude nue, le cri surgit. Cladius dés lors n'a de cesse que de le saisir, à nouveau le susciter. L'obsession est lâchée, le cri toujours guetté, même si en prés de trois heures de durée, il n'est pas question que de cela. Cette recherche est fatale, existentielle, désespérée: ce cri est cosmique, "le cri est plus que la femme, même s'il sort de la femme". La féminité reste mystérieuse à Claudius, inaccessible, telle le corps de Gertrude un moment au balcon, il bondit alors pour l'atteindre, sans succès. Gertrude théorise moins, constate pourtant "Pour toi, c'est Dieu, ma nudité". Mais surtout vit et jouit, inextiguible, aimante et souveraine, égoiste, enfante une fille, plutôt qu'à celle-ci offre le lait de son sein à l’amant, accumule robes et chaussures comme autant d’attributs, jusqu’à porter un « manteau de prostituée », se donne au jeune Albert. Hamlet en est pétrifié, petit garçon à jamais devant sa mère sur-sexualisée, moraliste impuissant, ne parvient à toucher sa fiancée qu'avec des mots. Cascan, le serviteur de Gertrude, se languit d'amour dévoué et boit la coupe entière de sa loyauté, porte des paroles d'une clairvoyance inutile. Isola, mère de Cladius, elle aussi jouisseuse mais refroidie par les ans, voit la catastrophe arriver, et tente d'éloigner Gertrude de Cladius pour le sauver, essaie de la jeter dans les bras d'Albert. Las, Gertrude et Claudius éperdus et passionnés baisent encore et toujours comme des lapins tragiques- disons "baiser" pour se mettre au diapason de la judicieuse obscénité du texte. Albert, de retour et tout autant fasciné, est plus déterminé et pragmatique : « Je ne suis plus un jeune homme, j’ai des armées massées à la frontière : montrez moi votre cul ! ». Le cri grince à nouveau à l'unisson du violon: cri de plaisir et douleur lors de l'enfantement, cri de désespoir à la mort d'Hamlet, cri arraché au prix des naissances et des vies. Donc tout finit dans le sang. Sex kills!

    C'était Gertrude (Le Cri), d'Howard Barker, mis en scène par Giorgi Barberio Corsetti Au théatre de l'Odéon, et c'est fini.

    Guy

    Tous en parlent le Spectateur Turbulent, Neigeàtokyo, Les trois coups, theatredu blog.

    Lire ici: Le Cas Blanche Neige

    Photos d'Alain Fonteray, avec l'aimable autorisation du théatre de l'Odéon

    (1) Howard Baker dans "Transfuge" de janvier

  • A court de forme 1.4: le prince psycho.

    hamlet.jpg

    Donc 20 minutes, c'est court, c'est trés court. Surtout pour jouer Hamlet. Mais la proposition dure assez de temps pour rendre fou à lier le rôle titre. A moins qu'il ne s'agisse d'Hamlet déliré par un fou. En tous cas, c'est franchement orientée burlesque et à troix voix: Hamlet hyper-actif, Ophélie en apnée et le dernier comedien pour tous les personnages qui restent. Contre tout attente, l'intrigue survit à ce traitement accéléré, et de même-plus suprenant encore, quelques éclats de gravité. Dans le royaume du Danemark- ce soir en graf au mur- il reste toujours quelque chose de pourri. Surtout on rit.

    Et rendez vous mardi, pour la seconde semaine.

    C'était HAMLET (fragments), librement inspiré de la tragédie de Shakespeare, mise en scène et adaptation Vincent Brunol / avec Nicolas Fustier, Elise Lahouassa et Mathias Robinet / lumière Elise Lahouassa.  A L'étoile du Nord, avec A court de Forme.

    Guy

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    lire aussi le blog de l'étoile.

    photo de Nicolas Grandi avec l'aimable autorisation du théatre de L'étoile du Nord

  • L jr ds meutr ds l'hist. d'Hmlt

    Paradoxe. La tragédie d'Hamlet en 1h20 et 4 protagonistes: c'est objectivement très court. Et en même temps c'est bien trop long d'y faire rentrer de force bien trop de choses. Effet d'un pêché de jeunesse, cette envie de tout essayer? Qui fait ressembler la proposition à un catalogue de procédés, même bien amenés, impression qu'on subit dès la première chute de projecteur (cardiaques s'abstenir). Singulièrement, toute la gamme des lumières y passe, de l'éclairage de la salle pleins-feux à la lampe-torche dans le noir, en passant par les néons clignotants. C'est la pièce à ne pas manquer pour tous les apprentis éclairagistes. Autant de prouesses qu'on remarque trop, au détriment du sens (à moins que le sens ne soit justement de mettre en évidence les artifices du théâtre?) De même pour tous les trucs à la mode-on se promet de hurler la prochaine fois qu'on voit une bicyclette sur scène. Phèdre, vue il y peu, osait beaucoup aussi, mais plus en cohérence. Dommage pour ce soir, car il y avait dans le jeu de quoi nous tenir toujours suspendu entre intérêt et agacement, en usant d'une désinvolture étudiée.

    Voire, l'exercice que s'était permis Koltes d'après Shakespeare n'était, de son vivant, destiné ni à la publication ni à la scène. Cet inédit aurait pu le rester, sauf à se passionner inconditionnellement pour l'auteur se découvrant auteur en disséquant l'oeuvre d'un auteur illustre. Pour autant la relecture d'Hamlet n'est pas impertinente, voire ne manque pas de pertinence. La langue accroche dans son rapport sec et âpre au modèle shakespearien. Mais- 1H20!- le résultat manque tout simplement d'espace et de respiration, de substance. Reste rétréci. Aussi squelettique que le crâne du bouffon. Le monologue passe tout prés de la trappe restée ouverte. A voir Hamlet en treillis, carabine à la main, avec l'accent chantant, on en reste au drame, mais familial et rural.

    C'était Le Jour des Meutres dans l'histoire d'Hamlet ♥♥ , de Bernard-Marie Koltes, m.e.s. par Thierry de Peretti, au Théatre de la Bastille, jusqu'au 20 avril

    Guy

  • Troilus et Cressida en V.O. (Director's cut)

    Merci à Declan Donnellan: il nous permet de découvrir enfin Troilus et Cressida in-extenso. Et du même coup, on comprend comment J.L. Jeener avait pu couper 70 % du texte dans la version vue au T.N.O.  C'est que la pièce est bizarrement construite. On est habitué à ce que Shakespeare 1709927291.jpgmène plusieurs intrigues de front. Mais ici il y a incontestablement deux pièces en une, et très peu d'interactions entre les deux: d'un coté l'histoire d'amour entre les deux personnages du titre, de l'autre tout un épisode de la Guerre de Troie. Ils sont venus, ils sont tous là: Agamemmon, Achille, Priam, Hector, Paris, Menelas, Helêne, Nestor, Ulysse, Patrocle, Ajax, Cassandre, Andromaque.... Donnellan  aurait pu couper exactement ce que Jeener avait gardé, et renommer "Hector et Achille" le résultat. Mais le metteur en scène a choisi l'intégrale, en anglais dans le texte, et en deux fois une heure-vingt mais qu'on ne voit pas vraiment passer.

    Car formellement, rien à redire: très beaux et drôles les troyens en dominante beige décontracté, impressionnants les grecs en noir martial et sévère. Le tempo est parfait, le phrasé Shakespearien impeccablement articulé en V.O., la tragédie mise à distance en comédie. Le dispositif bi-frontal autorise défilés de mode comme défilés militaires. Pourtant, à force de voir tout ce savoir-faire à l'oeuvre, on se demande si l'exercice ne tourne pas un peu vain. Coté coeur l'intrigue amoureuse parodiée atteint l'absurde, d'accord: Créssida blonde très blonde, carrement gourde, Troilus absolument gland. Jusqu'à la conclusion, les anti Roméo et Juliette. Coté épé l'histoire guerrière est menée et minée avec un art joyeux de la démystification, c'est entendu aussi. Tout le ridicule de l'honneur militaire cruellement mis en évidence. Nestor est une vieille baderne, Ulysse un politique pas franc du collier, Ajax un crétin authentique. Les autres ne valent pas mieux. Tous se prenant trés au sérieux dans cette histoire d'hommes avant tout, de vrais hommes, qui jouent du menton et jouent à la guerre comme on joue au polo, en compétitions cruelles puis embrassades dans les vestiaires, un univers masculin très british. Les femmes sont remises à leur place, sous contrôle. On se garde de toucher Cassandre, de peur de la contagion. De loin, comme un star, on admire Hélène. A la limite on préfère s'en passer, les relations entre Achille et Patrocle vont visiblement bien au delà de la simple camaraderie. Tout ça est réjouissant, mais les deux pièces tardent toujours à s'articuler.1391729653.jpg

    C'est durant la dernière demi-heure que les deux histoires se réconcilient, que le tout prend un sens, au delà de la simple valeur distractive. La traîtrise d'Achille, qui la trêve de la veille embrassait Hector à la loyale, fait écho à la trahison amoureuse de Créssida vis à vis de Troilus. Les scènes de mise à mort de Patrocle, puis d'Hector, sont montrées telle l'arrivée de Cressida dans le camp grec: à la manière d'un viol collectif. Sale guerre, sexe sale. Chacun pour soi: Cressida comme Achille défendent leur peau. La morale se charge brusquement d'un incurable pessimisme. Shakespeare ne semble plus rien pardonner. Les hommes ne sont qu'enfants cruels et les femmes marchandises, qui passent de camps en camps, parfois maman ou star toujours plus ou moins putains. On croit presque voir du Sarah Kane, Guerre et luxure à tout jamais, dans le lit au combat aucune place pour l'honneur ou la loyauté.

    C'était Troilus et Cressida ♥♥♥ de William Shakespeare, m.e.s par Declan Donnellan, au Théatre Les Gémeaux, à Sceaux. En anglais surtitré. Jusqu'au 30 mars.

    Guy

     

  • Pour Shylock

    352405803.jpgSur quel pied peut-on jouer, de quel oeil peut-on voir, aujourd'hui, le Marchand de Venise? On s'aventure sur un terrain moralement plus périlleux encore que celui où évolue La Mégère Apprivoisée. Il faut sans doute que la pièce soit jouée comme elle est écrite. Car, si on ne peut pas se représenter comment l'oeuvre était reçue et comprise par son public du temps de Shakespeare, il est évident qu'aujourd'hui toute notre empathie va à Shylock. L'insouciante arrogance d'Antonio et Basiono, et avant tout leur antisémitisme-bien qu'user de ce terme ici soit assez anachronique- nous irrite et nous révolte. Shakespeare charge Shylock de lourds stéréotypes-avarice, fourberie et acrimonie-, et en fait un Harpagon sanguinaire. Mais l'auteur offre à son personnage un cadeau hors de prix: ce monologue universel et poignant, parmi les plus beaux de son oeuvre:

    Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes,
    des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec
    la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé
    aux mêmes maladies, soigné de la même façon,
    dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été
    que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?
    Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,
    ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?
    Acte III, scène I

    Après cela, qu'écrire de plus? 

    Que la cause de la chute de Shylock, par delà toute contingence, est que cet homme ne sait résister à ses passions. Maladie mortelle qui perd  plus d'un personnage shakespearien. Shylock persiste dans la vengeance, au lieu de s'abandonner au pardon, ce pardon qui sauve les personnages de Mesure pour Mesure. On constate aussi que l'argent, de tous temps, se paye en livres en chair. Lorsque le marchand juif, incarné par Jean Pierre Bernard, la voix ancrée au plus profond, sort de scène, il faut beaucoup de charme et savoir-faire aux interprêtes d'Antonio et de Portia pour que l'on s'intéresse encore un peu aux marivaudages de leurs personnages. Une fois encore le T.N.O. assure, avec les moyens du bord, un travail salutaire de conservation du répertoire, alors même que beaucoup de scènes subventionnées se consacrent plutôt à la création. Ce qui est bien sur une tâche tout aussi importante, en plus d'être plus gratifiante pour les créateurs, mais...

    On regrette que Will Eisner (1917-2005) ne nous ai pas offert sa version sur papier du Marchand de Venise. Le grand créateur de bandes dessinées s'était interrogé à la fin de sa vie sur les stéréotypes raciaux dans les arts, et leur influence sur les mentalités. Avec assez d'honnêteté pour regretter d'avoir eu lui-même la légèreté dans sa jeunesse d'avoir créé pour son héros masqué, The Spirit, un faire-valoir du stéréotype "bon nègre". Ces travaux et réflexions de Will Eisner trouvèrent leur aboutissement avec un album passionnant: "Fagin le juif" (2003), réhabilitation du personnage négatif d'"Oliver Twist" de Charles Dickens, recréé dans le souci de la vraisemblance historique et sociologique, au rebours des idées reçues. Que nous aurait il appris sur l'autre stéréotype juif de la littérature anglaise?

    C'était Le Marchand de Venise ♥♥♥♥♥ de William Shakespeare, mis en scène par Geneviève Brunet et Odile Mallet. Au T.N.O..

    Dimanche prochain encore

    Guy

  • Le Roi Lear d'heures en heures

    Pour ouvrir l'intégrale ShakespeareTroilus et Cressida étaient expédiés à très grande vitesse. Pour finir, le Roi Lear prend son temps pour mourir. Cinq heures d'errance, de folie, et de délitement. Pas plus, pas moins. 

    352405803.jpgC'est la première heure qui parait la plus longue. On écoute et on résiste. Comme contre tous les débuts de pièce? Malgré le Roi Philippe Desboeuf, magnétique, passé de l'autre coté de l'âge, osseux et aux longs cheveux d'argent, madré et reptilien. Mais tout au long de ces premières minutes, il n'y a rien à comprendre que l'on ne sache déjà: la grande scène du partage du royaume, les flagorneries de Gonerill et de Regane, la disgrâce de Cordelia, les premières manoeuvres d'Edmond, on connaît tout cela par coeur. Et le début de cette pièce chaque fois choque par trop d'invraisemblances. Qui peut croire à un Roi qui abdique avec tant de légèreté, et donne tout à ses filles? Il y a des difficultés insurmontables à rendre crédible la colère capricieuse de Lear contre la pudeur de Cordelia. Prétextes, fausse pistes... Pour nous mener où? Consolation: Philippe Desboeuf nous pétrifie de fascination, son interprétation du Roi Lear est dans notre esprit hantée du souvenir de celle du Roi Ferrante. Les deux personnages ont en commun d'avoir de sérieux problèmes avec le pouvoir et la vieillesse. Et chacun a sa stratégie propre pour échouer à les résoudre. Autour du phénomène Desboeuf, la distribution est homogène, ce qui n'a pas toujours été le cas durant cette intégrale.

    Seconde heure, des fourmis dans les jambes, mais l'affaire décolle pour de bon avec le retour de Kent (l'excellent Jérome Keen), qui entraîne Lear et son fou vers d'étonnants terrains bouffons. Joue-t-on souvent ces scènes là de cette façon si légère? Le roi Lear n'est pas si digne que cela, plutôt un enfant terrible, on en excuserait presque son hôtesse Gonerill d'exiger des coupes budgétaires dans cette escorte si tapageuse. Ces enfantillages constituent ils les premières manifestations de la folie de Lear? On ne ressent nulle pitié à être témoin de son aveuglement. La tension monte, c'est le retour chez Regane, enfin Lear est chassé, au dehors, dans la tempête, hors du monde. Les choses sérieuses vont commencer. Une dame ronfle sur son siège, mais c'est plutôt bon signe, car le reste de la salle en est agacé. On sort 10 minutes à l'entracte, rassuré d'avoir envie d'y retourner. On lit une interview de Jeener sur un mur, on y apprend qu'avec Shakespeare le T.N.O. a fait sa meilleure recette depuis sa création. Très bonne nouvelle, tant mieux pour les comédiens, on espère juste qu'il restera de quoi remplacer quelques fauteuils. 

    Retour pour la troisième heure, on est accueilli et ébranlé par la tempête. On s'abîme d'un coup dans une pièce devenue onirique, un aspect qu'on avait un peu oubliée. Les personnages sont dispersés par les éléments, les liens entre eux se brisent. Basculement et vertige au moment précis où, au milieu de fumées aux couleurs psychédéliques, Edgar/Tom apparaît. Créature chauve et nue, balbutiante, contrefaite, primitive. beuglante. Place à la folie, et dans notre regard une incompréhension jubilant et inquiète. Réplique celebrissime "Toi aussi tes filles t'ont tout pris?" Lear lui tend son manteau de peaux de bêtes, tous deux dansent nus, quitte à choquer silencieusement quelques vieilles barbes dans le public, qui viendront s'indigner sur le livre d'or. Faux problème: Jeeener n'est pas du genre à déshabiller Tartuffe pour épater. C'est juste qu'à lire W.S.,Tom doit être nu, donc il est nu: c'est aussi simple que cela. Et il est d'ailleurs toujours aussi difficile d'écrire quoique ce soit à propos des mises en scène de Jeener, tant celles-ci se caractérisent par leur humilité. Par un parti pris de transparence. Aucun effet déplacé, aucun procédé anecdotique qui donnerait prise à des commentaires faciles. Le regard est dirigé sur les acteurs, qui oublient de s'économiser. A défaut de décors, une utilisation quasi métaphysique des lumières... et un goût confirmé pour les "beaux" placements. Pas d'option fermée, la mise en scène reste ouverte sur les multiples sens de l'oeuvre, nous laisse libre. Mais, puisqu'il n'y a jamais de lecture vraiment neutre et objective, une interprétation spirituelle de la pièce est plus que suggérée...

    Quatrième heure enchainée: ankylose certaine, mais on est passé au delà de la fatigue pour s'abandonner à l'ivresse de ressentir. Le sentiment intense de tout voir et tout comprendre par instants, la frustration de se perdre le moment d'aprés dans la confusion. Le sujet de la pièce s'est définitivement déplacé de l'étude du pouvoir et de l'ingratitude, pour essentiellement parler du dépouillement, de la mort. Desboeuf est toujours excellent, mieux que cela. Tant pis pour les brechtiens: on a depuis longtemps oublié qu'il joue. Sublimement, l'intrigue tourne à vide, malgré l'agitation des armées et les rebondissements des intrigues. Quelque part hors la scène, les soldats des différentes factions s'affrontent pour rien. Car Lear est ailleurs. Revenu à l'essentiel. Rien de plus, rien de moins, qu'un homme prés de mourir. Car Gloucester, qui avec ses yeux ne voyait jamais rien, est pour de bon énucléé. Jeener montre l'homme. Réduit à l'essentiel. Le fou et l'aveugle errent dans un monde qui se désagrège, privé de Roi, d'ordre et de raison. Tous deux restent cruellement hors d'atteinte des tentatives de leurs amis pour les faire revenir dans la société. Le langage obscurcit ce qui reste de réalité, il n'est plus besoin du fou. Le ciel est vide. On se perd. Pas de décors ici, ce qui ne fait que donner plus de force à l'impression d'irréalité spatiale, d''indéfinition des lieux, qui caractérise la pièce. Jusqu'au paroxysme de la scène de la falaise, où la convention théâtrale atteint son point d'abîme.

    Cinquième Heure: la bouteille d'eau est presque vide, mais le niveau de tension reste élevé. C'est comme du théâtre existentialiste avec des combats à l'épée. Lente décrue. Les "mauvais" personnages succombent à la logique de leurs ambitions et de leurs folies. Les "bons" aussi. Tous sont punis. On sent venir la fin, le taux de mortalité monte en flèche, les morts sont tristes et inutiles. N'ont même plus d'importance. Ovations. On sort, poursuivi par Lear pour longtemps encore, n tout cas plus que cinq heures.

    C'était Le Roi Lear ♥♥♥♥♥ de William Shakespeare, mis en scène par Jean Luc Jeener, avec Philippe Desboeuf, et quinze comédiens, au T.N.O

    Prochaine et dernière représentation dimanche 9 mars, dernier jour de l'intégrale W.S.

    Guy