Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Lectures, poètes, dictateurs.

C'est le 23 avril et nous apprenons que ce soir se fête l'anniversaire (1) de William Shakespeare. Dans l'enchantement de la salle circulaire et superbement délabrée des Bouffes du Nord, on pourrait se rêver au théatre du Globe. Mais le temps engourdit. La voix du poète nous parait hélas bien distante, étouffée. Les mots dits ce soir ne nous viennent pas des pièces de théâtre, mais des sonnets. Ce choix est audacieux, l'audace s'arrête là. Les deux interprètes lisent, notes en main, assis sur des tabourets. Et bien sûr impeccablement, avec une sensibilité et une rigueur au dessus de toute reproche. Avec trop de précautions? Ces textes sont doux-amers, pétris d'humanité et de nostalgie, évoquent la fuite du temps, les désillusions amoureuses. Mais on peine à les comprendre, ainsi lus en v.o. et sur-titrés, et plus encore à s'y intéresser. Le parti pris de cette mise en lecture ressemble plus à du manque d'imagination qu'à du respect. Peter Brook étant Peter Brook, on hésite à en rester à ce constat. On tend l'oreille avec plus d'efforts pour saisir des subtilités cachées. On ne parvient qu'à se confronter à un exercice élitiste, manièré et précieux, renfermé sur lui-même, acteurs tournés vers l'auteur, n'incarnant que du bout des lèvres. Quand Shakespeare évoque le feu de la jalousie, les comédiens tentent vers l'un vers l'autre quelques mouvements et fâcheries: rien de plus que des connivences polies. Une occasion perdue.

Mandelstam_1934.jpg

Ecrites sous le règne rigoureux d'Elisabeth 1er, alors que les audaces littéraires et théâtrales pouvaient coûter la liberté ou la vie aux artistes, les oeuvres de Shakespeare ont survécu aux années jusqu'à fonder le théâtre moderne. Sous la dictature de Staline, Nadejda Iakovlevna Mandelstam dut apprendre par coeur les poèmes de son mari, Ossip Emilievitch Mandelstam (1891-1938) afin que son oeuvre survive à la censure. Mandelstam,  quant à lui, mourut, déporté, insoumis. (Ce qui remet, mais on va trop hors-sujet, les trangressions artistiques d'aujourd'hui à leur juste place). C'est l'histoire de Mandelstam que Robert Littell  raconte dans son roman (2), c'est cette histoire que les acteurs lisent. Une vraie lecture, celle-ci annoncée comme telle, assumée, et toute proche de l'improvisation. Au point que l'interprête-telle Irene Jacob- puisse parfois se perdre un peu dans le texte: c'est la contrepartie de la prise de risque qui permet à l'ensemble de prendre vie, avec une tension et une inquiétude à la mesure des situations sans retour qui sont revécues. Laurence Roy incarne Nadejda Iakovlevna avec élégance et intensité retenue, le drame progresse avec une cruelle ironie jusqu'au surprenant face à face entre Mandelstam et Staline. Antonio Interlandi est "le montagnard du Kremlin", déja dans le jeu, effrayant, et sans besoin de fausse moustache... Littell n'est pas Shakespeare, evidemment, mais se consacre avec force à ce sujet poignant, cet engagement est repris par les acteurs, intact et vivant. Robert Litell vient raconter en quelques mots sa rencontre d'il y a 30 ans avec Nadejda Iakovlevna. A nos cotés deux amies polonaises, admiratrices du poète, nées de l'autre coté du rideau de fer, le passé est palpable.

C'était Love is my Sin, sonnets de William Shakespeare adaptés par Peter Brook, interprétés par Natasha Parry, Bruce Myers, Franck Krawczyk (musicien), au Théatre des Bouffes du Nord, jusqu'au 9 mai. Et la lecture d'extraits de "L'hirondelle avant l'orage" de Robert Littel, par Irene Jacob, Laurence Roy, Antonio Interlandi et André Oumansky à l'hotel Lutétia, dans le cadre des samedis littéraires

Guy

(1) Si l'on en croit la tradition, le seul fait vraiment établi est que W.S. fût baptisé le 26 avril 1564. (lire absolument "Shakespeare" de Peter Ackroyd, points, ISBN 978.2.7578.05556.5)

(2) "L'hirondelle avant l'orage" de Robert Littell, aux éditions Backerstreet.

Concernant les sonnets, à lire l'article de ma voisine, tout aussi ennuyée. Et un autre point de vue , et encore un autre.

La photo est celle de Mandelstam à son arrestation.

P.S.: le 5 mai prochain, l'écrivain Nedim Gûrsel sera jugé à Istanbul pour "atteinte aux valeurs religieuses "http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/04/25/un-romancier-franco-turc-devant-les-juges_1185380_0.html

PPS: Iouri Samodourov et Andrei Erofeiev sont présentés, le 29 mai, devant un tribunal moscovite à suite de leur exposition. Ils encourent une peine de prison ferme de cinq ans. Le procureur Taganki justifie les poursuites engagées par le fait que l’exposition litigieuse témoignerait « de manière tangible d’une attitude dégradante et insultante vis-à-vis de la religion chrétienne et plus spécifiquement de l’église orthodoxe ». Source : Mouvement http://www.mouvement.net/site.php?rub=2&id=11e9f05773e1e3bb

PPPS: Bonne nouvelle, Nedim Gürsel est acquitté : http://bibliobs.nouvelobs.com/20090625/13472/nedim-gursel-acquitte.

Pour la petite histoire, j'ai envoyé un mail fin mail à J.M. Adolphe (Mouvement) à propos de Gursel, resté sans réponse. Comme quoi certaine indignations sont selectives...

Commentaires

  • Et je repense aux Sonnets de Shakespare mis en musique et en voix par la comédienne et chanteuse Norah Krief dans la mise en scène d'Éric Lacascade en 2002... Autre chose, apparemment.

  • Et Isabelle Lafon reprend son spectacle Journal d’une autre, d’après Notes sur Anna Akhmatova de Lydia Tchoukovskaïa, du 9 au 27 juin au Théâtre Paris-Villette.
    (lun, mer, sam 19h30 – mar, jeu, ven 21h).

    Extrait du dossier de presse:

    En 1938, Lydia Tchoukovskaïa rend visite pour la première fois à Anna Akhmatova. C’est une visite pour « affaire ». Ce qui, dans le langage codé qu’elle utilise pour rédiger ses notes, signifie qu’elles vont échanger des renseignements sur leurs démarches pour faire libérer le mari de Lydia et le fils d’Anna, arrêtés depuis peu. De là, s’ouvre un entretien qui prendra fin trente ans plus tard en 1962. Une interruption de 10 ans, entre 1940 et 1950, suspend la conversation mais dès cette première visite leurs vies semblent liées.
    Rencontre de deux destins ? Amitié entre « la poétesse » et celle qui l’admire ? Solidarité tacite ? Aucun mot ne se pose sur ce qui se passe entre ces deux femmes. Elles savent que se parler c’est se sauver. Alors elles parlent, de poésie, littérature, fourchettes introuvables et plus tacitement de leur époque. Faire que le poème continue c’est tenir envers et contre tout.
    Anna Akhmatova ne peut garder chez elle les poèmes qu'elle écrit. C’est trop dangereux. Elle demande à Lydia de les apprendre par cœur, puis elle les brûle. Ce geste terrible et bouleversant éclaire ce qui les lie.

    Au cours du temps et des évènements, Lydia note chaque geste, chaque impression, chaque propos de ses rencontres avec Anna Akhmatova.
    Ce pourrait être un journal intime, mais elle ne veut pas raconter sa vie. Cette forme « journal », généralement vouée à soi-même, est ici dédiée à une autre.

Les commentaires sont fermés.