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folie

  • Tartuffe, acte 1

    Dans quelques mois, l'Eglise de Scientologie  sera convoquée en tant que personne morale devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de l'accusation d'escroquerie en bande organisée. Tartuffe, quant à lui, court toujours. Pas toujours évident de reconnaitre l'escroc: il y a depuis Molière, des tartuffes gros et des tartuffes maigres. Jerome Keen, saississant dans le rôle titre, appartient sans doute possible à la seconde famille: plus effrayant que comique, sombre, emancié, sévère, le crâne rasé, de même que la mise en scène colle ici au Molière TNO.jpgtexte d'une manière on ne peut plus efficace, intense et austère. Avec, comme les bons soirs au T.N.O, proximité entre le public et les comédiens, absence de décor, sobriété intemporelle de costumes tendance avant guerre. Pas si facile non plus de juger l'arbre à ses fruits: l'aveuglement d'Orgon, la victime, reste le principal ressort comique et dramatique de la pièce. Porté à l'extrème quant il faut que sa femme Elmire manque de se faire violer sous ses yeux par Tartuffe, afin qu'enfin ceux ci ne se dessillent. Comme quoi les femmes y voient clair bien avant les hommes, n'en déplaise à MMe Laure Adler qui expliquait il y a trois jours sur Arte que chez Molière les personnages féminins étaient ridicules ou insignifiants. Mais l'auteur ne dit rien ou presque des raisons de la folie d'Orgon, de la soif spirituelle dont il doit forcement souffrir au point de se livrer corps et âme à l'imposteur, lui offrir cet amour indécent et sa fille en prime. Sauf à admettre que richesses et plaisirs terrestres déaltèrent si peu qu'il faille les sacrifier aux faux prophêtes. Malgré les efforts de la justice, Tartuffe a de beaux jours devant lui.

    C'était Tartuffe ou l'imposteur, de Molière, m.e.s. par Edith Garraud, au Théatre du Nord Ouest, en alternance dans le cadre de l'intégrale Molière jusqu'au 8 mars 2008

    Guy

  • Isabelle Esposito: Nuit Sénile

    Il y a cinq corps et six lits. Manque donc un corps... ou est-il déjà mort? Pour ce que valent les six autres corps, qui bougent comme malgré eux... Dans ce mouroir ou cette maison de fou, les six lits sont ramassés au milieu de la scène. Un espace terminal. Pas moyen de s'en échapper. Les personnages sont engoncés dans des dentelles vieillottes et des chemises de nuits blanc cassé à collerettes. Blanchis et amidonnés, êtres abandonnés, gardiens d'eux mêmes. Leurs gestes sont en morceaux. Nus du superbe du pathétique. Les mouvements s'oublient, dé-cordonnés, se répètent. Plus d'intention, les pièces du jeu d'échec sont dispersées. Les paroles sont déphasées des actions, tournées vers l'intérieur. Ouvrent des Sunset Boulevard désespérés et solitaires. La poésie est triste, belle, inattendue. C'est sans concessions ni musique, le silence pèse sur les impuissances.

    Vieille nuit.jpg

    L'expérience s'étire, oppressante, audacieuse, douloureuse. Certains dans le public préfèrent rejoindre dehors le jour. C'est long. Mais la vieillesse sera plus longue encore, et pénible. Nous ne sommes pas tous fous peut-être, nous serons tous morts ou vieux. Nous touchent déja les résonances de nos propres moments blessés. Puis de soudaines agitations rassemblent ces errances eparses. Les fous prennent conscience les uns des autres, les sénilités s'agitent dans tous sens. Les fous imposent aux objets de nouvelles possibilités. Une bataille de polochons commence, la plus hagarde qui soit. La drôlerie gagne, irrésistible et grinçante, sans qu'on ose vraiment rire. Les fous sont encore vivants, malgré tout, nous aussi.

    C'était Vieille Nuit d' Isabelle Esposito, avec Anne-Sophie Aubin, Thomas Laroppe, Isabel Oed, Maxence Rey, Sylvain Wallet, à Gare au Théatre, avec "Nous n'irons pas à Avignon"

    Guy

    P.S. du 24: nouvelle photo avec l'aimable autorisation d'Isabelle Esposito (on aura reconnu Maxence Rey, vue en mai avec Kataline Patkai)

  • sx.rx.Rx: Samuel Daiber nous a compris

    Ici la langue est une inconnue, intrigue. Contre le sens, bute. En exclamations, se musicalise. Tourne en rythmes. Sur la toile vidéo se dessine une ligne. Des signes. Un mur? Au milieu toutefois une porte ouverte. Là l’ombre, l’image, la place de Samuel Daibler. Dans un champ clos, toujours. Comme celui de la folie ?

    Bien qu’interné comme lui, Samuel Daiber n’est pas Antonin Artaud. Ce qu’on entend ici-des extraits de lettres authentiques- témoigne de l1327953100.jpga démarche introspective de cet homme, montre un langage en train de se construire, laisse une trace de sa lutte, perpétue son manifeste. Ni plus, ni moins. Ne prend pas valeur d’œuvre, à priori. Plutôt constitue un document. Mais Patricia Allio renverse joliment les postulats de l’intentionnalité poétique. Et fait jouer Didier Galas. Qui tient le rôle de Daiber, le rôle du Fou. C’est à dire qu’il marque l’hésitation, la perte des repères l’inquiétude…et la jubilation. Il joue le personnage, et non le texte. Mais le texte aurait il pu exister ici d'une autre façon?

    On l’écoute: Des phrases en cul de sac, et répétés: Sx.rx.Rx… Consonne, consonne, consonne, consonne, consonne, consonne…Peu de voyelles pour se rassurer. Fascinant, et difficile. Poésie sonore, d’accord. Mais comment l’écouter ? Poésie visuelle aussi. Sur l’écran, Daiber se considère, dans le champ clos se multiplie. Son errance se dédouble en vidéo. Nous plonge en rêve et vertige. On se dit que son langage est peut être vierge, ou amnésique. Non. Ce langage est construit. A l'extrême. Samuel Daibler aspire à un « logement officiel ». Il proteste… mais pour revendiquer la normalité. Une normalité, du moins. A l’inverse d’une position de révolte contre un ordre établi- tel qu’on le comprend ce soir et tel qu’on ne le lit pas dans les intentions de mise en scène…Samuel Daiber structure, d’une rigueur évidente, même dans l’inintelligible. « Je ne veux pas qu’on me rature. » Pour survivre, de mots et sons, il re-crée un ordre.

    Ses révélations énigmatiques nous portent au bord du fou rire, comme des équations illisibles au tableau noir, portées par une force de conviction irrésistible. Quelle distance subsiste-t-il, pourtant, entre lui et nous? Terriblement étranger, mais la situation spectaculaire nous invite à la rencontre avec cette grammaire hermétique. Qu'on aurait pu soi-même initier. Nous invite à pénétrer ce système clos et minutieusement organisé. La mise en scène crée ce désir. Rare rencontre. On comble les vides, on s’abandonne, on projette. De quoi nous libère-t-il? Il nous rend la parole en tous cas, nous provoque. Le lien se fait. Le lien ne se fait pas. Énervements. Fuites et claquement des dossiers. Ou de violentes révélations, comme celle qui emporta le Tadorne.

    A un moment: silence, danse, corps et images se tiennent en équilibre, sereins, au-delà de la raison. Samuel Daiber nous a compris.

    C'était sx.rx.Rx au lieu de garder silence j'ai voixé ♥♥♥♥♥, texte de Samuel Daibler, mise en scène de Patricia Allio. Avec Didier Galas.

    Au Théatre de la Bastille. Jusqu'au 30 mai. 

    Guy

    P.S. : On découvrira la nouvelle création de Patricia Allio, et Eléonore Weber: Un inconvénient mineur sur l'échelle des valeurs, à la Villette avec 100 dessus dessous, les 10, 11 et 12 juin. A en juger par ce qu'on en a entrevu de déja fort lors d'une ouverture de répétition au public, on s'attend à une perturbation majeure sur l'échelle de la réprésentation...