C’est bien en prison que nous pénétrons, conduit par un garde, pour y rejoindre Jeanne et les juges. Une prison intemporelle. L'interrogatoire a déja commencé. Celui de Jeanne d’Arc, prisonnière politique, aveuglée par une lumière crue, questionnée, rudoyée, maltraitée, chaînes aux pieds.
C’est bien en prison que nous sommes: Jeanne n'échappe que de très peu à la torture, puis au viol, mais non aux brutalités infligées à son corps par les geôliers. Ni, plus encore, à toute la violence que l'on fait à son esprit. Mais elle résiste.
Rien dans le texte n’est anachronique, mais ce sont pourtant les juges des procès staliniens que nous voyons à l'oeuvre, ceux aussi de toutes les dictatures et des démocraties qui renient leurs principes, les mêmes juges de tous les procès politiques, acharnés à briser l'âme de l'ennemie.
Possédés par la même logique pervertie, usant de toutes les mêmes et terribles stratégies. Il ne s’agit pas de faire avouer, ni même de punir. Il s’agit d'amener la rebelle à rejoindre le troupeau. En échange de la vie sauve. Publiquement, pour en permettre l'exploitation politique. Mais surtout qu'elle soit convaincue de ses fautes, le cœur vaincu. Et qu'elle renonce à sa relation personnelle avec Dieu.
Dieu, à chaque instant présent dans la bouche de Jeanne. Qui en termes premiers, répète sa foi, son innocence, son bon droit. Mais les anges n’apparaissent désormais qu’au public, et sans jamais venir en aide à la pucelle. Pour nous expliquer que le temps est venu pour la sainte de vivre seule l'épreuve, de souffrir et de douter. Elle doute donc. Et souffre. Et doute tant qu'elle abjure.
Mais après cette défaite qui la laisse humiliée, dépossédée de tout sauf de la vie, une apparition permet à Jeanne de retrouver sa dignité, de se réconcilier tragiquement avec elle-même. Jusqu'au bûcher. Mais non pas l’apparition d’un ange: celle du double de Jeanne, de son image idéale, rêvée. Une fois encore, le ciel est resté muet.
Le sujet est donc terrible, l’interprétation, évidemment enflammée, en est presque digne. L'espace contemporain et sobrement maîtrisé, le traitement dur et dramatique, on l'a bien compris. Avec alternances d’audaces bienvenues et de regrettables lourdeurs. La faute au texte de l’académicien Thierry Maulnier (1908-1988), justement par moments trop académique et explicatif. N’est pas Montherlant qui veut.
Guy
P.S. : Jeanne d’Arc est déclinée sous la forme de plus d'une dizaine de pièces jusqu’au 18 juin au Théâtre du Nord Ouest. C’est incroyable et pourtant vrai. On y reviendra.