Je n’irai pas cette année au Théâtre de la Ville, je préfère faire ma rentrée théâtrale à Montreuil : par un rendez vous à la sortie du métro. A cette sortie de la station Croix de Chauvaux, on devine presque à coup sûr qui vient pour la soirée de performances, ou qui simplement vit par ici. Le réseau, né à Montpellier, s’appelle hors-lits, essaime de ville en ville sans faire trop de bruit. J’en ai eu connaissance en découvrant la création de Thibaud Croisy. Ce soir, vingt-cinq arrivées plus tard, ensemble direction un appartement après l’autre pour dans chacun y retrouver un artiste. Les déambulations dans les rues de la ville rappellent d’agréables réminiscences d’école buissonnière. Ces incursions dans ces espaces privés, bulles invisibles dans la densité urbaine, semblent plus troublants que nos visites à force sans surprises dans les théâtres institutionnels. On rentre dans le secret des vieux immeubles ou des résidences, on suit les couloirs et on monte les escaliers, on franchit les portes, pour y envahir ensemble une chambre ou un salon.
La danseuse Christina Towle nous accueille dans une pièce (un espace) remplie de ballons comme pour une fête d’anniversaire, pour une pièce (une proposition) qui se joue dans les rapports entre son corps et son souffle. Elle inspire et expire, avec le ballon à ses lèvres forme un nouveau système fait d’interdépendances, nous fait deviner dans l'équilibre de son corps les plus délicats ajustements, et peu à peu jusqu’aux plus spectaculaires. C’est harmonieux, sur le fil des nuances, et- pourquoi pas?- d’une candide sensualité. J'ai pourtant le sentiment que j’aurais pu apprécier exactement de la même façon cette proposition vue sur une scène, il y a en cet endroit sans doute juste un peu plus de présence.
Les deux performeurs visités avant elle, exploitent plus avant les ressources de ces lieux sans barrières, pour un soir à l’intersection de l’art et de la vie quotidienne. Gaspard Guibert nous fait un drôle d’escogriffe surexcité, et va vite au contact. Pas de quatrième mur (tout juste au plancher une bande adhésive): il en profite. Un coup de calva, la bise à l’une, à l'autre, et encore, puis à chacun d’entre nous jusqu’au dernier (il pique un peu), comme nous tous invités à une soirée entre potes. Avec des interpellations aussi déjantées et mécaniques que le pas de danse en rap à son entrée. Dans le semblant d’échange qu’il nous propose, il transforme en effets de style ses hésitations, rébondit sur nos timides réponses, les réitérations nerveuses tuent les significations, les récits loufoques et rébus fusent et se perdent en route pour faire monter la confusion, ses mots érratiques et sur son visage ses tics grossissent en miroir nos manies. Dans ses cinq mètres carrés ce garçon joue bien et à fond la situation, et avec une franche physicalité. Violentes gesticulations, imprévisibilité, espaces réduits, 25 spectateurs entassés: une piquante sensation de danger...
S’agissant de Nobody’s Home de Malena Beer, le titre annonce fidelement ce qui est tenté ici. Et abouti. Comment l’artiste peut elle devant nous, dans ce lieu privé, se montrer sans se montrer vraiment? Toujours présente mais en se cachant, elle et son corps à coté. Vu différemment. La danseuse joue avec nos perceptions, par légers décalages, surtout le visage toujours escamoté. Cela m’évoque par moment les travaux de Sofia Fitas, mais dans un contexte et sur un rythme bien différent. L’étrangeté nait de peu, d’une pomme de pin, du glissement de la robe et de pas en coté, de gestes différemment agencés… L’exercice est ardu dans la grande proximité avec nous que permet cette soirée, l’artiste n’élude pas la difficulté, vient errer dans nos rang. La semi-nudité n’y change rien: traits cachés et mouvements déformés son ensemble, son identité, continuent à nous échapper. Elle-même parait perdue, aveuglée, prisonnière, ne semble pas habiter dans cette pièce-même, ouvre la fenêtre en vain, échoue hagarde à s’évader contre les murs. Mais le titre peut signifier qu’elle ne s’habite pas elle-même non plus. L’exercice, étonnament, nous touche avec plus d'humour que de gravité, finit dans un beau paroxysme de courses, charges, chocs et chutes, aux limites du contrôle et de la raison.
C’était Horslits Montreuil, dans des appartements à Montreuil avec Sinon on fait comme ça(ou autrement) de Gaspard Guibert, Airtight de Christina Towle, Nobody’s home de Malena Beer. Et (non vu) Déconnexion d’Anne Donard et Aude Halary.
Ce soir samedi encore, et complet je crois.
photo de Guillaume Bassinet, avec l'aimable autorisation de Christina Towles
Commentaires
t'as raison...allons voir ce genre de théâtre (ou danse).
Je suis naïvement heureux de lire ce que tu nous livres et de constater qu'il y a de belles choses à découvrir dans les replis éloignés du milieu.
Quand j'étais gamin, j'allais aux champignons ou à la pêche aux écrevisses avec un connaisseur qui m'indiquait au fond des bois les bons coins inconnus de tous ou les bonnes pierres à soulever pour y trouver les bestioles. Te lire me laisse la même impression.
Merci Martine et François!
Retrouvons le goût de flaner, et partageons nos découvertes.