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  • Mais ça c'était avant

    Alors que le spectacle est rejoué au théâtre de la cité internationale à partir du 7 octobre 2014, je rediffuse cette note du 22 décembre 2012

    Dark Side of the Moon, je l’ai quant à moi découvert adolescent à la fin des seventies, à juste à quelques années de distance de sa création, pourtant c’était déjà de l’histoire ancienne. L’éruption punk avait dressé une barrière, ou le temps alors passait plus rapidement. J’écoutais l’album comme une pièce de musée, comme un disque de Stravinsky, ou de Duke Ellington, couches par couches. Beau et fascinant mais rien de vraiment vivant. Et depuis cela n’avait plus bougé.

    Pourquoi assister à cette recréation, aujourd’hui, au lieu de tranquillement réécouter le cd dans son fauteuil? Heureusement, et contrairement à ce que la feuille de salle laisse à penser, il ne s’agit pas d’un concert de tribute band. Comme il en existe des dizaines, qui imitent avec application Pink Floyd, Stones, Genesis et consorts, jusqu’aux light shows et costumes de scène, tournent sur les plages l’été, même jusqu’à l’Olympia. A l'instar de certains survivants de luxe, condamné à s’imiter eux-mêmes, notre époque ne sait pas trop quoi faire de ces icones qui n’étaient pas censées vieillir (pour faire mentir Pete Towshend et Roger Daltrey). Ceux des Beachs Boys qui ont échappé à la picole et au cancer se reforment cette année. Vainement, Brian Wilson ayant déjà enfin extrait Smile, ou son reflet, de ses souvenirs embrumés. Paul Mac Cartney, silhouette juvénile et toujours basse violon hoffner, enchaine concerts Beatles à la note près (mais il faut être juste et rappeler qu’il peut encore surprendre). Que faire de toute cette nostalgie, ces déferlantes sentimentales, ce mythe de la fontaine de jouvence? J’avoue pour ma part une faiblesse pour les époques que je n’ai pas connues, pour le voyage dans un passé qui n'est pas le mien. Comment résister à la tentation de la dernière chance: gouter à ce qui reste encore de vie dans les performances de ceux qui ont un jour changé ce qu’on imaginait pouvoir écouter? Mais les grands du jazz, sauf Sonny Rollins et une poignée, ont déjà succombé. Où a disparu la suite? Le problème est de craindre que le vocabulaire musical des genres populaires (Rock, jazz, pop, soul, etc...) ne se soit construit et figé au milieu des seventies. Ensuite, que des retours aux sources ou des voies sans issues. De plus jeunes que moi écriront l’histoire autrement. Mais faut-il s’habituer à voir se construire un répertoire de ces musiques populaires, dans une logique de la conservation ?

    En déjouant cette logique, d'une distance subtile, Thierry Balleste prouve qu’un projet peut en cacher un autre. A lire distraitement l’argumentaire, on s’attendrait à l’album joué à la note prêt. Rien n’est moins vrai. Second regard à la feuille de salle: il s’agit de plutôt de retrouver les sons d’origine, ceux que Pink Floyd une fois l’album achevé s'avérait incapable de reproduire sur scène. Réinventer les sons analogiques, avec orgue Hammond et cabine Leslie, caisse enregistreuse et réveils, vieux synthétiseurs: Moog, VSC3, et tous les moyens du bord. Le résultat n’est qu’un point de départ. Le pari est lieu réussi, de retrouver la force émotionnelle de l’album, celle des vocalises de the Great Gig in the Sky, cette tonalité tantôt lyrique, tantôt amère, avec tempêtes et accalmies. Formellement tous les morceaux de l’album sont bel et bien joués, avec les bruitages en directs. Mais la haute fidélité est heureusement détournée. Belle introduction blues à Money, saxophone qui brille par son absence, remplacé par la guitare ou la basse. Ironie: un vrai revenant des seventies, Klaus Blasquiz (chanteur historique de Magma) s’est éclipsé après les premiers concerts pour laisser sa place à un jeune. Surtout les variations electro-acoustiques interprétées par les deux joueurs de synthétiseurs prennent une nouvelle ampleur, avec une audace qui dépasse celle de l’original. Pour prendre les accents d’une vraie création. Derrière les silhouettes de Dave Gilmour, Richard Wright, Nick Mason et Roger Waters se cache celle de Pierre Henry. C’est la face cachée du projet. Sous le prétexte, sentimental ou commercial, de la commémoration, se révèle l’opportunité de créer une musique inédite, à la fois populaire et aventureuse. L’ambiguïté est perceptible dans la mise en scène: autour des 9 musiciens un encombrement scénique bien préparé, qui évoque plus le fouillis d’un studio que le dispositif spectaculaire d’un concert, avec une profusion d’instruments, claviers, et autres accessoires. Des écrans ne glorifient pas les musiciens mais soulignent l’étrangeté des instruments. Seul pur accessoire visuel, un magnétophone tourne à blanc pour réaliser un enregistrement fictif, mais la musique vie et meurt librement. Je demande à Thierry Balasse quelle autre reprise il aimerait réaliser sur scène: la Messe du temps présent.

    C'était La Face caché de la lune par Thierry Balasse au Théâtre de la cité internationale jusqu'à samedi.

    Guy