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Entretiens avec Katalin Patkaï- 2° épisode

Dans cet épisode: Terrains Fertiles- Bucarest- Un Ours- Des chevaux- Appropriate Clothing must be worn- Les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- Plastique et mouvement -Pas de regrets

Guy : Avant de créer « Appropriate Clothing » tu as, je crois, participé à un programme international de performances.
Katalin : Oui il s’agissait du projet Terrains fertiles. C’était super. J’ai adoré le faire. Le brésilien Joel Borges avait sélectionné des artistes. Sa démarche était ambiguë, je crois qu’il voulait recueillir de la reconnaissance à travers les artistes qu’il choisissait. Il était un peu tyrannique, un peu bizarre, mais le résultat a été super chouette. On travaillait seul trois ou quatre semaines dans un lieu, à s’en imprégner et réfléchir à comment l’exploiter. On a commencé à Bucarest. On n’utilisait pas des lieux de spectacles. J’ai travaillé au Conservatoire, un lieu énorme, colossal, construit sous le régime communiste. D’autres artistes sont allés répéter dans le palais de Ceausescu. J’ai trouvé l’environnement tellement agressif que je n’ai pas osé sortir dans la rue la première semaine. A ma première sortie, je me suis fait suivre par quelqu’un. J’étais choquée par la violence dans les rues, la manière raciste dont les roumains se comportaient avec les Roms. Les chiens errants trainaient partout. Je ne peux pas parler des campagnes, mais la ville était ingrate, avec ses grandes artères et ses constructions énormes. C’était un mélange surréaliste. Je me familiarisais petit à petit, je travaillais ma curiosité, mon empathie pour ne pas voir les choses toutes en noir, je visitais les vieux quartiers complètement délabrés. J’ai ressenti un rapport de force avec la ville, avec la population, ces chiens… J’ai fait une performance dans un escalier monumental. Je jouais une star qui se cassait la gueule dans ces escaliers, en une chute au ralenti sur l’air du beau Danube bleu. C’était assez violent. Il m’arrive aujourd’hui encore de me faire mal, mais à l’époque je ne m’économisais pas du tout. Je m’étais confectionné des grosses pattes d‘ours - le symbole de la ville -, et Ceausescu était connu pour ses chasses à l’ours. Je dansais comme un ours et, en même temps, je projetais une vidéo porno avec une scène entre deux femmes. Je ne saurais pas analyser pourquoi j’avais utilisé cette vidéo.

 

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Guy : Bien avant tes masques d’animaux de « MILF », et la ménagerie sur scène pour les « Cochons », tu faisais déjà la bête!
Katalin : J’avais commencé bien avant ! Je faisais le cheval dans « X’XY», que tu n’as pas vu. Ugo n’aimait pas au début, mais à la fin il a trouvé ça bluffant. Je sais extrêmement bien faire le cheval et j’ai appris à dessiner en dessinant des chevaux. Tout mon monde est synthétisé dans un cheval. Un jour je ferai un spectacle avec un cheval. Je ne sais pas dresser les chevaux, il faudra donc que je prenne le cheval jeune, pour qu’on construise un rapport fort qui permette qu’on travaille ensemble.


Guy : Vas-tu un jour monter un spectacle avec Zingaro ?
Katalin : Arrête ! Je n’aime pas Bartabas, il est trop hautain. Je l’ai approché pour «C’est pas pour les cochons » sans aucun succès. Il m’a snobée. Mais ce n’est pas grave. Des vents, j’en ai pris beaucoup.


Guy : Après « Terrains fertiles » tu as créé « Appropriate Clothing » en 2006. Je me souviens que tu apparais nue au tout début, avant de t’habiller. On peut toujours voir la fin du spectacle sur dailymotion, cette chorégraphie érotique entre les trois personnages sur le canapé. Mais j’avoue que tout le reste est devenu flou dans ma mémoire.

Katalin : Je croyais que tu ne l’avais pas vu.


Appropriate clothing must be worn, Kataline... par mainsdoeuvres

Guy : Si, j’ai vu la pièce à « Mains d‘Œuvres », c’est d’ailleurs le tout premier spectacle que j’ai vu là-bas, mais je n’ai rien écrit dessus car je n’avais pas encore créé mon blog à l’époque.

Katalin : Il se passe plein de choses entre ces deux scènes. La pièce s’inspire de la description de pratiques sexuelles caricaturées. Ugo (Dehaes)est mis en état de carpette, écartelé sous une peau de bête comme un ours. Aude (Lachaise) et moi nous nous livrons à une danse sur lui, une sorte de danse des couteaux. Nous sautons au-dessus de lui avec nos talons très pointus. C’était assez dangereux. Parfois, en répétition, on se loupait et on lui faisait mal. Mais il s’est montré stoïque. Ensuite il y a une déambulation, un rapt. Ugo fait voler en l’air ce canapé très phallique. Puis une séquence bondage très drôle. J’ai un très bon souvenir de cette pièce. J’y caricaturais les pratiques sexuelles. Je m’étais beaucoup renseignée sur ce sujet -comme sur tous les sujets sur lesquels je travaille. C’était la grande époque des clubs échangistes, encore qu’ils aient toujours existé et qu’ils existeront toujours. Je m’étais rendue dans l’un de ces clubs où il faut venir accompagnée. Je n’avais pas du tout envie de participer. Autant je ne suis pas farouche, autant je ne pourrais pas faire ça avec quelqu’un que je ne connais pas ! Il fallait donc que j’évite de participer… tout en ayant la possibilité de regarder. C’était un vrai spectacle, à la Eyes Wide Shut, avec des lumières tamisées ; une vraie orgie. J’ai trouvé ça incroyable, magnifique. C’est vrai que je suis allée dans un club vraiment « hype », aux Chandelles. Pour rentrer il faut un bon chéquier. C’est le monsieur qui paye. Il y a un sas à l’entrée avec une caméra. On vérifie si tu es bien habillé car les consignes sont strictes. Pas de jean, et la femme doit être en robe ou en jupe.

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Guy : Ce qui est paradoxal puisque c’est pour se déshabiller ensuite. Ton titre « Appropriate Clothing must be worn » (tenue correcte exigée) est donc une référence aux règles affichées à l’entrée de ces clubs.
Katalin : Oui. Dans ces endroits, tu n’as pas le droit de te dévêtir si tu n’es pas bien vêtu. Comme pour un strip-tease : si tu t’effeuilles, les pétales doivent être jolies !


Guy : Crois-tu que l’humour que tu as voulu mettre dans la pièce a été compris par tous ? J’avais été fasciné, mais ton humour m’avait un peu échappé…
Katalin : Des tas de gens n’ont pas perçu cet humour. Avec le recul, moi je trouve la pièce vraiment drôle, même s’il y avait, comme toujours, une part de sérieux. A l’époque j’étais déjà un peu « peace & love ». J’étais très adolescente. Je découvrais que Dieu n’existait pas. Comment résoudre de manière altruiste cette donnée ? Du coup qu’est ce qui rapproche les gens ? Les gens se rapprochent physiquement parlant, c’est une des solutions du XXI° siècle. Puisqu’il n’y a personne pour nous obliger, puisque que nous faisons ce que nous voulons de nos corps, rapprochons-nous et éclatons-nous ! Aimez-vous les uns les autres ! C’était un propos hédoniste et drôle. Car on peut rire de tout et des comportements sexuels aussi. Je m’étais beaucoup servi des films d’Hitchcock. J’aime bien son rapport à la sexualité. Je pense au Procès Parradine, où la femme a une liaison avec un domestique. Dans ce film il y a une belle scène où un homme touche les genoux d’une femme.

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Guy : Hitchcock est le cinéaste du voyeurisme par excellence. Il avait la réputation d’être impuissant et il avait des relations intenses et compliquées avec ses actrices… Je viens de revoir « Body Double » de Brian de Palma qui est un de ses disciples. C’est un hommage à « Fenêtre sur cour » et à « Sueurs froides ». Le protagoniste passe une partie du film à espionner une femme avec des jumelles… La différence c’est qu’Hitchcock devait jouer avec la censure de son époque et détourner l’érotisme vers d’autres objets, alors que De Palma peut en montrer plus.
Katalin : J’aime beaucoup les films de Brian de Palma, l’esthétique des années 80 et les couleurs. Spécialement « Carrie », la scène au début avec la fille sous la douche, puis soudain le sang des règles. Je trouve ça osé, sublime. Il a une scène dans un film d’Hitchcock, je ne sais plus lequel, avec trois personnes sur un canapé. A un moment il y a une ellipse - et on imagine qu’il s’est passé des choses entre ces trois personnages. J’aime comment Hitchcock produit ces ellipses, pour nous faire compléter le vide avec notre imaginaire, c’est hyper osé. Il y a beaucoup de références dans Appropriate Clothing… qui ne se voient pas du tout.


Guy : Comment as-tu travaillé la matière de cette pièce ?
Katalin : A ce moment-là, je n’étais pas dans la recherche du mouvement. J’avais des images qui m’étaient rentrées dans la tête, j’avais une vision…. Je n’avais qu’une vision de la chose. Je trouvais ça très ouvert comme propos, mais je n’ai jamais réalisé ce que je dis sur scène, ma vie privée n’est pas aussi orgiaque ! Je réfléchissais plus par images. J’essayais de les habiter par tout ce que j’avais appris avec Marie-Jo, d’habiter les corps, de travailler sur la qualité du mouvement. En même temps, ça ne se voit pas beaucoup car le propos était explicite… D’abord il fallait créer une mécanique, une imagerie et une ironie de la chose. Du coup la danse là-dedans est assez évacuée. C’était encore très plastique.

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Guy : Tu ne referais pas cette pièce de la même manière aujourd’hui ?
Katalin : Je ne veux pas revenir en arrière. Je suis contente de la pièce telle qu’elle est.


Guy : Si, comme Hitchcock pour « L’Homme qui en savait trop », tu avais carte blanche pour faire un remake de cette œuvre, comment ferais-tu ?
Katalin : Je prendrais d’autres interprètes et je referais pareil, parce que ce que ça a dit à l’époque, ça le dit toujours. Mais je ne pourrais pas bouger physiquement les choses puisque ça s’appuyait sur quelque chose de plastique que je ne pourrais pas réécrire en mouvements, tu comprends ?


Guy : Non…
Katalin : Si tu veux dire que si j’avais à créer aujourd’hui une autre pièce sur le même thème, celle-ci serait différente, bien sûr ! Il m’arrive de repenser: si on avait fait comme ci ou comme ça… Si pour MILF j’avais retransmis les témoignages de femmes, si j’avais engagé leurs paroles beaucoup plus, etc…. Mais après coup, je me dis que finalement je n’aurais pas radicalement changé les choses.

(A suivre...)

Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

http://www.katalinpatkai.com/

Dans l'épisode précédent: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

Dans le prochain épisode: Hygiène de vie-Ascendance- Hongrie- Fréquentations artistiques- Nadj- 1er leçons- Rock Identity- Encore Jim Morrison- Cantat- Le centre du danseur

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