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Ligne Son

Un contribution de François:

Cela se passe dans un lieu underground : une cave exigüe aménagée en petite salle de concert, sous un rez-de-chaussée occupé par les bureaux de traducteurs maniant le russe, l’ukrainien, le tamil, le pendjabi ou l’hindi.

Il s’agit de musique improvisée et expérimentale proposée par trois artistes. A ma gauche Julien Belon, claviériste, qui grâce au développement des processeurs et des mémoires digitales, dispose d’un outil puissant capable de réagir aux différentes pressions de ses doigts et de brasser et restituer de manière en partie aléatoire des centaines (des milliers ?) de sons stockés et triés dans son ordinateur. Au centre, Judith Kan, qui met sa voix et son corps au service de l’aventure. A ma droite, Cynthia Caubisens, pianiste,  qui prolonge la longue tradition des pianos bricolés et convie aussi la tradition japonaise des cordes, le kinbaku connu aussi sous le nom de shibari.

Cynthia Caubisens anime le projet ‘ligne courbe’ , espace de rencontres dédié aux pratiques de l’improvisation musicale, qui se concrétisent surtout à Lyon mais qui à l’initiative de Judith Kan se produisent pour un soir dans cette cave parisienne. La démarche de Cynthia ne se cantonne pas à la musique mais aborde avec audace les rivages d’autres territoires. J’ai lu quelque part que le concept de l’œuvre hybride est obsolète. Il convient maintenant de parler d’œuvre transgenre. Quel que soit le terme choisi, c’est de cela dont il s’agit lorsque l’on contemple les 112 mètres de cordes tendues et nouées à travers la pièce en une sorte de toile d’araignée qui crée un réseau de forces et de tensions entre différents points de l’espace, à comprendre comme une métaphore d’un autre réseau de liens, celui qui se tisse entre les personnes présentes ce soir-là. ‘Des lignes explosives , figeant dans l’air des sons, pour mieux les donner à voir’ me dit Cynthia.

Les trois artistes se produisent dans toutes les combinaisons possibles de jeu à deux ou à trois (quatre possibilités donc). Rien n’est écrit à l’avance et rien ne sera jamais identique. Ce que je vis pendant ces moments est aussi ineffable qu’un rêve deux heures après le réveil : les mots sont des outils inaptes à décrire l’expérience. Plongé dans un présent pur, le spectateur écoute les sons en appeler d’autres pour ouvrir peu à peu les portes sur un univers mental onirique plein de formes, de mouvements et d’émotions. Synesthésie ! Tout l’éventail imaginable des sons possibles semble être expérimenté et pratiqué. Cynthia triture son piano de mille façons ; par ses manipulations, elle dresse une sorte d’inventaire des traces sonores que les divers objets utilisés laissent lors de leur confrontation à l’instrument. Judith tout à la fois suffoque, mugit, grommelle, craquette, vocalise, je ne sais quoi d’autre encore. Julien, les yeux fermés, rend visite à son âme en nous envoyant des décharges de timbres inouïs. Ce paysage s’évapore lentement lorsque le silence revient.

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Au souvenir de cette performance me vient à l’esprit le vers de Friedrich Hölderlin si souvent cité : ‘mais poétiquement toujours sur terre  habite l’homme’. Oui, il s’agit bien d’habiter poétiquement le monde.

François

Cynthia Caubisens, Judith Kan et Julien Belon, vus et entendus le 2 avril à Tiasci, espace dédié à l’improvisation libre et aux musiques traditionnelles, soirée en collaboration avec 'ligne courbe'

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