Simple limace, pour une performance aussi simple en première apparence que de se laisser glisser molle et engluée le long de l'escalier face à l'entrée du L.M.P., une fois dépêtrée d'une bâche plastique. Est ce un chemin ou une chute? Pour devenir limace jusqu'au fond des yeux, dégorgée de la pensée humaine, jusqu'au bout de l'idiotie, des mots-bulles tentent de se former avant d'éclater aux lèvres. Sur le corps humide et blanc et sur le mur du fond sont projetées des diapos éducatives d'histoires naturelles. Histoire de rassurer? L'innocence d'avant le langage semble presque à portée de langue, d'avant la sexualité même, un hermaphrodisme placide s'affiche sous la forme d'un postiche naïf fixé sur les reins nus. La régression s'offre trés généreuse, effrayante et délicieuse, vers une grâce pataude en une reptation de bruits mous, slurp. La jubilation de la salissure s'exprime sans retenue, enfantine, sous une cascade de sauce tomate, le corps s'abandonne sans réserves à l'immersion intégrale dans le sel alimentaire, nourri d'oubli. Cette poésie naturelle est gluante et basique, aussi belle que posée sur une feuille de laitue.
Mais l'utopie est par essence paradoxale, dés le début du projet, et les arrières pensées reviennent sans cesse au jour, humaines et civilisées. Le temps d'un mouvement d'une virtuosité pas si évidente, l'exigence de la danseuse se fait deviner sous le naturel placide de la limace. Les cinq ou six photographes très empressés n'ont rien de jardiniers, et posent par rafales des regards très avides et culturels sur la performance poisseuse. Un drap est dressé contre la porte de la rue, pour isoler des regards du dehors l'obscénité organique montrée sans censure aucune dedans. Une bulle de nature, remarquable, mais forcement acculturée, que la conscience perce dès son émergence. Le problème central de la performance reste le public.
C'était "tracer sa route #3" de et avec Blandine Scelles des Koeurspurs avec le CRANE au Lavoir Moderne Parisien