Je suis ici sur l'invitation du blog du Forum du Blanc Mesnil, Ce lieu, j'aime y venir en avance pour y rester désoeuvré. Ici c'est ailleurs, d'ailleurs le lieu est excentré de la ville elle-même. Vu de trés loin se dresse comme un signal un ancien château d'eau, si haut qu'on ne peut le manquer, mais troué de fenêtres. Le théatre et la médiathèque dialoguent avec un bistrot et 2/3 commerces, l'ensemble encadre une grande esplanade, monumentale mais où l'on trouve sa place. Des jeunes y font ce que font habituellement les jeunes entre eux, en cette fin d'aprés midi nonchalante et encore caniculaire. Dans la médiathèque, une animatrice dévoile à mi-voix une expo. J'aime bien attendre ici, étranger, comme on attend un train dans une gare à ciel ouvert, pourquoi pas ici ne serait pas le centre du monde. Puis le théatre se peuple, nous rejoint un groupe scolaire, encore plus tard un car de parisiens curieux de cette soirée canadienne des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint Denis.
Dedans, Jean Sébastien Lourdais nous attend, inanimé. Puis nous surprend. Il se met en mouvement, mais pas de la manière que l'on attendrait d'un danseur, il va ailleurs (vers?). De ses membres dessine des angles bizarres, rebondit comme une gomme, fait oublier les enchaînements naturels, dysfonctionné. Nous recite de son corps un poème elastique. Il progresse sur la scène comme on ferait défiler un film à l'envers, et jamais à la "bonne vitesse". L'audace de sa démarche m'évoque Sofia Fitas, avec des techniques et résultats trés différents. Confronté à cela le public parait trés concentré, même les scolaires se font oublier. Pourquoi parfois se fait ainsi le silence, si parfait? Le hasard fait que je suis moi même trés fatigué, donc sans doute perméable à ce qui m'est présenté. Les lumières flottent. la musique se répète en nappes et boucles, laisse d'autres pensées s'insinuer. Une ombre blanche apparaît en écho sur le rideau. Les gestes s'accumulent à contre courant. Le danseur est inverse, comme étranger à lui-même. Regard déporté, sa danse décivilisée, l'on dirait réinventée d'un point zero, les inventions d'un mime originel. Il agit sur l'espace autour de lui. Quand cet espace se distend, je pense à Moebius. Les humeurs changent, s'invitent des impressions de hip-hop, de cette longue et étonnante deconstruction, l'humour n'est pas absent.
Lors de la seconde proposition, d'Ame Henderson, les surprises sont de tout autre nature. Nous sommes tous poliment mais fermement dirigés sur le plateau, à l'embarras de beaucoup. Je m'y ose en premier, d'autres restent un temps au bord, font embouteillage. Tout spectateur projeté sur une scène tendrait-il à s'éloigner de son centre? Pas grand chose à y voir en premier lieu: des objets sur une table, de supposés appareils, des tasses et verres. Puis parmi nous se révêlent des danseurs habillés en vrais gens. Comment les reconnaître ? A leurs gestes lents, à leurs yeux fermés? Rêvent-ils? Quand vient donc l'instant où ceux ci dansent vraiment? Le phénomène est contagieux, d'autres supposés innocents spectateurs se transforment plus tard en danseurs. Tous convergent au centre de la scène, autour de la table, et nous faisons cercle autour d'eux, comme quoi tôt ou tard tout finit par rentrer dans l'ordre. Nous sommes d'ailleurs bientôt invité à retourner nous assoir dans la salle. La suite nous est livrée en kit: une danse pauvre mais humble, qui me semble autogérée. Si on en a l'energie, on peut penser ce qu'il font comme la naissance et l'évolution d'un système. Les danseurs s'observent les uns les autres, autour de la table leur mutisme détonne. ils nous interpellent pour nous mettre en garde contre de mystérieux dangers. Le groupe semble en mutation, vers le "bouger ensemble", encore trés approximatif. Avec, au moins, un grand sens du collectif: ils se mettent à huit pour tenir un appareil et nous photographier. Le concept est flou, ne reste qu'à le définir nous même. Ou sinon s'ennuyer ferme, jusqu'a la fin je reste sur ma faim.
C'était Vers de Jean-Sebastien Lourdais et Relay de Public recordings d'Ame Henderson, au Forum du Blanc Mesnil, dans le cadre des Rencontres Internationales de Seine Saint Denis.
Et, changement de thême: le 12 juin je reviens voir Magma, ici même.
photos de Frédéric Péloquin (Vers) et Omer Yukseker (Relay) avec l'aimable autorisation du forum du blanc mesnil