A terre. Elle, et tout Victor Hugo, en cinquante volumes éparpillés. Elle, son corps un tout ramassé, qui s’efforce à se déplier, peut-être souffre, à chercher. Un être à vue. La respiration anime son ventre, et tout alors depuis ce centre: remuent la peau tendue, les membres, les muscles, les chairs. L’âme est invisible et le visage caché, ou perdu. Les os saillent, les cheveux tombent à terre comme des pleurs. Densité et fragilité, complétude, et tout à remplir de pensées. Le corps est là, essentiel, et rien de plus. Lenteur dépouillée. Les livres l'attendent. Elle pourrait tout autant s’éteindre l’instant d’après.
Le corps tente de s’arracher au sol, mais elle se plie, se penche et les mains plongent, y ouvrent un livre. La bouche s’ouvre et les mots glissent, des interrogations métaphysiques. Une petite éternité. Les pensées s’envolent légères et planent, graves comme des ombres, en méditations. Le corps sensible dessine de mystérieux idéogrammes. Bientôt effacés. Elle reste une page à écrire: la peau blanche, le sexe sombre. En dehors l’animalité exposée, l’humanité des livres conservée en dedans, qui s’interroge et lutte. Des livres s'ouvrent et des mots à nouveaux. Une littérature grave, sans atours, mise à nue. Ces mots la rêvent, agitée, mais sans culpabilité ni regret. Corps et texte, nature et culture, peau et cuir, nudité et reliure. Ange et bête. Réconciliés? Elle se lève, cet équilibre, lentement conquis, est un vertige renversé, vaincu le pas d’après. L'ange tremble et porte le livre aux cieux. Où serait Dieu? Où est l’homme surtout ? Le temps n’est plus. Elle, attirée contre le mur de pierre, prisonnière ou sacrifiée. Une simple lampe l’éclaire. Brefs absolus. Rien n'est gagné. Je vois une lumière noire et c’est la nuit.
C’est lumière noire dansé par Céline Angèle et mis en scène par Jean Daniel Fricker, textes de Victor Hugo, encore ce soir au festival Buto de l’espace culturel Bertin Poirée.
Guy
photo de Georges Karam avec l'aimable autorisation de la compagnie