Discuter avec des gens à poils, cela parait assez rapidement tout naturel, pour peu qu'on se laisse emporter par le sujet de conversation. Mais on discute avec eux, ou on les regarde: cela dépend à quel moment ils en sont de leur évolution. Cela dépend du moment où l'on rentre cette grande salle, comme à une exposition permanente.
A cet instant, ils en sont tous à l'état d'animaux, jamais sur leurs deux pieds, témoignant d'une brutalité paisible, d'une tranquille impudeur. Ils se promènent à un train de félin, avec les tics de l'instinct, regards flous et ventres qui tremblent. Ils se frottent et se frôlent entre eux, nous autour comme des voyeurs au zoo. Subtilement d'autres moments les emmènent plus vers l'humain. Toujours sans textes ni contexte. Mouvements collectifs, poses académiques. Faute de mots, j'ose un croquis.
Et plus tard, arrivés au bout d'une mutation, ils se lèvent. Ils se présentent et viennent à notre rencontre, toujours nus mais extraits de la représentation, pour discuter. Les sujets-l'amour, l'apprentissage...- sont universels et balisés: la rencontre peut se produire. Les conversations s'animent, on entend des rires. Ou parfois ça ne prend pas. Dans tous les cas, on a pris conscience, ou non, que d'autres spectateurs nous regardent parler avec eux. Nous sommes inclus dans la performance. Ou simplement on nous regarde regarder.
C'est long, quatre heures, ou plus, ou moins, le temps d'être là, ou pas. De remettre le regard à zéro. D'entrer, sortir, s'assoir, se lever, bouger, partir prendre un café, c'est un temps volé à sa productivité, du temps perdu pour en gagner. J'essaie tout: assis, debout, accroupi, sérieux avec le carnet, affalé et la vue renversée, déambulant... Comme 95 % des gens, qui sont adossés aux murs, groupés, je n'ose pas le centre. Allez: tout juste un ou deux mètres à l"écart. Vite surpris, comme par une marée qui monte, au milieu d'une migration de corps qui glissent autour moi vers leur alignement.
Les danseurs se relaient, à une vingtaine, pour en permanence être une douzaine en actions. J'essaie de deviner qui parmi nous est d'entre d'eux, va se déshabiller dans quelques minutes et changer de situation. je me trompe parfois. Mais il parait qu'il a des intrus. Je me trompe aussi, lorsque je lie conversation avec cette spectatrice, qui me dit entre autres que la pièce ne parle que de changements, qui est convaincue de la bienveillance avec laquelle les spectateurs accueillent les danseurs. Quelques minutes plus tard, je la surprends, une fois déshabillée, dans l'autre communauté.
Avec le temps s'impose une évidence: les corps s'égalisent aux regards en une même sérénité: hommes ou femmes, jeunes ou vieux, gros ou maigres, pâles ou foncés, ils convergent vers une même beauté, digne et qui ignore les canons. Ils proclament la démocratie de la nudité.
Avant la fin- c'est à dire quand j'ai décidé de partir- se dresse une forêt de bras et de jambes, poussés d'un terreau de corps en fusion, en une seule respiration. C'est beau. Apaisant. C'est effectivement la fin de quelque chose- mais ce n'est pas grave- ou son commencement.Une de-évolution, quand sont épuisés tous les sujets de conversation.
Temporary Title de Xavier Le roy au Centre Georges Pompidou le 15 septembre 2016
Guy