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  • La Cantatrice Chauve: ceci n'est pas un opéra.

    Je n'aime pas l'Opéra. Comme tous ceux qui n'y vont jamais. Qui n'en connaissent que des extraits, des captations, piégées d'attaques suraiguës. Et qui trouvent artificielles, décalées, les voix des lyriques, ne comprennent pas que l'on puisse qualifier leurs poses et ralentis de jeu. Sans alors se douter que les fondus d'opéra, les vrais, ceux qui ne vont au théatre que par malentendu, y jugent alors tout autant irréaliste, dérangeant, le phrasé des comédiens. Donc, La Cantatrice Chauve à l'Athénée, je m'y laisse traîner ou entrainer, plutôt à reculons, juste rassuré par Ionesco. Aussi la curiosité aiguisée par quelques promesses électro-acoustiques. Mais voilà: heureusement c'est n'importe quoi. Un n'importe quoi qu'on ne doute pas être le résultat d'une montagne de préparation, pour aboutir à tant de précision dans la jubiliation. Pareil à un projet de potaches obstinés et talentueux.

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    Car question non-sens, Ionesco est débordé. C'est une chose de dire ses mots dans toute leur absurdité, c'en est une autre de les faire entendre amplifiés au moyen d'une nouvelle convention scénique, celle du chant, une convention d'une autre étrangeté encore. Au moins toujours pour ceux qui ne sont pas familiers avec l'opéra. Ici les effets se cumulent, le texte, la musique et le jeu produisent de l'absurde puissance trois. Le paradoxe est que cette surenchère permet à de nouvelles significations, graves ou loufoques, au fil des situations d'émerger. Mr Smith écoute ses leçons d'anglais au casque, juste retour aux origines d'un texte qui s'inspirait des phrases toutes faites des cours de langues... Le couple de visiteurs oublieux l'un de l'autre installe dans ses chants une telle émotion caricaturée, une telle grandiloquence, que l'on croirait entendre le drame de vrais amnésiques, de personnages en quête d'identité, mais de personnages avant tout.... L'identité reste au centre de la thématique. Le décor est d'un artificiel elliptique et assumé: juste de la couleur et un canapé. Qui évoque le monde sur catalogue dans lequel les grandes enseignes de meubles nous invitent à vivre, à être, à exister. Pour former un environnement aussi prévisible et normé que celui mental des mots plats détournés par Ionesco. Le jeu glisse doucement du sage à l'agité, un rien coquin. Alors que les phrases s'accumulent en vain, la langue empruntée ne faisant, on l'a compris, ni le réel ni le sens. Chaque contrechant de cordes ou de cuivre, chaque intervention narquoise des percussions, leur apporte un démenti hilarant. Mais chaleureux. On est heureux d'entendre de la musique contemporaine qui ne soit pas ennuyeuse, enrichie de clins d'oeil et de détournements de tous genres: b.o. de cartoon, swing, tango, comédie musicale... Du jazz en cherchant bien, coté Dolphy? Du Zappa aussi. Sans confort rythmique, aventureuse, avec des surprises et des brisures. 

    Le capitaine des pompiers est arrivé: la piéce finit dans le rouge et la fumée. Tous parlent, chantent, on ne sait plus, détournés, amplifiés, des voix déformées surgissent des quatre coins de la salle. C'est durant ce final qu'on aurait adoré voir aussi plus de folie, le jeu ici un peu à la traîne de la musique. Je ne sais toujours pas si j'aime l'opéra en général- le genre a au moins cela de sympathique et absurde que plus il est joué plus il est déficitaire. Mais au moins cette cantatrice là- même si elle reste invisible- est pour le coup révélée.

    C'était La Cantatrice Chauve, un opéra de Jean Philippe Calvin sur le texte d'Ionescomis en scène par François Berreur, dirigé par Vincent Renaud. Au théatre de l'Athénée, juste demain le 2 et le 3. 

    Guy

    Photo par Clemence Hérout avec son aimable autorisation.

    PS (le 2/5) Lire l'article de Pierre Assouline, dans le Monde 2