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françois berreur

  • La Cantatrice Chauve: ceci n'est pas un opéra.

    Je n'aime pas l'Opéra. Comme tous ceux qui n'y vont jamais. Qui n'en connaissent que des extraits, des captations, piégées d'attaques suraiguës. Et qui trouvent artificielles, décalées, les voix des lyriques, ne comprennent pas que l'on puisse qualifier leurs poses et ralentis de jeu. Sans alors se douter que les fondus d'opéra, les vrais, ceux qui ne vont au théatre que par malentendu, y jugent alors tout autant irréaliste, dérangeant, le phrasé des comédiens. Donc, La Cantatrice Chauve à l'Athénée, je m'y laisse traîner ou entrainer, plutôt à reculons, juste rassuré par Ionesco. Aussi la curiosité aiguisée par quelques promesses électro-acoustiques. Mais voilà: heureusement c'est n'importe quoi. Un n'importe quoi qu'on ne doute pas être le résultat d'une montagne de préparation, pour aboutir à tant de précision dans la jubiliation. Pareil à un projet de potaches obstinés et talentueux.

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    Car question non-sens, Ionesco est débordé. C'est une chose de dire ses mots dans toute leur absurdité, c'en est une autre de les faire entendre amplifiés au moyen d'une nouvelle convention scénique, celle du chant, une convention d'une autre étrangeté encore. Au moins toujours pour ceux qui ne sont pas familiers avec l'opéra. Ici les effets se cumulent, le texte, la musique et le jeu produisent de l'absurde puissance trois. Le paradoxe est que cette surenchère permet à de nouvelles significations, graves ou loufoques, au fil des situations d'émerger. Mr Smith écoute ses leçons d'anglais au casque, juste retour aux origines d'un texte qui s'inspirait des phrases toutes faites des cours de langues... Le couple de visiteurs oublieux l'un de l'autre installe dans ses chants une telle émotion caricaturée, une telle grandiloquence, que l'on croirait entendre le drame de vrais amnésiques, de personnages en quête d'identité, mais de personnages avant tout.... L'identité reste au centre de la thématique. Le décor est d'un artificiel elliptique et assumé: juste de la couleur et un canapé. Qui évoque le monde sur catalogue dans lequel les grandes enseignes de meubles nous invitent à vivre, à être, à exister. Pour former un environnement aussi prévisible et normé que celui mental des mots plats détournés par Ionesco. Le jeu glisse doucement du sage à l'agité, un rien coquin. Alors que les phrases s'accumulent en vain, la langue empruntée ne faisant, on l'a compris, ni le réel ni le sens. Chaque contrechant de cordes ou de cuivre, chaque intervention narquoise des percussions, leur apporte un démenti hilarant. Mais chaleureux. On est heureux d'entendre de la musique contemporaine qui ne soit pas ennuyeuse, enrichie de clins d'oeil et de détournements de tous genres: b.o. de cartoon, swing, tango, comédie musicale... Du jazz en cherchant bien, coté Dolphy? Du Zappa aussi. Sans confort rythmique, aventureuse, avec des surprises et des brisures. 

    Le capitaine des pompiers est arrivé: la piéce finit dans le rouge et la fumée. Tous parlent, chantent, on ne sait plus, détournés, amplifiés, des voix déformées surgissent des quatre coins de la salle. C'est durant ce final qu'on aurait adoré voir aussi plus de folie, le jeu ici un peu à la traîne de la musique. Je ne sais toujours pas si j'aime l'opéra en général- le genre a au moins cela de sympathique et absurde que plus il est joué plus il est déficitaire. Mais au moins cette cantatrice là- même si elle reste invisible- est pour le coup révélée.

    C'était La Cantatrice Chauve, un opéra de Jean Philippe Calvin sur le texte d'Ionescomis en scène par François Berreur, dirigé par Vincent Renaud. Au théatre de l'Athénée, juste demain le 2 et le 3. 

    Guy

    Photo par Clemence Hérout avec son aimable autorisation.

    PS (le 2/5) Lire l'article de Pierre Assouline, dans le Monde 2

  • Juste la fin du monde: l'éternelle famille

    Vient bientôt le temps des fêtes de fin d'année, le temps des réunions de famille. Les réunions des familles qui se réunissent encore, c'est à dire celles qui n'ont pas hérité. Pour se préparer à y survivre, il est bon d'aller voir "Juste la fin du monde" de Jean Luc Lagarce (1957-1995). Pour ne pas y retrouver Lagarce, qui depuis 12 ans est mort, mais pour découvrir ou retrouver son oeuvre, une oeuvre en bonne voie, semble-t-il, de lui survivre longtemps. Quitte à échapper à son auteur autant que nécessaire. Paul, le principal protagoniste, qui va bientôt mourir et veut revoir sa famille, n'est pas/n'est plus Jean Luc Lagarce, qui avait écrit la pièce se sachant condamné par le sida. Paul est Paul, simplement, avec les traits ronds et murs d'Hervé Pierre (sans la barbe de Coltrone), qui répète avec gourmandise et sans essayer de convaincre qu'il a trente-cinq ans. La mort est toujours présente, mais passe un peu au second plan.

    Paul revient dans sa famille, pour parler, dire la vérité (sur son état, seulement, ou sur lui, plus généralement?), et ne le peut, évidemment. Pas plus que Paul n'a pu, marchant une nuit sur un pont entre ciel et terre, gueuler un cri pour de bon. C'est l'un des puissants paradoxes de ce théâtre de nous montrer des personnages parler pendant une heure et demi pour démontrer qu'ils sont dans l'impossibilité de communiquer. Avec une langue très pure, un peu blanche, comme en perpétuelle recherche d'elle même, même si quelques effets de répétition résonnent parfois comme des exercices de conjugaison. On le pardonne volontiers, car ces répétitions font sens, témoignant de la difficulté qu'ont les personnages à se définir par les mots. Ce texte est porté avec énergie et intelligence, avec conviction. Il est vrai que les acteurs- Danielle Lebrunen tête- ont de sérieux états de service. On entend ici des phrases superbement impossibles mais jouées de manière réaliste, à rebours d'un certain théâtre contemporain qui se saisit souvent de textes classiques pour leur faire subir un traitement distancié.

    Car c'est peut être avant tout d'un théâtre de situation, un théâtre psychologique, dont il s'agit ici. Un théâtre moderne et adulte, pour tout dire. Le fils aîné revient, mais le retour est impossible pour qui un jour est parti. Ceux qui sont restés entre eux- la mère, le frère, la soeur- se sont renfermés ensemble sur les souvenirs des vieilles querelles, dans un inconfort qu'il est trop douloureux pour eux de remuer. La place de chacun est assignée, la scène est barrée de tout son long par le mur imposant d'une maison, par ses ouvertures apparait la vue d'un ciel tourmenté. Image d'une subjectivité vers laquelle chacun pourtant parvient à son tour à s'échapper, quand les névroses familiales éclatent brusquement en accès de violences, avant de s'éssouffler en renoncements, au goût doux amer du pardon.

    "Qui peut dire comment les choses disparaissent?"

    C'était Juste la fin du monde ♥♥♥ de Jean Luc Largarce, mis en scéne par François Berreur, avec Hervé-Pierre-de-la-comedie-française, Danièle Lebrun, Elizabeth Mazev, Clotilde Mollet, Bruno Wolkowitch, au Théatre de la Cité Internationale en partenariat avec le Théatre de la Ville.  Jusqu'au 25 novembre

    Guy

    P.S. du 25/11: quelques images ici  et quelques échanges, sur un air de théatre