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Musiques

  • Jacques H., 1981, 2010, le bonheur

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    Ce 6 avril 2018, Jacques Higelin est mort. Souvenirs de 1981 et 2010:

    Tout commence sans Higelin, mais avec Duke Ellington (Jubilee Stomp, 1928), bousculé en trio de cuivres avec des couleurs free-jazz sixties. Le manifeste que l'on peut jouer avec les époques, iconoclaste mélanger l'avant et maintenant. Vu d'ici, du fond du balcon de la Cigale bourrée de jeunes et vieux le 10 janvier 2010 (en vérité vu d'assez loin de la scène), Higelin a juste un peu blanchi-et moi surement pas du tout- depuis le concert à Mogador du 4 janvier 81. Vu d'ici le bonhomme ignore ses 69 piges hirsutes, il s'en fout, il bouge comme avec 50 de moins... 1981, c'est vu d'ici de loin aussi, dans des souvenirs flous. Mais sans hésiter, c'était pas mieux avant que maintenant. Déja en 1981 sans équivalent, je m'écris alors maladroit que c'est "superbe et inracontable, champagne et roses pour tout le monde, que je n'ai jamais vu un mec parler comme ça à son public"... A la réflexion rien vu de tel depuis non plus. Car toujours encore étonné, il chante ce soir en éternel jeune amoureux, voix à râper, avoue toujours ne savoir sur quel pied danser. Les vieilles chansons des seventies ont juste ce soir un peu moins qu'alors d'avance sur leur temps. Paris New-York, New York-Paris : c'est panne de lumière à Santiago, et crise mondiale, en crescendo la musique qui s'emporte, dure jusqu'à l'asphyxie. Ici et maintenant, il en faut plus que jamais, pour tenir, rire et respirer, de l'énergie. Ses chansons d'aujourd'hui et d'avant c'est tout comme. Trempées de soul et de sueur, de bastringue et genérosité, remuées, les mots pétillants, genres musicaux sans dessus dessous, pour culminer avec Pars en reggae. La petite nouvelle Palema Norton aussi noire comme l'ébène que sa cousine Mona Lisa Klaxon (avec ce soir dans sa jungle un vrai trombone). En 81 à Mogador il y avait un orchestre incroyable et démesuré: deux batteries, pleins de cuivres, de guitares, de claviers, et même un violoncelle électrique, limite épat'. Ce soir de 2010 on est heureux autant, c'est plus resséré et toujours rock 'n roll, un groupe assez carré égayé par le trio de souffleurs, concentré à l'essentiel. Ainsi Champagne  qu'Higelin chante et fait déborder au piano accompagné du seul percussionniste (et d'une foule de créatures fantomatiques invoquées en route). Moins de monologues- la trop grande phraaaase tue la phrase- mais des intros toujours foutraques, surtout l'insouciance de naturellement tout pouvoir dire sans s'en soucier et tout se permettre, et même chanter en public être amoureux d'une cigarette. Toujours enfant on peut tout se permettre. Retombé en enfance, tête en l'air comme jamais. Et sage, et lucide, pourtant: parôles et musique de cette nouvelle Valse FM grattent drôlement, sardoniques et crépusculaires, avec des frottements harmoniques à la Kurt Weil. Aussi cruel que Crocodai, l'occasion d'un pied de nez aux crocodiles birmans et un hommage bienvenu à Aung San Suu Kyi . A son invitation, on chante ensemble aussi faux qu'en 81 et on s'en fout (alors Hold tight, ce soir la chorale de Gourdon d'Aout put), mais heureux plus de deux heures durant (trois heures et demie en 81, j'avais noté, mais en s'en fout tout autant). Ce qui est important, c'est que ces grands artistes on les aime -en plus de leur talent- à pouvoir sembler être ce qu'on ne parvient pas à être soi-même, aussi clairement, aussi parfaitement: ici juvénile, éternellement. Comme disait Baudelaire, le génie est l'enfance dotée d'organes adultes pour s'exprimer. La musique est la même qu'en 81, mais aujourd'hui on en a encore plus besoin. Il y a un rappel, peut-être d'autres après, et les souvenirs on s'en fout également. Il ne s'arrêtera jamais, et demain ce sera vachement mieux.

     C'était Jacques Higelin à la Cigale, le 10 mars 2010, et partout en France après.

    Guy

    posté le 17 mars 2010

    lire ailleurs

  • J'ai vu une légende

    Minuit: le concert s’achève par le tournoi de guitares électriques de The End, morceau qui clôt Abbey Road, le dernier album des Beatles. The End est aussi le tout dernier morceau que le groupe ait enregistré. Les quatre y chantent en chœur « Boys , you’re gonna carry that weight  a long time »- traduire : « être des ex-Beatles, va falloir vivre avec ». C’est là toute la malédiction de Paul McCartney (bien qu’il y ait pires fatalités): depuis plus de 40 ans s’efforcer de chanter, changer, créer, encore innover, s’aventurer coté classique ou techno, mais toujours avoir à en revenir aux sixties et au groupe qui a inventé la pop. Il doit- alors que d’autres luttent contre la pénurie mélodique et le peu d'inspiration-gérer l’abondance de ces chansons qui ne lui appartiennent plus-chaque mesure gravée dans des millions de têtes- autant de souvenirs qu’il faut encore et toujours rendre au public. Donc s’enchainent pendant près de 3 heures les one-two-three-four et chaque fois la fidèle bande son d’un souvenir, d’une émotion... Intacte l'émotion revient. La star n’oublie pas « I saw here standing there » qui ouvre le premier album de 1962, évoque l’époque en noir et blanc de Can’t Buy me love, ressuscite Eléonor Rigby, fait courir Lady Madonna, exhume des raretés (another girl)et fait reprendre en chœur Hey Jude au Stade de France entier... En ces moments le contrat est tenu, magnifié: réussir à abolir le temps, faire naitre chez moi et 50 000 autres le sentiment que le maintenant et l’intemporel peuvent se confondre. Pour cela il lui faut être et montrer un Paul McCartney à l’épreuve du temps, voix bien présente, infatigable et bondissant, silhouette immuable et juvénile qui concède juste ses 73 ans de rides, sa basse-violon Hoffner d’époque en bandoulière pour une garantie supplémentaire d’authenticité. Gagné: fasciné, je rajeunis avec lui, reviens au temps où ado j’écoutais en boucle sa musique déjà historique. J’accède même aux années rêvées d’avant, inexplicablement. McCartney convoque aussi les fantômes bienveillants: John avec son Mr Kite, Georges par un Something somptueux, prétexte à nous faire partager les instants d’intimité de deux amis jouant du ukulelé dans leur jardin. Ce don de soi fait partie du contrat de ce soir (au même titre que le feu d’artifice de Live & let it Die), l’homme laisse deviner de lui-même, entre deux blagues convenues en français, une désarmante simplicité, bien peu rock & roll. Le plus beau est atteint dans des moments dépouillés et sans intermédiaires: Blackbird seul à la guitare… L’orgueil du compositeur, du merveilleux mélodiste se devine aussi. Le démontrent s’il en était besoin toutes les chansons d’après, de Maybe I’m amazed à celles du dernier album New, qu'il s'autorise quand même aussi ce soir. Peu importe les fautes de goût, sitôt oubliées. Cette fierté explique-t-elle le fait que cet homme richissime et couvert d’honneur se mette encore ce soir en risque, en jeu? Est-ce juste le sentiment assez classe moyenne anglaise d’avoir simplement à faire son job? Où est-ce la malédiction de Paul Mccartney, rester à jamais un passeur de temps? Peu importe, je regrette un instant- c’est bête- de ne pas être le Stade de France entier pour chanter plus fort et plus longtemps, être à la hauteur de 3 heures d'immortalité. Sorry.

     

    Out There, concert de Paul McCartney le 11 juin au Stade de France

    Guy

    la playlist

  • Hier

    Bilan ?

    …Anti-Bilan ?

    … Rapport d’activité ?

    Il est sans doute moins malaisé de commencer par les chiffres? 53 nouveaux spectacles chroniqués cette année 2012, juste au-dessus du seuil symbolique d’un par semaine. Impossible de nier que le rythme se ralentit depuis le début du blog (500 entrées entre mi-2006 et mi-2012). Pourquoi? J’écris lentement  depuis toujours, aujourd'hui plus lentement sans doute. La production au rythme actuel suffit sans doute pour justifier la continuité du blog, compte tenu de contraintes liées à ma vie professionnelle, familiale, personnelle… La lassitude vient parfois, jamais au point de me faire envisager d’arrêter. Tant qu’il y aura de l’étonnement et de l’émotion, et la sensation que l’écriture ensuite réordonne la perception…

    Ce chiffre ne correspond pas au nombre de posts publiés. Certains posts rassemblent plusieurs spectacles, mis en perspective dans le cadre d’un festival (Frasq) ou par choix personnel (Fauve et this is the end autour de la jeunesse). A l’inverse, il y a une bonne vingtaine de spectacles dont je n’ai pas parlé, presque autant de autant de regrets, quand ce n’était pas par manque d’intérêt, mais  par manque de temps ou difficulté dans l’approche.

    Aussi, j’ai rediffusé une dizaine de chroniques (La mort et l’extase, show funèbre à sept voix...) à l’occasion de reprises, encouragé par les remarques d’amis frustrés de ne jamais pouvoir voir des spectacles dont ils ne lisent souvent le compte rendu qu’après la fin des programmations (souvent courtes). Je me rends ainsi compte que je dispose d’un fond de textes, mais qu’en faire?

    L’une des vocations du blog était de découvrir de nouveaux artistes. Le rapport entre propositions d’artistes que je connaissais déjà, et d’artistes que j’ai découvert a été en 2012 de 60%/40%. J’ai dans les faits plutôt privilégié la fidélité au détriment du renouvèlement. J’ai vu cette année deux créations de de Thibaut Croisy, de Laurent Bazin, de Sandra Abouav, des artistes donc prolixes et assez bien programmés. Au moins sont-ils jeunes et émergeants. Il y a des artistes dont je suis les travaux avec passion sur la durée, voire des propositions dont j’ai  rendu compte plusieurs fois à différentes étapes  de la création (Le modèle d’Eléonore Didier, Sous ma peau de Maxence Rey). Les choix sont compliqués. L’offre est si abondante à Paris que je ne peux en embrasser qu’une fraction. Au-delà de mon plaisir et de ma passion, le désir d’être utile vis-à-vis d’artistes entre trop peu connus et de partager constitue un moteur. L’animation cet automne d’un atelier d’écriture en milieu carcéral a été pour moi une expérience forte et féconde.

    Si l’on parle de catégories…. Les choix se portent plutôt vers ce qui est considéré comme de la danse de danse, aussi du théâtre, un peu de cirque, des performances, des lectures, des concerts… en privilégiant des formes mixtes, surprenantes, incisives, qui transcendent les genres, à forte teneur en émotions, incarnées, avec de vrais sujets et utilisant de nouveaux modes narratifs. Les propositions de Viviana Moin (hélas absente cette année) répondent bien à cette définition. Seule contrainte définie dès le départ, ne parler que  ce qui peut être qualifié de spectacle vivant. Je suis tenté, paradoxalement de faire de plus fréquentes incursions dans des genres populaires (théâtre classiques, café-théâtre)… sans y parvenir pour le moment.

    Je me sens bien incapable de tirer un bilan artistique de l’année, ce pour plusieurs raisons. Mon regard sur chaque proposition est singulier, subjectif, et indissociable de circonstances particulières, n’existe que dans le cadre d’une relation à un moment donné avec des artistes. Et surtout, j’assiste qu’à 1% de ce que ce qui est proposé à voir, ne participent pas aux festivals (Avignon) ou saisons (Théâtre de le Ville) qui forment, même en négatif, l’opinion.

    Ma fréquentation se concentre sur certains lieux pour différentes raisons: une confiance en leur programmation, l’habitude d’y rencontrer des personnes avec qui j’au plaisir à échanger, et pour des raisons pratiques et financières tenant aux invitations. J’ai beaucoup fréquenté La Loge (8 fois), ce qui rend justice au développement de ce jeune lieu, sans délaisser des valeurs sures (Théâtre de Vanves et Artdanthé: 7 fois), Etoile du nord (5 fois), les lieux de résidence où se travaillent de jeunes  chorégraphes (Point Ephémère 6 fois à l’occasion des petites formes, Mains d’œuvres, Micadanses 3 fois). J’y vois beaucoup de Solo, duo, trio, des propositions sensibles et intimes, en rapports serrés avec les artistes, au détriment du spéculaire avant grand moyens décors et effectifs. Dans des lieux aux salles à taille humaines à l’exception de la villette (2), du nouveau théâtre de Montreuil (2), de la cité la cité internationale (3), le Rond point (1). Pour être complet, je suis aussi passé par Gennevilliers, Regard du cygne, le colombier, atelier Carolyn Carlson, le centre culturel suisse Ma fréquentation se concentre clairement sur quelques lieux, ce qui porte à réflexion. J'ai cependant assisté à 6 proposition dans des lieux inattendus: Salon de coiffure (Lionel hoche) appartements, lieux publics…

    L’écriture…Elle est toujours difficile à produire, mais me semble plus s’assagir, moins libre dans la forme que ce que je rêverai. Banalisation ou maitrise ? J’ai au moins le sentiment d’assumer ma position de spectateur concerné sans être érudit, ainsi que l’exposé de ma subjectivité, et d’adopter une juste posture entre bienveillance et lucidité.

    Fréquentation: Plusieurs milliers de visites uniques par mois me laissent à penser que je suis lu, ainsi que de nouvelles inscriptions à ma mailing list d’une grosse centaine d’abonnés. Peu de commentaires sont laissés, mais les « j’aime « sur facebook, témoignent de lectures actives plutôt de de visites fortuites. Certains échanges me confirment mon rôle de prescripteur même vis-à-vis de professionnels.

     Vos suggestions?

     Bonne année

    Guy

  • Sur les plateaux la danse sort des cases

    Coïncidence ou focalisation: quelques jours après avoir découvert un opéra presque en BD, je vois aux plateaux du Cdc du Val de Marne des chorégraphes tenter eux aussi des rencontres avec le dessin...

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    D’abord une première pièce avec une drôle de fille sexy qui danse en boucle dans une cage de plexiglas, comme dans une case en 3 D.  Au plafond: des lampes de saloon. « Lucky Luck », la filiation avec le cow-boy de Morris est donc revendiquée dans le titre. Visuellement, c’est plus allusif, détourné. En tailleur et talons aiguilles, l’héroine ne semble pas vraiment venir du Far West. Des dessins sur les cotés du cube, comme en surimpression, mettent en commentaires la perplexité de l’interprète par rapport à son rôle et son costume. Mais elle assume, sur une drôle de partition de percussions, joue par gestes un duel au soleil dans les règles: tir, pistolet fumant et corps qui ploie avant de s’effondrer. Ce corps tombe comme fait de caoutchouc pour rappeler les inspirations cartoon du modèle. Et semble condamné à répéter sans cesse les mêmes séquences aux quatre coins de la case. Puisque que l’exercice reste court, c’est drôle et léger.

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    L’autre proposition est plus consistante: In the beginning. Donc au commencement: du blanc. La vie à venir comme une page blanche, et devant un corps immobile, lui aussi immaculé, tous les possibles désormais. Le mouvement commence d’un geste, ou d’un trait. La main de la dessinatrice, son crayon et le papier, sont filmés d’en haut, sont projetés sur un écran: c'est aussi l’espace de jeu de la danseuse. Qui des deux pense, qui obéit à l’idée? La main sur l’écran suit le corps en dessinant, en pose le contour, le réinvente très schématiquement. Le corps ne se laisse pas enfermer pour autant, se déplace avec son ombre, suivi par le crayon. Son passé est conservé (ou trahi ?), tracé, dans son emplacement d’ici, de maintenant et d’avant. Le mouvement est ainsi, plus ou moins, matérialisé. Le corps bouge, cela devient peu à peu une course poursuite. Je pense à toute la difficulté, dans la vie personnelle, sociale, professionnelle de satisfaire l’intellect, sans laisser le corps de coté, ignoré, sacrifié même. Ici le corps souvent dément l’idée, ne se laisse pas vraiment réduire, semble résister volontairement aux définitions, aux schématisations en noir et blanc. Un dialogue s’instaure, en un équilibre périlleux, dans la rationalisation des mouvements ou la projection des pensées. Les gestes, les arrêts suspendent le crayon, de marche en sauts. Il y a des accélérations, des retours en arrière. La femme court, le papier se déroule, nerveusement. La main rature. L’échange est excité. Il y a des pâtés noirs, sales, crachés, énervés. La vie en accéléré sur cette page blanche ne se laisse pas si facilement décrire d’un point A à un point B. La page blanche est devenu brouillon, presque illisible, vers une page noire, et le corps semble excédé, épuisé. La main noircit le corps au pinceau, réduit l’être à son ombre, jusqu’à l’anéantissement, la saturation.

    C’était Lucky Luck (extrait de la trilogie Archipel) d'Emilio Calcagno dansé par Marie barbotin, musique d’Aurelien Richard.

    et

    In the beginning d’Andrea Bozic (danse) et Julia Willms (dessin live)

    vus aux plateaux du Centre de developpement chorégraphique du Val de Marne.

    Guy

    photo 1 (Lucky Luck ) de Pascal Tomi avec l'aimable autorisation de la compagnie, photo 2(In the beginning) d'Anna von Kooij avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Musique pour enterrements

    Juste d'abord un ou deux morceaux pour chauffer les oreilles, apres au tour des pieds... La tête loin des grisailles d'ici, dans une cité mythique, port où débarquent et copulent toutes les musiques-sublimée la vraie citée meurtrie dont ce même orchestre avait pleuré les blessures d'aprés Katerina dans une grave relecture de "What's going on". Ce soir rien que de la joie, normal pour une fanfare issue de la tradition des cortèges d'enterrements, en deux temps et trois mesures plus de vie qu'en une heure de l'orchestre trés savant de la première partie. Le marching band des débuts d'il y a 30 ans s'est coulé dans l'espace de la scène, une batterie assise malgré l'impatience a remplacé la caisse claire et la grosse caisse jouées debout à la main, une guitare vient colorer les harmonies de funk et de blues électrique, la rondeur et la souplesse de la colossale basse à vent ancre le son en arrière et le rythme en avant. Les vétérans bedonnants et en survet trompent leur monde , font front devant, deux sax et deux trompettes. Il jouent dirty et à pleines dents, à leur tour de nous faire tous lever, sauter en l'air, nous apprendre à défiler de manière tout sauf militaire, à coup de riffs déchirés par des contre-chants insensés et soli généreux. D'abord un bref tour de parade improvisé collectivement dans les rues de la Nouvelle Orléans, juste le temps d'un hommage aux temps d'Armstrong, ensuite un détour calypso destination caraîbes au large. Puis il est temps de mettre un peu de free dans le dixiland, sans hésiter à mélanger les genres, par fusion dans le chaudron bouillant de la great black music, du be-bop au hip-hop, avec James Brown, les Rolling Stone et les Meters. Sans peur de surjouer, entre suraigus de ténor et eructations de baryton, toujours au bord de dissonner, l'exces exubérant. Les dirty old men font monter malicieux les jolies filles sur scène pour danser, veillent qu'en bas la température ne cesse de monter. Le bonheur, c'est de pouvoir faire des trucs idiots pendant une heure, beugler Fire on the Bayou, sauter trés haut, lever les bras, avec eux, nos pieds ne peuvent nous tromper... Do the mokey.

    C'était le Dirty Dozen Brass Band, (Roger Lewis - Saxophone Baryton ; Efrem Towns – Trompette, voix ; Kevin Harris – Saxophone ténor, voix ; Gregory Davis – Trompette, Voix ; Jake Eckert – Guitare, Voix ; Michael Foster – Sousaphone ; Terence Higgins – Batterie, Voix), à l'Espace Prevert d'Aulnay sous bois, dans le cadre du festival banlieues bleues.

    Guy

     

  • Où est la musique?

    La musique évidemment est invisible, presque se devine. Elle semble pourtant ce soir être une matière. Surtout cette musique dite "concrète", est d'une grande qualité de densité, quasi à la toucher. D'où mon trouble également, de ne rien voir d'abord en rapport, ici assis. Je ne vois même pas les amis que j'étais censé retrouver. Essayer de renoncer alors à regarder. Déja les haut-parleurs, partout. Ne pas voir qui joue .Se focaliser sur-juste en face de moi- une petite photo du compositeur, sur une plaque au milieu de fils electriques et circuits intégrés, bobines et fragments de magnétophone, le tout dans une de ses nombreuses créations picturales, chacune un assemblage inédit. Imaginer Pierre Henry quelque part deux étages plus bas, barbe blanche et concentré, devant ses consoles, écouteurs aux oreilles, doigts sur des curseurs. Mais avec quoi joue-t-il vraiment? Chef d'un orchestre virtuel, dirigeant des fantômes, régnant sur les câbles et les amplis? De quelle manière, ici et maintenant, agit-il, sur ce qu'il a préalablement déja est conçu, pensé, enregistré? S'agit-il ce soir d'une simple transmission, d'une mise en situation. Ici à voir ni geste ni instrument. La main, la bouche ne rencontrent ni corde, ni embouchure, ni touche. Voire, à écouter la musique, difficile de visualiser à partir de quels instruments en a été produite la matière première, avant tout traitement, toutes transformations. On entend sortis des baffles, en rythmes et notes, des chocs, des grondements, des agitations, des vibrations, des soupirs, des foules et des évenements qui se bousculent comme des troupeaux impatients, des superpositions, des rencontres,des éclosions, des travaux, des émissions, des rémissions, des inquiétudes et des éclats de joie, des sautes d'humeurs et des traits d'humours, des bulles, des songes et des abandons. Mais ni piano ni violons (à l'exception de quelques samples de Schubert). Elle ne se vit jamais abstraite, cette musique libérée de sa source, qui d'autant plus directement nous touche.

    Puis, à force d'ouvrir les yeux et bouche bée, je vois ce qui est évident depuis le début, comme une lettre cachée dans cette pièce. La maison, la musique ne font qu'une. L'expression de la même pensée, la même. Dans les airs et aux murs la beauté mis à nue, entre rigueur et hasard, matériaux mis en pièces, ré-agencés et ré-inventés, en profusions, accumulation, en contrastes et mouvements. De dedans je vois la musique en voyant la maison assis dans la chambre de Pierre Henry, au dernier étage de sa maison de sons.

    C'était un concert chez Pierre Henry, chez lui à Paris, avec Phrases de Quatuor, Miroirs du temps, et Envol, deux programmes par soir jusqu'au 30 octobre.

    lire aussi : Dieu à la maison, et Pierre Henry au TCI

    Et à s'offrir: La maison de sons de Pierre Henry, avec les photos de la maison et le Cd des musiques du concert (Fage editions)

    Guy

    ...et cette semaine: les gueules d'automne au théatre de l'Etoile du nord, Viviana Moin à la fondation Cartier (soirées nomades de l'exposition Moebius) et Episode de la vie d'un auteur d'Anouilh par Numa Sadoul à la Comédie Nation.

  • Magma hors du temps

    Je ne regrette pas cette première partie de soirée au Forum du Blanc Mesnil avec David Playe, qui installe en octet des paysages sonores lents, entêtants, saturés. Une synthèse, sans fausses notes ni incohérences, de jazz rock, de progressif, électronique, chants de dandys décadents, free jazz, fusion, métal... Ce qui situe très exactement la différence de nature entre ce projet et l'expérience que je vis ensuite: la musique de Magma en effet ne ressemble à rien d'autre qu’à elle-même.

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    J'attends ce moment depuis près de trente ans. Trop jeune pour avoir connu l'époque des grandes éruptions du milieu des 70's. Assez vieux pour un rendez vous manqué au début des années 80, lorsque que le groupe se recherchait lui-même en des territoires esthétiques où je ne le suivais plus.... Mais survivaient les éclats discographiques. Dont la fureur, la révolte et l’audace m'avaient laissé incrédule, bouleversé. Surtout cette absence de recherche de connivence avec l'auditeur, cette immédiateté dans l’impact émotionnel, en même temps cette radicalité qui contre toute attente transcendait la naïveté. Je réécoutais inlassablement ces cris incroyables, pour en comprendre les énigmes, et savoir à quel degré accepter cette mythologie. En vain, sur de fausses pistes. Je comprenais enfin que c’était cette sidération, indépassable, qui était elle-même source de jouissance. Depuis le volcan s'était endormi. Il s’est réveillé il y a 10 ans. Les musiciens ne sont plus les mêmes et Christian Vander- pour ceux qui l'ignoreraient: le créateur, leader, compositeur, batteur et chanteur de Magma- ressemble à un homme de son âge, et tout cela n'a aucune d'importance. Il ne s’agit ici pas de nostalgie, de revival. Cette musique existe au-delà du temps. Hors des modes et contingences. Colère et beauté toujours présentes. Mais le temps a fait sans doute qu’en l’espèce tout s'est épuré, qui ne serait pas musique, vers des aperçus d'absolu. Plus besoin de costumes extravagants- juste le sigle et de sobres et sombres vêtements. Pour toute mise en scène, la violence des lumières. Renoncées les tentations de "traduire" les paroles des chants en Kobaïen, de comprendre au delà de l'émotion. Finis les discours, et les provocations. Le mythe est installé, juste dissipés ses aspects les plus puérils, il reste l'ambition et le projet. Rien que la musique donc, mais dont les enregistrements ne peuvent jamais restituer qu'un écho. Il faut vivre l'expérience du déferlement de cette musique au moment même où elle se crée, où elle se manifeste. Voir alors les musiciens emportés dans un même mouvement, comme s'ils ne formaient qu'un seul corps traversé par quelque chose de plus important qu'eux. Ni soli, ni compromis, ni enjolivement. Hors de propos ici de mettre en valeur quelque individualité, les prouesses de tel ou tel instrumentiste, le leader y compris. No jazz. La virtuosité ici se fait humble. Les formules rythmiques sont proprement ahurissantes, mais cet exploit est collectif. L’épurement œuvre au cœur de la musique même. Les thèmes se concentrent à l'essentiel, s’étendent mais s’approfondissent en redondances, unissons et répétitions. Les variations se succédant imperceptibles, jusqu'à l'hypnose ou l'abandon. Jusqu’au franchissement de ce point où il parait impossible que la course de cette masse sonore ne puisse jamais s'interrompre. Une seconde pèse une heure, et inversement. Les constructions fractales se précipitent: des accélérations inhumaines qui me laissent bouche bée. Les instruments incarnent l'équilibre dynamique et  précaire des forces élémentaires, dans les extrêmes du grave et l'aigue. Voix et cymbales aériennes, basse qui gronde monstrueuse et terrienne, infatigable soutien rythmique et harmonique des claviers. Le vibraphone, aquatique, laisse suspendu des interrogations, des mystères. Le feu porte l’ensemble à blanc. Tout à la fois la batterie scande les chants, et d'éclats et roulements de caisse claire tente de casser le temps, comme, pour juste quelques fractions de secondes, révéler des reflets d'éternité. Ce suspend impossible, vers le temps zéro, se dérobe sans cesse. Spectateur, témoin de cette recherche utopique de l'accord parfait, je ne peux que m'abandonner à cette cérémonie, cette expérience presque mystique, sinon juger le tout ridicule et renoncer. La posture de Magma par rapport à son public, quoi que respectueuse- il n’est plus question d’exterminer les spectateurs, comme le suggérait autrefois une pochette de disque…-, reste singulière et intransigeante. La relation exigeante. En deux heures de concert, naissent, vivent et meurent trois morceaux seulement, dont deux inédits. Le second, aux accents folkloriques entre musiques celtes ou de l'Europe de l'Est  si l'on tient absolument à lui rechercher des ascendances, surprend par sa fraîcheur, et sa légèreté. Enfin la suite EMEHNTEHTT-RE, exhumée ou ré-agencée de sections déjà créées par le groupe au cours des années, et objet du dernier cd. Sans que cette démarche ne puissent être suspectée de commerciale ou d'opportuniste: le fan qui viendrait au Forum ce soir pour s’entendre servir des morceaux-relativement-plus populaires : Kobaïa, Mekanïk Dëstucktïw Kommandöh en serait pour ses frais. L’entreprise consiste plutôt à revenir sur cette œuvre inachevée, sans se soucier de l'historicité, pour l'amener vers une forme supérieure. Au cœur de cette pièce: HHaï m’emporte. C'est, je crois, la plus belle et incroyable chose offerte par Magma. Les parties instrumentales déferlent en un torrent irrépressible, le chant de Christian Vander concentre en sa voix toute l'ampleur et les contrastes de sa musique démesurée, dans ses gestes les manifestations de la transe transcendent le fait qu'il vienne se mettre au premier plan. En médium, simplement. L'histoire ne peut que finir tragiquement, par une lancinante répétition d’accords  sur coups de cymbales, une oraison funèbre, une descente au tombeau, pas de rappel ni résurrection. Cette musique pourrait représenter à l’instant précis de la mort l’écoulement de toute la vie. Maintenant il fait nuit.

    Guy

    C’était Magma, avec Christian Vander (Batterie, chant), Stella Vander, Isabelle Feuillebois et Hervé Aknin (chant), Bruno Ruder (piano Fender Rhodes), Philippe Bussonnet (basse), James Mac Gaw (guitare), Benoît Alziary (Vibraphone, claviers) au Forum du Blanc Mesnil , le 12 juin 2010.

     Magma joue du 23 au 26 juin, au Triton (Les lilas)

  • Des regrets: l'opéra de 4 sous

    Le drame se fige au ralenti en une construction géométrique, l'espace en lumières ostensibles, à-plats et ellipses, la chair des acteurs blanchie et figée, le jeu de même. Les personnages se meuvent grimaçants et poudrés, en caricatures grinçantes. Ce cabaret intemporel et de néons est épuré jusqu'à en devenir funêbre, en un mélange déconcertant de vulgarités étudiées et de raffinement formel. Je jouis des rengaines universelles de Weill et m'ennuie du texte de Brecht ainsi fossilisé. L'orchestre, d'une implacable précision, manque de mordant. Je suis fasciné par ces ensembles impeccables, ces lignes pures, ce défilé de fête foraine symbolisé en quelques roues lumineuses, par ces chorégraphies au millimêtre. Je me prends à rêver d'accidents, d'indeterminé, d'éclats et d'à peu pres. Deux heures aprés, je m'échappe à l'entracte, dehors la vie m'attend.

    C'était l'Opéra de 4 sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, par le Berliner Ensemble, mise en scène de robert Wilson, au théatre de la Ville.

    Guy

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  • Du jazz pour maintenant

    Les rythmes se bousculent et en triple file se dépassent, en fusion se rejoignent. Les harmonies entourent et s'étendent, généreusement. Les lignes serpentent sur un tapis boisé de contrebasse, d'accents de cymbales, de notes égrenées noires et blanches, impatientes. Les rôles s'échangent. L'œil danse sur la chorégraphies des mains et des instruments, ces vibrations qui se propagent aux épaules du contrebassiste, ce batteur qui bat de la tête, ce poignet droit du pianiste qui vers le bas s'échappe après l'attaque... Le trio s'est baptisé Sphère, j'entends plutôt un triangle aux angles impossibles qui se distendent jusqu'avant la rupture, se retournent en tout sens, jubilants. La musique est colorée, expressive et tendre, emporte dans l'émotion, et loin, sans faire violence.  

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    Je cherche les réminiscences de trios d'avant: ceux de Bill Evans, Keith Jarett... puis j'oublie, je jette. Pas besoin de références: ils sont eux, ils sont jeunes-bien que plus ou moins barbus pour donner le change- et en compositions toutes originales et aussi fraiches qu'une ballade matinale, un matin de printemps. Du jazz pour le troisième millénaire, qui, une fois la tradition assimilée, s'oublie et recommence, à neuf.

    C'était Sphère, avec Jean Kapsa (piano), Antoine Reininger (contrebasse), Maxime Fleau (batterie), vu et entendu au Sunside.

    Photos par Alice Rain avec l'aimable autorisation de Jean Kapsa

    Guy

  • John Coltrane est vivant

    Dans cette baraque prés des voies de la Gare du Nord, on pourrait se croire dans un club de jazz à New-York. Sur la scène des spectateurs attablés, le brouhaha des conversations, un barman qui nous réchauffe d'un ballon de rouge, avant de se révéler en comédien aux premières mesures jouées par le trio sans piano. Dans son regard doux et triste affluent les souvenirs de ce jour de juillet 1967, lorsqu'il apprit la mort de J.C.. Il se saoule, se balance, danse, rie et conte, ramène Coltrane en direction de l'Afrique, à force d'emphase, de bonhomie, de générosité.

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    Ses mots seuls ne sont rien, belles anecdotes, hommages fervents, justes reflets impuissants de mélodies insaisissables et d'envies d'infinis. Mais c'est l'équilibre entre le récit et musique qui est remarquable ici, sans jamais que l'un ne gêne l'écoute de l'autre. Les quatre jouent, chantent ensemble, se soutiennent et se consolent. La voix du témoin est portée par les trois instruments, jusqu'à s'élever en chant. Mais souvent choisit sagement de se taire, laisse parler le saxophone une fois dite quelle douleur inspira Alabama, ou une fois annoncée la soif d'amour universel qui porte A love Supreme. Le saxophone alors de tenter de s'emporter jusqu'à s'effacer lui-même, l'instrument oublié à nous faire entrevoir des éclats du tout et des fulgurances de beauté. Sans tenter d'imiter note pour note, son pour son, John Coltrane, plutôt partager avec nous un peu de ce qu'il nous offrait. Que peut dire le conteur aprés? Encore réveler ses doutes, les incompréhensions, les embûches sur son chemin, à chaque étapes de cette quête sans fin, rappeler la condition des noirs américains alors qu'un chorus de batterie prend des accents de rébellion. Évoquer la vocation d'artiste de J.C. , s'interroger sur la vocation de l'artiste tout court, passeur vers l'absolu et inspirateur de vie. Coltrane s'estompe dans le continent oublié des sixties. Ce monde est mort sans doute, disparu dans la lassitude ou la confusion. La musique survit, une flamme ranimée.

    C'était A Love Supreme, mis en scène par Luc Clémentin, d'aprés une nouvelle d'Emmanuel Dongala, avec Adama Adepoju (jeu et voix), Sebastien Jarrousse (sax tenor et soprano), Jean Daniel Botta ou Mauro Gargano (contrebasse), Olivier Robin (batterie). Du jeudi au dimanche jusqu'au 24 janvier au Grand Parquet.

    Guy

    Photo par Nelly Santos avec l'aimable autorisation de la compagnie.

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