Coïncidence ou focalisation: quelques jours après avoir découvert un opéra presque en BD, je vois aux plateaux du Cdc du Val de Marne des chorégraphes tenter eux aussi des rencontres avec le dessin...
D’abord une première pièce avec une drôle de fille sexy qui danse en boucle dans une cage de plexiglas, comme dans une case en 3 D. Au plafond: des lampes de saloon. « Lucky Luck », la filiation avec le cow-boy de Morris est donc revendiquée dans le titre. Visuellement, c’est plus allusif, détourné. En tailleur et talons aiguilles, l’héroine ne semble pas vraiment venir du Far West. Des dessins sur les cotés du cube, comme en surimpression, mettent en commentaires la perplexité de l’interprète par rapport à son rôle et son costume. Mais elle assume, sur une drôle de partition de percussions, joue par gestes un duel au soleil dans les règles: tir, pistolet fumant et corps qui ploie avant de s’effondrer. Ce corps tombe comme fait de caoutchouc pour rappeler les inspirations cartoon du modèle. Et semble condamné à répéter sans cesse les mêmes séquences aux quatre coins de la case. Puisque que l’exercice reste court, c’est drôle et léger.
L’autre proposition est plus consistante: In the beginning. Donc au commencement: du blanc. La vie à venir comme une page blanche, et devant un corps immobile, lui aussi immaculé, tous les possibles désormais. Le mouvement commence d’un geste, ou d’un trait. La main de la dessinatrice, son crayon et le papier, sont filmés d’en haut, sont projetés sur un écran: c'est aussi l’espace de jeu de la danseuse. Qui des deux pense, qui obéit à l’idée? La main sur l’écran suit le corps en dessinant, en pose le contour, le réinvente très schématiquement. Le corps ne se laisse pas enfermer pour autant, se déplace avec son ombre, suivi par le crayon. Son passé est conservé (ou trahi ?), tracé, dans son emplacement d’ici, de maintenant et d’avant. Le mouvement est ainsi, plus ou moins, matérialisé. Le corps bouge, cela devient peu à peu une course poursuite. Je pense à toute la difficulté, dans la vie personnelle, sociale, professionnelle de satisfaire l’intellect, sans laisser le corps de coté, ignoré, sacrifié même. Ici le corps souvent dément l’idée, ne se laisse pas vraiment réduire, semble résister volontairement aux définitions, aux schématisations en noir et blanc. Un dialogue s’instaure, en un équilibre périlleux, dans la rationalisation des mouvements ou la projection des pensées. Les gestes, les arrêts suspendent le crayon, de marche en sauts. Il y a des accélérations, des retours en arrière. La femme court, le papier se déroule, nerveusement. La main rature. L’échange est excité. Il y a des pâtés noirs, sales, crachés, énervés. La vie en accéléré sur cette page blanche ne se laisse pas si facilement décrire d’un point A à un point B. La page blanche est devenu brouillon, presque illisible, vers une page noire, et le corps semble excédé, épuisé. La main noircit le corps au pinceau, réduit l’être à son ombre, jusqu’à l’anéantissement, la saturation.
C’était Lucky Luck (extrait de la trilogie Archipel) d'Emilio Calcagno dansé par Marie barbotin, musique d’Aurelien Richard.
et
In the beginning d’Andrea Bozic (danse) et Julia Willms (dessin live)
vus aux plateaux du Centre de developpement chorégraphique du Val de Marne.
photo 1 (Lucky Luck ) de Pascal Tomi avec l'aimable autorisation de la compagnie, photo 2(In the beginning) d'Anna von Kooij avec l'aimable autorisation de la compagnie