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Les cinq premières minutes

C’est la fin d’un monde… ou la fin des études.

Dans un cas ou dans l’autre, une mutation, vers autre chose? Que faire des cinq dernières minutes? Se jeter dans un défi, rechercher ses limites? Accomplir un acte de foi ou de désespoir, d’amour, de solidarité... voire de rigolade? Ce soir, les jeunes circassiens de la 23° promotion du Centre National des Arts du Cirque proposent leurs réponses en spectacle. En paroles, et en se donnant à voir chacun dans l’exercice de son art: corde, mat, tremplin, acrobaties au sol….  C’est une contrainte lourde à respecter pour le metteur en scène David Bobée (lui juste d’une dizaine d’année moins jeune que les interprètes), de lier tous ces « numéros » autour du thème central. Musique omniprésente, belles lumières, scénographie étudiée: il fait le choix clair de la théâtralité. Quitte à s’approcher- il me semble- de la surcharge sentimentale dans le spectaculaire.


 

Il réussit pourtant à révéler par mots et gestes une part de la personnalité de chaque interprète, de leur vérité. Je ressens toujours de l'émerveillement devant les prouesses. Mais m’intéresserais-je vraiment aux évolutions de cette jeune femme sur cette corde verticale, si je n’avais prêté avant attention aux doutes qu'elle dit à l’heure du saut vers l’inconnu, à sa fragilité? Elle s’élève, tente d’échapper à la pesanteur, à cette fatalité, glisse tout le long comme s’étant abandonnée, laisse deviner que la chute pourrait être désirée. Le risque prend un autre sens. Apprécierais- je l’énergie et la jovialité de ces deux acrobates au sol, l’un bavard, l’autre sourd-muet, s’ils n’avaient d’abord manifesté d’un geste éloquent que la fin du monde, ils n’en ont vraiment rien à taper! Une autre jeune femme éperdue demande à haute voix: «si j’étais la dernière femme et tu étais le dernier homme, que me ferais tu maintenant ?». Avant de s’envoyer ensemble en l’air, sur le tremplin. Les artistes viennent des quatre coins d’un monde, qui comme le plateau semble tourner trop vite, les projette au bord du déséquilibre. Le temps, inversé et angoissé, passe en compte à rebours, avant une possible catastrophe, qui mettrait tout sans dessus-dessous. Ce plateau ressemble aux pièces d’un appartement, lieu de vie sans cesse bouleversé mais qui permet à tous de se réunir pour dessiner en collectif le portrait d’une jeunesse inquiète et fragmentée, avec ses rencontres, ses foules sentimentales et ses solitudes: des amis autour d’une table, un couple qui s’enlace, se dispute… Sur cette planète Mélancolie, l’avenir est leur mais tout à inventer.   

 

Même sujet, mis en scène à l’opposé. Michel Schweitzer, 53 ans, donne le plateau et la parole à des jeunes amateurs autour de 18 ans, dans leurs derniers temps du passage de l’adolescence à l’âge de jeune adulte. Schweitzer assisté d’un comparse et D.J., se place dans la posture d’un animateur bienveillant et paternaliste. Pour aussitôt mettre en scène l’ambigüité manipulatoire de sa propre position. Il propose aux interprètes de structurer leur spectacle autour d’un abécédaire rédigé par un philosophe. L’un des jeunes refuse aussitôt ce cadre imposé, préfère donner la priorité à ce que lui suggèrent ses propres intuitions, même confuses. Ce qui suit prend dés lors l’apparence d’une prise de pouvoir improvisé, d’un  dialogue en forme de rapport de force permanent entre les générations pour la maîtrise de l’expression. Sur deux pendules les minutes s’écoulent  à des vitesses différentes, suggérant un fossé qui se creuse. Au prix de longueurs et de fluctuations de notre attention, sur scène tout semble possible.

Le groupe, avant toute véritable prise de parole, préfère chercher énergie et cohésion dans un temps de danse techno, se rassemble en une grappe dense et hédoniste, quitte à laisser le public de coté. La scène est foutraque, lumières allumées dans la salle, conventions spectaculaires refusées. Les jeunes tiennent l’espace du plateau par le nombre, le dj propose et négocie, Michel Schweitzer garde le contrôle des écrans pour délivrer suggestions et messages. Les jeunes s’expriment quant à leurs préoccupations, alternent sujets pratiques et existentiels, abordent questions sentimentales et sexuelles avec un mélange de franchise et de pudeur. De l’effronterie et de l’inquiétude, un maintenant crâneur et des lendemains incertains. La prise de parole est collective, bousculée, en jeu de ping-pong, sans complaisance, souvent sur un mode de dérision. Les antagonismes et manifestations d’incompréhension s’expriment tout autant entre eux qu’avec les vieux. Ils se rassemblent par la musique, la danse et la chanson, mettant en pratique les « talents particuliers » pour lesquels ils ont été sélectionnés. Par transitions en demi-teinte, l’effet Starac’ est évité. Leurs performances sont encore jeunes, mais émouvantes dans ce contexte, par ce qu’elles disent de leur devenir. Leur prise de risque trouve son écho dans les discussions, et l’urgence qu’ils expriment de trouver leurs les limites. Cette proposition surprenante s’achève par l’expression du dilemme qui résume leur difficulté à être au monde: le choix entre un cynisme prématuré, et un enthousiasme idéaliste. Je suis alors interpellé par la posture de Miche Schweitzer, plus proche de ma génération, qui feint alors un attendrissement détaché l’impuissance à se souvenir de sa propre jeunesse.

C’était This is the End, spectacle de fin d’études des élèves de la 23° promotion du Centre National des arts du Cirque, mis en scène par David Bobée jusqu’au  12 février à l’espace chapiteaux de la Villette


Et Fauves mis en scène par Michel Schweitzer au théâtre de la cité internationale jusqu’au 31 janvier dans le cadre de Faits d’Hiver.

Guy

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