Dans cette baraque prés des voies de la Gare du Nord, on pourrait se croire dans un club de jazz à New-York. Sur la scène des spectateurs attablés, le brouhaha des conversations, un barman qui nous réchauffe d'un ballon de rouge, avant de se révéler en comédien aux premières mesures jouées par le trio sans piano. Dans son regard doux et triste affluent les souvenirs de ce jour de juillet 1967, lorsqu'il apprit la mort de J.C.. Il se saoule, se balance, danse, rie et conte, ramène Coltrane en direction de l'Afrique, à force d'emphase, de bonhomie, de générosité.
Ses mots seuls ne sont rien, belles anecdotes, hommages fervents, justes reflets impuissants de mélodies insaisissables et d'envies d'infinis. Mais c'est l'équilibre entre le récit et musique qui est remarquable ici, sans jamais que l'un ne gêne l'écoute de l'autre. Les quatre jouent, chantent ensemble, se soutiennent et se consolent. La voix du témoin est portée par les trois instruments, jusqu'à s'élever en chant. Mais souvent choisit sagement de se taire, laisse parler le saxophone une fois dite quelle douleur inspira Alabama, ou une fois annoncée la soif d'amour universel qui porte A love Supreme. Le saxophone alors de tenter de s'emporter jusqu'à s'effacer lui-même, l'instrument oublié à nous faire entrevoir des éclats du tout et des fulgurances de beauté. Sans tenter d'imiter note pour note, son pour son, John Coltrane, plutôt partager avec nous un peu de ce qu'il nous offrait. Que peut dire le conteur aprés? Encore réveler ses doutes, les incompréhensions, les embûches sur son chemin, à chaque étapes de cette quête sans fin, rappeler la condition des noirs américains alors qu'un chorus de batterie prend des accents de rébellion. Évoquer la vocation d'artiste de J.C. , s'interroger sur la vocation de l'artiste tout court, passeur vers l'absolu et inspirateur de vie. Coltrane s'estompe dans le continent oublié des sixties. Ce monde est mort sans doute, disparu dans la lassitude ou la confusion. La musique survit, une flamme ranimée.
C'était A Love Supreme, mis en scène par Luc Clémentin, d'aprés une nouvelle d'Emmanuel Dongala, avec Adama Adepoju (jeu et voix), Sebastien Jarrousse (sax tenor et soprano), Jean Daniel Botta ou Mauro Gargano (contrebasse), Olivier Robin (batterie). Du jeudi au dimanche jusqu'au 24 janvier au Grand Parquet.
Photo par Nelly Santos avec l'aimable autorisation de la compagnie.