Début de soirée: c'est un plaisir de partager un moment avec Florence et sa famille. Florence est une amie d'avant retrouvée depuis peu. Nous faisons ensuite le chemin jusqu'à L'étoile du nord, pour le festival Jet Lag, sans même à avoir, en partant de chez elle, à changer de trottoir. Florence, curieuse et cultivée, est peu familière avec la danse contemporaine. Bien que donc voisine, elle vient ce soir à L'Etoile pour la première fois. Et endosse avec un sourire entendu le costume de la candide. Cela m'enthousiasme de lui proposer cette découverte. Dans le même mouvement, je comprends à quel point son regard peut être pour moi déstabilisant. Déja, à essayer de lui expliquer ce que Viviana Moin est susceptible de faire sur scène, je m'embrouille, je me perds dans l'anecdote. J'ai l'impression de vendre ou de sur-jouer. Partager ce qu'on aime, c'est déja s'exposer. Avec plus de vulnérabilité que derrière un clavier.
En première partie: Claudia Gradinger. Pour dix minutes d'extraits de sa nouvelle pièce. A l'énoncé du titre et à la vue des objets sur le plateau, difficile d'ignorer qu'il s'agit tout le temps de la Suisse, au moins en toile de de fond. Pour le reste, ce que dit prudemment Florence à l'entracte cristallise mes impressions encore destructurées, mon ressenti qui flotte. Florence reconnait les qualités physiques de la danseuse, et tout ce qui relève du pur mouvement. Mais s'ennuie de la profusion d'accessoires, de mots et de symboles, sans être parvenu à y trouver de la lisibilité. Florence s'amuse bientôt d'entendre une personne du metier formuler grosso modo la même analyse. Pour ma part, j'espère que la piece vue intégralement aurait laissé un souvenir plus construit.
Ensuite... L'entrée en scène de Viviana Moinbalaye toute rationalité. Et toute convention spectaculaire. Viviana est habillée d'un collant rose, d'un chapeau importé d'un folklore suspect, et d'un dispositif improbable qui évoque un soutien-gorge. Elle n'a peur de rien. Ca passe ou ça casse. Sur un ton entendu, elle fait allusion à de mystérieux évenements. Cocasses et effrayants. Fait d'une simple allusion exister des personnages bizarres . Puis s'abandonne à une danse frénétique, s'offre en sacrifice dans un rituel trafiqué... Je n'ose jeter un regard de biais à mon amie et voisine de fauteuil. A tort: plus tard Florence me racontera avoir été emportée, aprés quelques secondes d'incrédulité, dans le monde singulier de Viviana, avec ses connivences hallucinées et imaginaires à tiroirs. Peut-être est-ce la voix de Viviana qui déjoue les résistances, pour nous faire accepter des implicites absurdes, des évidences retournées. L'énergie sans retenue aussi nous emporte dans le mouvement, de cette rencontre avec une licorne bleue pour des accouplements frénétiques et compliqués. Ce dont je ne discute pas encore avec Florence, car je n'en prendrai vraiment conscience en ces termes que deux ou trois jours plus tard, c'est toute la cohérence du travail de Viviana, de pièce en pièce, dans la suggestion de nouvelles mythologies, artificielles, partagées, "mondialisées". Pourquoi cela me semble-t-il si important d'entreprendre cette construction maintenant? Plus enthousiasmant en tout cas, que sur les scènes la pandémie de danses dépressives.
Mais pour le moment la licorne fait sécession en deux complices, et cela m'évoque irrésistiblement (de Fred) le petit Cirque. Une fois les acteurs décostumés, se montre désormais l'histoire du spectacle en train de se faire. Jusqu'à la remise en question de la possibilité même du spectacle, suspendu entre un tout convaincu, et juste des élements accumulés auxquels certains personnages ne croiraient plus. Ce parti-pris est périlleux. Me laisse sur le fil. Cela peut être vu comme de l'à peu prês improvisé, de la désinvolture. Deux, trois spectateurs ainsi nous abandonnent. Florence reste, heureusement. Suit une séquence de marionnettes, dans un délicat équilibre entre fiction (les poupées) et commentaires (les acteurs). Il y a dans le texte des fulgurances, et des outrages dans les gestes. Par instants je m'amuse, d'autres instants je m'ennuie. C'est Florence qui me rattrape, car je l'entends qui rie. La suite réconcilie, et rassemble les personnages au bord de la démission, pour une chanson hilarante avec guitare et castagnettes. Pour conclure dans une recherche de ce que peuvent être les limites acceptables de la performance, la recherche du danger: Viviana saigne-t-elle?
C'est la sortie. Seul je digererais tranquillement, mais à cet instant j'en suis reduit au doute: Florence me rassure. Ou se montre d'une politesse extrème. Entreprend une analyse complête et amusée de la chose, descriptive, accepte le souvenir des sensations plutôt que la stricte recherche du sens, insiste sur ce qui l'a surpris. Réussit à me convaincre que je peux ne pas être le seul à m'emerveiller de propositions incongrues telles celle ci. Je sais et je dis que la création est jeune de quelque semaines seulement, et, inutilement, lui cherche presque des excuses, plutôt que de revenir sur son intelligence et sa vitalité. Je dis-ou est-ce Florence? Je ne sais plus...- que plus travaillée cette pièce eut peut-être perdu de sa force. Quelque jours plus tard je pense l'inverse, que le meilleur est à venir, il faudra qu'on en rediscute...
C'était MON COUCOU, TELL ET MA SUISSE [EXTRAIT - CREATION ] de CLAUDIA GRADINGER et ESPIRAL - CREATION - de VIVIANA MOIN avec Arnaud Saury et Laure Mathis (réalisation de la licorne de G. Kortsarz.) à L'étoile du nord.
Guy
photos (D.R.) avec l'aimable autorisation de Viviana Moin
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