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Entreprise sévère et ambitieuse: le livret de cet opéra dense de sens puise dans le vivier des mythes universels. Un peuple en détresse erre en quête d'un dieu muet sous la conduite de son prophète. Cette traversée du désert les amène vers un havre, une possible terre promise. Le récit balance entre universalité et l'actualité flagrante avec la figure d'un religieux fanatique et misogyne, prompt à tuer à coups de revolver. Dès le temple trouvé, coule le premier sang. Mais le ciel est vide, la scène aussi. Cette omniprésence du vide, assumée dans la pièce, me pose question, avec la sensation que la chorégraphie explore obsessionnellement cet espace austère sans le remplir de vie, d'expression. Malgré les enjeux, ll me manque d'être saisi, halluciné. Mouvements désunis, me dit une amie. Il me faut attendre le personnage de la sybille pour gouter de la liberté, de la surprise et du délié, même de la transe. Dans cette concurrence des sens que produit le genre de l'opéra, avec une partition ici très acide, le chant à vif, le livret à lire dans le même temps, dans cette masse d'informations à décrypter, la danse me semble ici passer au second plan.
Cette redifusion de la chronique du 23/09/2011 est réservée à mes proches de Toulon et environs: Mme butterfly y passe mi novembre à l'Opéra.
Risquer le pari de l’opéra? Pas évident. Surtout si l’on n’est pas tombé tout petit dedans. Je ne m’y plonge ce soir qu’à cause de Numa Sadoul. C’est d’abord intimidant, presque irritant. Dans un écrin d’or et de rouge, tant de couches de sens, de sensations en empilement, ces redondances qui peuvent laisser loin à distance, lasser. Tout à la fois: le décor et les lumières, dans les costumes les chanteurs et tant et plus de figurants, leur voix qui s’élèvent et doublent les instruments mais aussi le texte en même temps, et leurs gestes. En bas l’orchestre, et le chef qui à la baguette décide aussi ainsi du rythme des mouvements d’en haut, sur scène. L’Opéra est-ce l’art du plein trop, du plein?
Pourtant un bon présage en introduction de cette Madame Butterfly: des danseurs tourmentés d’une blancheur à la Sankai Juku traversent la scène- même si plus rapidement que l’on s’y attendrait, car c’est la partition qui commande. Le décor est simple comme une estampe. Une modeste maison de bois, un pont et une jonque, l’idée de la mer au loin. Comme un désert qui laisserait deviner la suite du drame. Voici pour le port de Nagasaki.
L’histoire tient, elle-aussi, en deux lignes. L’américain, vient, boit, prend et repart, oublie. Madame Butterfly, la geisha, a juste 15 ans, et bientôt porte leur enfant.
Et c’est la simplicité qui met l’affaire à ma portée. Et la sobre mise en scène qui allège tout le superflu qui pourrait peser. Ne reste plus qu’à laisser derrière les préjugés et regarder le drame avec des yeux d’enfant, accepter que l’émotion et le sens passent aussi par le chant. Écouter la musique de Puccini (1904) qui s’enjoue et brille, prend des accents de comédie musicale avant l’heure. La scène est envahie par une foule pour le mariage express du Marin Pinkerton et de Mademoiselle Butterfly, la comédie de l’amour se joue sous des chœurs enivrants, puis l’union est consommée…
Fin du premier acte.
Le destin de Mme B. se joue en creux durant l’entracte: le départ et la naissance, les trois ans d’absence…
Tout est joué dés le début du second acte pour la perte des dernières illusions, vers l’évidence de l’abandon, la désolation. La couleur des voix se teinte de plus sombres tonalités. Madame Butterfly n’est plus une enfant maintenant, mais les enfants sur scène deviennent omniprésents, avec eux la persistance de l’innocence. Ils rêvent, et se transforment en papillons, dans la nuit au milieu des bulles de savons et de la fumée des songes. Sous la neige, ou peut-être sous une pluie de cendre sur Nagasaki. Je me laisse moi aussi gagner par la naïveté. La sobriété permet la fusion de sensations de musique et visions. Sous l’esthétique la tristesse peut s’imposer. Un moment de recul vers le 3° acte et je prends conscience de la relative limitation des mouvements des chanteurs, sollicités par le chant, même si nous sommes un peu trompés par l’agitation de personnages par moments muets, tel l’infâme entremetteur. D’où cette construction en beaux plans quasi-fixes, qui ressemblent à des cases de B.D... Moins à des tableaux qu’à des vignettes qui pourraient être inspirées du Lotus Bleu d’Hergé, comme celle que le metteur en scène porte- sans surprise -à la boutonnière. Troisième acte : Mme Butterfly donne l’enfant et meurt. Paris gagné, une nouvelle découverte.
Le drame se fige au ralenti en une construction géométrique, l'espace en lumières ostensibles, à-plats et ellipses, la chair des acteurs blanchie et figée, le jeu de même. Les personnages se meuvent grimaçants et poudrés, en caricatures grinçantes. Ce cabaret intemporel et de néons est épuré jusqu'à en devenir funêbre, en un mélange déconcertant de vulgarités étudiées et de raffinement formel. Je jouis des rengaines universelles de Weill et m'ennuie du texte de Brecht ainsi fossilisé. L'orchestre, d'une implacable précision, manque de mordant. Je suis fasciné par ces ensembles impeccables, ces lignes pures, ce défilé de fête foraine symbolisé en quelques roues lumineuses, par ces chorégraphies au millimêtre. Je me prends à rêver d'accidents, d'indeterminé, d'éclats et d'à peu pres. Deux heures aprés, je m'échappe à l'entracte, dehors la vie m'attend.
C'était l'Opéra de 4 sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, par le Berliner Ensemble, mise en scène de robert Wilson, au théatre de la Ville.