Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

tatiana julien

  • Seule, ensemble

    Soulèvement: le sujet serait dans le titre. Mais n'est ce pas paradoxal de danser la révolte en solitaire? Toute seule (et soulevée?), la chorégraphe et danseuse, sous les regards bi-frontaux des sages spectateurs de Chaillot. Sous des clameurs enregistrées- de meetings, de match, de concert? - le personnage de la jeune femme de tout son corps s'emporte et s'excite. Cette rave est-elle un rêve, un fantasme dansé en chambre? Une contagion paradoxale par l'ivresse collective, les écouteurs aux oreilles, regard en dedans? Chacun est star dans son miroir, ou dans son selfie: le personnage se transforme Mylène Farmer par escalade de play-back, boots, bonds et fringues argentées. C'est plus que physique, c'est jubilatoire.
    En s'appropriant une culture très populaire Tatiana Julien fait le grand écart avec les voix enregistrées de Gilles Deleuze et autres Edgar Morin, hédonisme frivole et sérieuse politique se superposent. Dans l'audience séduite mais impassible, je tape du pied et m'interroge à rassembler ces contrastes en une cohérence, tandis que la performeuse danse seule, et toujours plus fort, ce qui ailleurs remue habituellement en groupe. Cela nous suggère-t-il que, peu importe le sujet social en jeu, il ne serait que prétexte, le soulèvement serait lui la rencontre et l'exécutoire des trop pleins d’énergie? 
    Lorsque la transe l'a portée jusqu'au bout de l'épuisement, la danseuse devenue boxeuse, prend voix- et c'est un moment fort- pour porter les mots de Camus, partager la difficulté d'être au monde, seul ou ensemble. Et elle trouve peut-être la réponse en une nudité surprise et joyeuse, pour sauter, glisser et bondir dans le public souriant et complice, lui distribuer des câlins mouillés. In extremis, par cette belle rencontre et le concours bienvenu des incantations de Patti Smith, le passage au collectif est bien consommé.
     

    danse,performance,tatiana julien,théatre national de chaillot

     
     
    Guy
     
    photo d'Hervé Gozula avec l'aimable autorisation de la compagnie
  • Un soir à l'opéra

    D'une représentation à l'autre, est-ce notre regard qui change, ou la pièce qui évolue? Souvent les deux à la fois. Entre l'Initio vu avec faits d'hivers au théâtre de la cité internationale en début d'année et l'Initio [live]-titre étrangement rock!- de jeudi dernier à Chaillot, il y a plus que le renfort-apprécié- d'un orchestre et d'un chœur. C'est la danse qui parvient maintenant à s'imposer, en cette convergence compliquée que l'opéra recherche, avec le chant et la musique. Équilibre atteint. En janvier dernier je m'étais plutôt attaché à analyser le livret dans son état d'alors. Je ne lis pas celui de ce soir, absolument pas attentif au détail de la  narration, plutôt juste au thème général et aux émotions reçues. Est ce l'effet de ma stratégie de spectateur, ou plus passivement la conséquence de mon humeur un peu lasse? De toute manière je suis incapable de lire le livret dans le noir, pas plus de comprendre à l'oreille les paroles dans les belles envolées du chant. Il pourrait tout autant s'agir d'une langue étrangère, voire fictive, bien appropriée pour raconter l'allégorie d'un peuple en marche, comme dans une œuvre du groupe Magma. Cette partition, si dure et dramatique, aux angles aigus, a-t-elle changé? Je ne sais. Mais- grande différence avec la première version, les musiciens sont présents, ce qui est sensible non seulement par ce que je reçois de plus intense dans l'interprétation, mais dans leur intéressante physicalité. En janvier le vide traversé dans cette errance des personnages m'avait mis mal à l'aise, ce soir l'espace est intensément peuplé, au commencement par la foule des choristes, encore silencieux mais pour divaguer à quatre pattes- ce qui évoque "La mort et l'extase" de la même chorégraphe. Au deuxième acte, l'orchestre vient sur scène rentrer dans le mouvement, en empathie plutôt qu'en concurrence avec les danseurs , tous ensemble peuple d'artistes au service du sensible. Le rôle de la sibylle est dédoublé: Tatiana Julien danse et Léa Trommenschlager chante mais bien présente, ainsi que le ténor Rodriguo Ferreira. Tous s'engagent dans le mouvement, à l'unisson d'une danse cette fois engagée, d'inquiétude et d'urgence. 

     initio2.jpg

    C'était Initio [live] de Tatiana Julien (Chorégraphie), Pedro Garcia-Vélasquez (musique), Alexandre Salcède (livret, vu au Théâtre de Chaillot le 30 novembre 2017

    Guy

    photo par Meng Phu avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Gimme Shelter

    Entreprise sévère et ambitieuse: le livret de cet opéra dense de sens puise dans le vivier des mythes universels. Un peuple en détresse erre en quête d'un dieu muet sous la conduite de son prophète. Cette traversée du désert les amène vers un havre, une possible terre promise. Le récit balance entre universalité et l'actualité flagrante avec la figure d'un religieux fanatique et misogyne, prompt à tuer à coups de revolver. Dès le temple trouvé, coule le premier sang. Mais le ciel est vide, la scène aussi. Cette omniprésence du vide, assumée dans la pièce, me pose question, avec la sensation que la chorégraphie explore obsessionnellement cet espace austère sans le remplir de vie, d'expression. Malgré les enjeux, ll me manque d'être saisi, halluciné. Mouvements désunis, me dit une amie. Il me faut attendre le personnage de la sybille pour gouter de la liberté, de la surprise et du délié, même de la transe. Dans cette concurrence des sens que produit le genre de l'opéra, avec une partition ici très acide, le chant à vif, le livret à lire dans le même temps, dans cette masse d'informations à décrypter, la danse me semble ici passer au second plan.

     

    sans titre-6_INITIO_©NinaFloreHernandez.jpeg

    Initio chorégraphié par Tatiana Julien, composé par Pedro Garcia Velasquez vu au théâtre de la cité internationale dans le cadre de faits d'hiver le 30 janvier 2017

    photo de Flore Nina Hernandez avec l'aimable autorisation de faits d'hiver

     

  • Inquiète

    D’abord elle chute, propulsée dans un espace sans dessus-dessous. Dans un monde d’après fait de vide inhospitalier, ruines qui lui inspirent ces fuites de bête traquée. Dans ce No man’s land survivent des brides de souvenirs: robe à fleurs et chaises renversées. J’imagine qu’elle s’y raccroche, y puise de l’énergie pour lutter et exister encore, par mouvements d’allers retour contrariés, où elle semble ramenée à son point de départ par d’invisibles fils. Soudain elle parle, sa voix reste sur le fil. Elle se perd yeux fermées, tombe et persiste à tomber. Le propos ici est grave, les mouvements forts et sans retenue. Je suis sensible à cette criante inquiétude. Parfois je la quitte pourtant-Il y a peut-être trop ici, encore à décanter, et il me faut accepter le sens du drame. Mais elle ose et offre l’intensité. Me fait apercevoir ces fragments d’absence qui surgissent, ces failles. Elle partage la recherche de l’invisible-sur scène il y a un angle mort, un trou noir- elle parait toujours au bord de s’y effacer, où de se fondre contre le mur, puis revenir avec une si forte présence. Elle réussit à mettre en scène l’impossibilité. Il y a-t-il de l’espoir ?

    tatiana julien,faits d'hiver,atelier de paris carolyn carlson,danse

     

    Ruines de Tatiana Julien et Marine de Missolz dansé par Tatania Julien, vu le 7 février à l’atelier de Paris Carolyn Carlson avec Faits d’hiver.

    Guy

    photo de Nina Flore Hernandez avec l'aimable autorisation du festival faits d'hiver

    lire aussi: la mort et l'extase

  • la mort et l'extase

    La version de 50 minutes de La Mort et L'extase est crée ce soir et demain à Micadanses en cloture du festival Faits d'hiver. A cette occasion, voici la rediffusion du texte mis en ligne le 15/5 aprés la création de la première version.

    L'obscurité règne d'abord dans cette salle enfouie profonde, entre attente et chaleur. Enfin émerge un être que l'on voit nu et que l'on ressent desespéré. Il évolue lentement à terre, accablé, suivi d'un autre, de cinq, de dix, bientôt multipliés à vingt, trente, quarante, aux formes d'hommes et de femmes qui s'insinuent par tous cotés, envahissent et saturent la scène en un tableau halluciné...

    _DSC3958.jpg

    L'audace, l'ampleur et la crudité de cette entrée en matière suffisent à élever la pièce à un rare, même périlleux, niveau d'intensité. Nous sommes entrainé à un voyage aux enfers, une errance spectaculaire d'âmes en peine, damnées, sans but ni espoir, aux trajectoires perdues et circulaires. Les références à l'art pictural moyenâgeux apparaissent évidentes, d'ailleurs annoncées. On oublie Cranach pour penser à Jérome Bosch. Puis notre regard prend un point de vue plus contemporain, percevant la scène selon notre appréhension des rapports entre religion et culpabilité, entre mort et érotisme, alors qu'une dizaine de parmi les interprêtes se redressent peu à peu pour jouer les figures de la souffrance et de l'extase. Danseurs et danseuses se montrent traversés de décharges de plaisir et de douleur, leurs émotions manifestées par grimaces et torsions, travaillés par des entêtements ostensibles de peines et de jouissances, se flagellent et s'abandonnent contre les murs en poses offertes, tableaux que les miroirs découverts au fond de la scène tentent de prolonger à l'infini. La ronde des âmes nues, têtes baissées, continue ininterrompue, les danseurs prisonniers de leurs cycles, condamnés à répéter les mêmes séquences terribles à l'inifini. Au dessus de ces enfers s'éleve la musique de Vivaldi, magnifique, interprétée d'une voix de castrat issue d'un corps inerte porté par des corps nus. 

    _DSC3942.jpg

    Avant que la voix ne se taise: la pièce ne dure que 25 minutes. Il faut ici exprimer un regret: le temps est compté. Au milieu de cette masse de corps circulants, on peine vite à organiser son regard et à suivre le propos des solistes. Le dispositif, si formidable au départ, gêne ensuite la perception de la progression de la pièce. On reste avec le sentiment que le sujet si riche est survolé, sans le temps de la dépasser...sans doute inévitablement, s'agissant d'une courte proposition et de la part d'une toute jeune chorégraphe. On souhaite que cette pièce, déja si furieuse et audacieuse, mais à l'étroit dans ce format, trouve bien des développements ultérieurs.

    C'était La Mort et l'Extase de Tatania Julien, présenté à Micadanses dans le cadre de la Soirée CNSMDP.

    Guy 

    Photo de Laurent Pailler avec l'aimable autorisation de Tatiana Julien, d'autres photos ici.

    lire aussi critiphotodanse