théatre national de chaillot
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Seule, ensemble
Soulèvement: le sujet serait dans le titre. Mais n'est ce pas paradoxal de danser la révolte en solitaire? Toute seule (et soulevée?), la chorégraphe et danseuse, sous les regards bi-frontaux des sages spectateurs de Chaillot. Sous des clameurs enregistrées- de meetings, de match, de concert? - le personnage de la jeune femme de tout son corps s'emporte et s'excite. Cette rave est-elle un rêve, un fantasme dansé en chambre? Une contagion paradoxale par l'ivresse collective, les écouteurs aux oreilles, regard en dedans? Chacun est star dans son miroir, ou dans son selfie: le personnage se transforme Mylène Farmer par escalade de play-back, boots, bonds et fringues argentées. C'est plus que physique, c'est jubilatoire.En s'appropriant une culture très populaire Tatiana Julien fait le grand écart avec les voix enregistrées de Gilles Deleuze et autres Edgar Morin, hédonisme frivole et sérieuse politique se superposent. Dans l'audience séduite mais impassible, je tape du pied et m'interroge à rassembler ces contrastes en une cohérence, tandis que la performeuse danse seule, et toujours plus fort, ce qui ailleurs remue habituellement en groupe. Cela nous suggère-t-il que, peu importe le sujet social en jeu, il ne serait que prétexte, le soulèvement serait lui la rencontre et l'exécutoire des trop pleins d’énergie?Lorsque la transe l'a portée jusqu'au bout de l'épuisement, la danseuse devenue boxeuse, prend voix- et c'est un moment fort- pour porter les mots de Camus, partager la difficulté d'être au monde, seul ou ensemble. Et elle trouve peut-être la réponse en une nudité surprise et joyeuse, pour sauter, glisser et bondir dans le public souriant et complice, lui distribuer des câlins mouillés. In extremis, par cette belle rencontre et le concours bienvenu des incantations de Patti Smith, le passage au collectif est bien consommé.Soulevement de Tatiana Julien, vu au Théâtre National de Chaillot le 24 novembre 2019Guyphoto d'Hervé Gozula avec l'aimable autorisation de la compagnie -
La mémoire du corps
La danse est placée en évidence au centre de cette proposition autobiographique, la surprise est qu’il n’est pas besoin d’être danseur pour s’y intéresser. Je vois à l’œuvre la mémoire du corps, non seulement de son apprentissage technique avec cette fameuse cinquième position, mais avant tout dans ses émotions, dans toutes ses expériences, adultes et de l’enfance. Andréa Sitter fait le grand écart entre gestes et récit, et les lie mais laissées libres, les réconcilie. L’hommage aux maitres est riche de matière, la danse chargée de densité, je craignais-à tort- qu’elle soit désincarnée. Toujours sous l’autodérision apparait la question d'une impossible pudeur, et de l’irréductible distance de l’étrangère en France. Elle me fait ressentir en retour la perplexité intimidée que m’inspire l’Allemagne depuis toujours. Je ne désespère pas, qui sait je tenterais bien Berlin quelques jours.
Andrea Sitter - La Cinquième Position (extrait) par Theatre_de_ChaillotLa cinquième position d’Andrea Sitter vu le 10 décembre au Théâtre national de Chaillot.
Encore Jusqu’au 20 décembre
Guy
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Marée Noire
Nous les observons d’en haut, eux dans leur fosse, telles des espèces protégées. En maillots et serviettes, ils semblent plongés dans un sommeil mortifère, corps en villégiature écrasés de soleil. La vacuité en péril, instantané d’un quart d’heure avant l’éruption de Pompéi. Soudain un grand bruit : la pluie noire tombe sans préavis. Au loin une fanfare joue pour un enterrement. En bas pas d’issue. Ils tournent sous l’averse. On sent que rien ne sera comme avant. Deux hommes s’affrontent, les trajectoires sont contrariées, la place mesurée. Le noir contamine l’espace, sans retour. La matière permet de nouveaux dessins à même le sol blanc et des rituels autour d’un corps inanimé. Les gestes deviennent écriture, en de belles variations, qui ne laissent que peu d’espoir.
Black Out de Philippe Saire vu le 6 décembre 2013 au Théâtre National de Chaillot
Guy