Minuit: le concert s’achève par le tournoi de guitares électriques de The End, morceau qui clôt Abbey Road, le dernier album des Beatles. The End est aussi le tout dernier morceau que le groupe ait enregistré. Les quatre y chantent en chœur « Boys , you’re gonna carry that weight a long time »- traduire : « être des ex-Beatles, va falloir vivre avec ». C’est là toute la malédiction de Paul McCartney (bien qu’il y ait pires fatalités): depuis plus de 40 ans s’efforcer de chanter, changer, créer, encore innover, s’aventurer coté classique ou techno, mais toujours avoir à en revenir aux sixties et au groupe qui a inventé la pop. Il doit- alors que d’autres luttent contre la pénurie mélodique et le peu d'inspiration-gérer l’abondance de ces chansons qui ne lui appartiennent plus-chaque mesure gravée dans des millions de têtes- autant de souvenirs qu’il faut encore et toujours rendre au public. Donc s’enchainent pendant près de 3 heures les one-two-three-four et chaque fois la fidèle bande son d’un souvenir, d’une émotion... Intacte l'émotion revient. La star n’oublie pas « I saw here standing there » qui ouvre le premier album de 1962, évoque l’époque en noir et blanc de Can’t Buy me love, ressuscite Eléonor Rigby, fait courir Lady Madonna, exhume des raretés (another girl)et fait reprendre en chœur Hey Jude au Stade de France entier... En ces moments le contrat est tenu, magnifié: réussir à abolir le temps, faire naitre chez moi et 50 000 autres le sentiment que le maintenant et l’intemporel peuvent se confondre. Pour cela il lui faut être et montrer un Paul McCartney à l’épreuve du temps, voix bien présente, infatigable et bondissant, silhouette immuable et juvénile qui concède juste ses 73 ans de rides, sa basse-violon Hoffner d’époque en bandoulière pour une garantie supplémentaire d’authenticité. Gagné: fasciné, je rajeunis avec lui, reviens au temps où ado j’écoutais en boucle sa musique déjà historique. J’accède même aux années rêvées d’avant, inexplicablement. McCartney convoque aussi les fantômes bienveillants: John avec son Mr Kite, Georges par un Something somptueux, prétexte à nous faire partager les instants d’intimité de deux amis jouant du ukulelé dans leur jardin. Ce don de soi fait partie du contrat de ce soir (au même titre que le feu d’artifice de Live & let it Die), l’homme laisse deviner de lui-même, entre deux blagues convenues en français, une désarmante simplicité, bien peu rock & roll. Le plus beau est atteint dans des moments dépouillés et sans intermédiaires: Blackbird seul à la guitare… L’orgueil du compositeur, du merveilleux mélodiste se devine aussi. Le démontrent s’il en était besoin toutes les chansons d’après, de Maybe I’m amazed à celles du dernier album New, qu'il s'autorise quand même aussi ce soir. Peu importe les fautes de goût, sitôt oubliées. Cette fierté explique-t-elle le fait que cet homme richissime et couvert d’honneur se mette encore ce soir en risque, en jeu? Est-ce juste le sentiment assez classe moyenne anglaise d’avoir simplement à faire son job? Où est-ce la malédiction de Paul Mccartney, rester à jamais un passeur de temps? Peu importe, je regrette un instant- c’est bête- de ne pas être le Stade de France entier pour chanter plus fort et plus longtemps, être à la hauteur de 3 heures d'immortalité. Sorry.
Out There, concert de Paul McCartney le 11 juin au Stade de France
Guy