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jamai(s) vu!

  • Que ser?

    Notre ami François a vu la création de Que Ser? /Qu'être? de Sofia Fitas au Colombier de Bagnolet, dans le cadre de Jamai(s) vus!: Son récit:

    Au commencement, un corps vu de dos, sobrement vêtu de sombre, sans tête, vertical et immobile dans un halo de lumière comme peut l’être un cadavre pendu au bout d’une corde.

    Que ser ? Qu’être ?débute par cette curieuse introduction qui semble évoquer une fin possible d’une existence humaine.

    Mais rapidement le propos de Sofia Fitas nous éloigne de toute tentative de représentation. Ce corps qui restera sans visage pendant tout le solo devient une abstraction exprimée par une paire de mains sur laquelle se concentre l’éclairage. L’absence du visage intrigue. Pourquoi se cacher ainsi ? Quelques jours après avoir vu ce spectacle, j’en arrive à me demander si Sofia n’a pas souhaité renvoyer avec malice  les plus philosophes de ses spectateurs vers les écrits de Levinas et la place centrale du visage dans son travail. D’ailleurs, le visage de l’Autre chez Levinas pouvait tout aussi bien être le dos de l’Autre. Ou les mains ?

    Le dos. Que l’on oublie pour ne plus voir que les mains comme si elles apparaissaient seuls témoignages du vivant, et l’objet d’un gros plan en clair-obscur. Et pourtant Sofia se tient les pieds immobiles au fond de la scène à bonne distance des spectateurs. Pas de confrontation proche.  Sofia ne quittera pas ce petit espace lointain pendant toute la durée de sa pièce. Ses mouvements n’ont pas pour vocation à emmener le corps prendre possession de l’espace disponible. Non, seulement occuper l’espace en tenant fermement la position initiale.

    Les mains évoluent lentement dans le dos de ce corps sombre, remontent peu à peu vers  cette nuque invisible. Elles se joignent comme dans une prière pour déjà se détacher l’une de l’autre, se crisper puis se détendre, se mêlent de nouveau comme des plantes ou des animaux sous-marins mêleraient leurs tentacules ou leurs filaments sous le flux d’un courant invisible. Toute l’attention est captée par ces mains, comme elle peut l’être par celles, si tourmentées, d'Egon Schiele dans ses autoportraits ou celles, si longues et fines, des personnages des tableaux d’Otto Dix. Dans le lointain, les sons d’une ville, de la circulation, des bruits de la vie. Les mains finissent par disparaître happées par ce corps sombre sans tête et sans visage.

    Commence alors la deuxième phase, en complète opposition avec la première. Le visage de Sofia reste invisible, son corps reste enfermé dans son confinement virtuel du fond de la scène. Mais après la lenteur du premier temps, les mouvements presque exclusivement concentrés sur ses mains, voici la vitesse des gestes, l’énergie, la convulsion de tout un corps. L’environnement sonore accompagne de manière parfaite cette métamorphose, les sons se font plus intenses, évoquent un univers industriel, un train, un avion. On imagine Sofia traversée par un courant électrique ou plongée dans un accélérateur de particules, devenir pure énergie elle-même. 

    Que ser, Qu’être ? Voilà une magnifique proposition d’un voyage en deux étapes dans un univers singulier et poétique qui m’a totalement entraîné dans son charme.

    François

  • Jamai(s) vu!: vues d'europe(s)!

    Certains voyages offrent des images qui persistent, d'autres pas. On passe une demi-heure trop longue en Italie, en compagnie d'un duo qui semble vouloir nous en mettre plein la vue dans un style post ado et enflammé. Tout le catalogue y passe, démonstratif et clinquant. On oublie. Vérification faite, cette compagnie remplaçait une autre, italienne aussi, d'abord prévue au programme... les changements de destination de dernière minute ne sont pas toujours bienvenus.

    Kafard.JPG

     

    Bien plus troublante, l'incursion dans cette Europe qu'on appelait avant l'Europe de l'Est, dans le pays de Kafka, qui s'associe dans notre mémoire à des siècles d'histoire. Une métamorphose est en cours, suspendue dans la gêne. Table et lampe au plafond, le décor pourrait être celui d'une cave. La lumière est chiche. L'homme est prisonnier, au moins de lui-même. En position foetale, sur-sous-devant cette table, autour, son corps s'agite de gestes insectes, couvert de misère et de poudre. L'être est encombré, cherche à se dégager de son enveloppe, bascule dans la folie et le sordide, laisse effuser tous les symptômes du delirium tremens. S'expriment par sourbresaults toutes les hantises: morcellement, mutilation, evicération. La danse est agitée de terreurs renfermées. La civilisation ne réussit à s'exprimer qu'en bafouillements tels ceux d'un prisonnier politique, les vêtements embarrassent aussi, la séquence se finie nue et prostrée, l'âme un instant attirée par un rayon de lumière. On peut en discuter certains détails, en tous cas ce solo est ancré et intègre.

    On s'attarde aussi 10 minutes en France conceptuelle et parisienne, pour devenir le terrain d'une performance des Gens d'Uterpan qui reprend un extrait de leur avis d'audition. Ne consistant en rien d'autre que la début de la pièce vue ici du canadien Dave St Pierre (sans prétendre rechercher à qui revient la paternité de la chose), mais suivie de rien.

    Et on retrouve Sofia Fitas, et intacte toute son étrangeté, sa puissance d'évocation. Le regard est déprogrammé. De métamorphoses il est aussi question ici, mais trés loin de l'humain. Nous ne sommes pas au Portugal, ni en Europe, nous ne sommes plus dans un pays, ou alors celui de l'inconscient, nous sommes aprés, ou avant.

    C'était Paper-Wall de Giannalberto de Filippis, Der Cafard de Jan Komarek avec Honza Malik, Parterre des Gens d'Uterpan, Experimento 1 de Sofia Fitas. Au théâtre de Vanves, dans le cadre du festival jamai(s) vu!.

    Guy

    Jamai(s) vu! continue les mercredi 4, jeudi 6, samedi 7 fevrier, au Colombier de Bagnolet (01 43 60 72 81), avec Francoise Tartinville, Petra Fornayova, Lenka Bartunkova, Zufit Simon (France, Rép. tchèque, allemagne)...Pourquoi le "s" de jamais est il entre parenthèse?

    Photo (droits réservés) avec l'aimable autorisation de Jean François Munnier.