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sophie demeyer

  • Tentative de virginisation du récit

    Cette performance, je l’ai déjà racontée ici, et trop précisément (mais comment résister ?), alors qu’une grande part du plaisir d’y assister vient de la surprise ressentie, et de l’inattendu. Je m’adresse donc à ceux qui ne m’ont pas lu, ou qui ont oublié. Ceux qui résisteront à la curiosité de rechercher le premier récit. Juste pour dire qu’ils auront rendez vous dans un lieu inconnu, quelque part dans Paris, sans savoir ce qu’ils iront voir. Ils seront un petit nombre à assister à cette performance dans un lieu qui n’est pas conçu pour cela. D’une certaine manière, dans ce lieu, le temps deviendra circulaire. C'est-à-dire qu’à la fin, à bien observer,  il pourra ne s’être rien passé. Les détails auront alors de l’importance. Les spectateurs seront sans doute fascinés. Ils seront amenés à se demander si les lieux, même vides, peuvent être marqués par la mémoire des evenements. Ou s’il ne s’agit que d’une illusion induite par le récit. La présence de l’interprète sera forte, proche, charnelle. Et immatérielle, tant cette interprète paraitra ne pas voir les spectateurs à sa portée, semblera sur le point de les traverser, au même titre que la pièce. Comme si on l’observait évoluer dans un autre lieu, dans un autre temps. Et il sera étrange de voir l'interprete et les spectateurs d'en face, dans le même plan. Un récit sera entendu, on ne sera pas obligé de croire en sa véracité. Les liens avec ce qui sera donné à voir se feront lentement, peut-être aprés coup. Dans l'instant, le dépouillement laissera de la place à l’émotion. Des gestes banals deviendront improbables, pour certaines raisons. D’autres resteront inexpliqués. L’invisible prendra autant d’importance que le sensible. La fin sera devinée, il n’y aura pas d’applaudissements.


    Je pensais vierge mais en fait non, de Thibaud Croisy , avec Sophie Demeyer, performance hors les murs du Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé, les mardis et vendredi jusqu’au 17 fevrier.

    Guy

  • Habiter

     

    On entend: "Je suis trés sélectif dans le choix des personnes que j'invite dans mon appartement, et qui peuvent ainsi me voir dans mon intimité"(1). Nous y sommes pourtant, chez lui, dix spectateurs, dont presque autant de parfaits inconnus. Sans qu'un mot n'aie été échangé entre nous et eux deux lors de notre entrée ensemble quelques minutes auparavant, il y a aussi assis ici Thibaud Croisy, l'auteur et occupant des lieux, et debout son interprête, Sophie Demeyer, nue maintenant.

    De quelle intimité s'agit-il, dans ce texte? Que nous est il ici offert à regarder, à part cette femme évidemment- mais qui parait déja ailleurs? La pièce est blanche et dépouillée, trés loin d'être vide cependant (Je pense au chapitre de La Vie mode d'emploide Georges Perec- qui n'a pas influencé Thibaud Croisy- où sont énumérées toutes les choses qui quand même restent dans un appartement quand il se retrouve vide de ses habitants). Dans cette pièce (supposée) habitée, nous pouvons voir un canapé brun, un coussin jaune, des étagères vides, une cheminée avec un exemplaire de Martine fait du théatre et un lecteur de cd, un coin cuisine avec four, plaque chauffante, évier, plan de travail, placard, lave-vaisselle lave linge et réfrigérateur, une casserole, une poubelle, un paquet de pâtes barilla, une table, et sur cette table quatre bouteilles de bière vides, un gâteau entamé, du papier, un tube d'aspirine, une assiette avec quelques restes de pâtes, des couverts, du papier, un cd, un morceau de pain, un torchon, des miettes et un cendrier plein. C'est peu- juste quelques reliefs d'activités insignifiantes- mais assez pour déja suggérer (qui donc d'ici tout à l'heure est parti, ou depuis plus longtemps?). Suggérer que dans cet espace se sont imprimées les traces d'invisibles présences. Mais les occulte pour le moment la présence plus qu'évidente, forte et intimidante, de cette jeune femme dénudée aux cheveux ras, on la reconnaît. Avant de posement se déshabiller, la femme a rangé tous les objets, effacé toutes les traces, les reliefs du repas: s'il est possible le moment est vierge. Dans cette petite pièce où nous cherchons notre place, cette jeune femme qui maintenant est nue est trés proche de nous, à portée de main, mais lointaine tout autant. Le visage impassible, sur un autre plan. Dans un autre temps? Peu à peu sa nudité se fond dans l'immobilité. Dans la neutralité. La peau une surface plane. La présence de l'auteur, à ce moment, pèse peu. Pas plus que nous-mêmes visiteurs il ne semble vraiment occuper les lieux. Sans plus de légitimité. A notre image, il observe la femme nue, retenu, et ne parle pas plus. Mais ensuite nous entendons sa voix, alors que la jeune femme, glisse le cd dans le lecteur. La femme reste lisse, mais d'autres présences s'esquissent au fil du récit que l'on entend, des noms d'occupants dont les traces ont survécu sur le papier d'actes notariés. Pour l'auteur et nouvel occupant, cet espace, même nu, ne peut pas être vierge. La femme, même nue, porte-t-elle de même une histoire en elle? La pièce se remplit, irrésistiblement, mais d'hypothèses nouvelles. Et son volume blanc de vides différents, emboités, à combler. L'auteur raconte qu'il a enquêté, déduit de pièces et de documents qu'une autre femme est morte, ici même dans cette pièce, il y a trés longtemps. C'est le début, ou la fin, d'une histoire qui ne sera jamais écrite, juste ouverte. Et jamais refermée? L'auteur raconte qu'un jour il fit l'amour ici par terre, à cet endroit même où mourut l'ancienne occupante, avec une quasi-inconnue. Dit il vrai? Pendant ce temps, la femme accomplit les gestes d'un quotidien iréel, s'allonge sur le canapé. Aprés prépare un repas. Toujours sans expression ni émotion. Ailleurs. Tout se déroule comme dans un film, silencieux, en noir en blanc somnambulique. Des gestes restent inexpliqués, des objets sous le canapé. La femme semble habitée. Bien qu'elle semble nous voir, parfois. Qui est elle? Ou que reproduit-elle? Est-elle le fantôme de l'autre femme morte plusieurs dizaines d'années auparavant, à l'endroit exact où nous sommes à la regarder? Et sommes-nous, nous-mêmes, à cet instant en cet endroit vraiment, dans l'appartement, ou des ombres également, échappés de nos vies évidentes? Nous ne le savons pas. Nous ne savons rien. Mais le repas achevé, la femme nue laisse la table dans l'état exact où nous l'avions trouvée en entrant. Les nouvelles traces qu'elle a posées devenues identiques aux précedentes. En vingt minutes la boucle est bouclée. Puis la jeune femme se rhabille, quitte avec l'auteur, sans un mot ni un salut, l'appartement. Ils disparaissent dans l'escalier. Reviendront ils nous hanter? ...Un blanc... Tous deux nous laissent donc seuls, dans l'appartement. Pour y faire quoi? Peut-être l'habiter, y trouver notre place, avec tous les autres occupants absents. Il ne se passe rien. Nous attendons un peu. Nous sortons.

    C'était Je pensais vierge mais en fait non, conçu par Thibaud Croisy et interprété par Sophie Demeyer, dans l'appartement de Thibaud Croisy, quelque part dans le XVIII° arrondissement de Paris.

    Guy

    (1) de mémoire.

    Lire et voir: Images de danse

    Photo de Jerome Delatour avec son aimable autorisation

  • Qui crâne?

    Les créations de cette compagnie me posent problème, tant elles me semblent jouer en creux avec les attentes et les réactions du public. Au détriment du fond, de l'affirmation? Ces propositions (provocations?) m'inspirent prolixité, scepticisme, ou emportements polémiques, c'est selon. L'accent étant tant mis sur la relation, risquée et tenue, que le contenu souvent s'évacue, me laisse avec la peur du vide. X-event 0 pousse jusqu'à un point extrême ce déséquilibre. Mais pour le coup ce n'est pas le cas ici, pour un projet on ne peut plus lisible. Le point d'arrivée est d'avance annoncé: la reproduction en corps d'un motif de tête de mort, une vivante vanité (dont on peut considérer les inspirations avec des lunettes rouges). 

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    Pas de surprise possible: au mur une video témoigne de la prise d'une photo identique, la cible. Mais c'est la manière complexe et imprévisible dont les danseurs vont parvenir jusqu'à cette image-cible qui constitue la performance en tant que telle, et tout autant nos efforts de spectateurs pour trouver une lisibilité à leurs actions. Dans ce sens l'expérience est ouverte. Le terrain de représentation est constitué d'une salle entière d'exposition, le public en demi cercle, plus ou moins. D'autres spectateurs au balcon. Les sept danseurs tendent à s'échapper du centre, et déborder les espaces d'observations, nous incitant à nous déplacer à notre tour. Ils bougent de temps en temps de quelques mêtres, vers l'immobilité, de stations en stations. Ils s'allongent alors, dans de telles positions, qu'on pourrait croire qu'ils se relaxent ou s'échauffent plutôt qu'ils ne commencent la performance. Il faut avoir la photo du crane en tête pour comprendre que chacun des sept compose déja l'un des élements de cette construction, mais pour le moment séparés. Le public est silencieux, discret, ne se déplace pas vraiment. Il y règne ici plus de recueillement que dans une église pour un enterrement. Le lieu d'art contemporain est blanc comme la mort, dépouillé. Au mur, ou dans la salle, des œuvres raréfiées. Qui passent au second plan derrière les mouvements vivants. Les danseurs sont vétus d'abord, de sportwears colorés. Puis dans un ordre dispersé ôtent et remettent bas et hauts. Leurs déshabillages et rhabillages mesurés font basculer l'entreprise et ses enjeux du coté de l'économie de l'érotisme. D'autant que le nu est attendu, annoncé par la vidéo. Pour s'agencer en un symbole funêbre, c'est la promesse d'une riche opposition. Je ne sais si elle sera tenue. Et les corps en jeu sont jeunes et beaux, filles et garçons. Des corps non désirants pourtant, froids, non agissants, utilisés, ramenés à l'état de matériaux sans cesse ré-agencés dans la construction du tout. Leurs regards absents. Dans cet espace blanc, des signes. Mais que je peine à déchiffrer, de plein pied avec les danseurs. Un mur sépare partiellement la salle en deux, empêche à partir d'un même poste d'observation de tous à la fois les considérer. Est-ce une occasion perdue pour méditer? Mon attention se fixe de moins en moins sur leurs déplacements, se lasse de cette poursuite, je me hasarde à la mezzanine, à la recherche d'un point de vue d'ensemble, plus vertical. Cela me permet distinguer d'en haut les figures, qui tendent plus ou moins vers un agencement. D'ici c'est plus intéressant, organique en sens, ces formes se font et défont, entropiquement, et sans donner le sentiment d'une intention. Plutôt d'obéir à des lois physiques. Il y a à entendre une rythmique sous- jacente, qui berce ces allers-retours, ces répétitions. Mais je m'en lasse aussi, redescends. Pour alors constater qu'une forme est enfin constituée, l'état stable, rassemblé.

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    Sauf que l'image est d'ici intelligible, voire le déclencheur d'interprétations incongrues: une orgie pétrifiée? Des figures animales rassemblées pour se réchauffer? Un charnier? A l'horizontal il n'y a que des nudités et des détails immanimés. Avec retard, je devine le crane sous les chairs. Pour le saisir, je retourne au balcon. Trop tard, les danseurs se dispersent déja, comme repoussés les uns les autres par des forces magnétiques. Seuls.

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    L'image funêbre s'est décomposé. Il ne subsiste que le fantôme de la forme, dans le vide autour de la danseuse du milieu. Gisante. La dissolution ne se produit pas d'un coup, progressivement, les élements survivent un peu, les corps peu à peu rhabillés, de retour vers le quotidien, l'activité. Pour se disperser parmi les spectateurs. C'est un retournement inattendu du symbole. La sensation me faisant toujours un peu défaut, pas déprimé pour autant, ni convaincu de la vacuité de l'existence, je cherche le sens. La morale de cette vanité. Je ne sais si cet art est mort ou vivant.

     C'était piece en sept morceaux, des gens d'Uterpan, au centre d'art contemporain de Bretigny 

    Guy