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Identités

Il n'y a pas l'ombre d'un garçon dans le studio de danse de Mains d'Oeuvres; il y a toutes ces filles qui mangent des chips, rentrent et sortent par deux ou trois, complotent, papotent, en groupes qui se font et se défont. Qui saturent le lieu de leurs petites voix aigues, qui trompent le trac qui monte avec les apparences de l'insouciance et des pointes d'excitation. Les plus grandes parmi ces jeunes pousses- de 12 à 14 ans- ne sont pas les moins dissipées. D'autres- mais qui se font moins remarquer- maintiennent intacte leur concentration. Réfugié sur les gradins, j'observe à bonne distance ces vagues juvéniles qui vont et viennent, débordent de tout cotés le sérieux des adultes. Une accompagnatrice du collège, à intervalles réguliers, hausse fort le ton avec une inefficacité flagrante.

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Photos de Jean Marie Legros, avec l'aimable autorisation de la compagnie Absolumente et des parents des girls.

Au milieu de tout, d'humeur un peu forcée, Jesus Sevari poursuit les préparatifs. Cet après midi est remplie à 80 % de temps d'attente: le réglage des lumières, des placements, les accessoires égarés, les incidents de sonorisation... Yann Le Bras porte et supporte l'ensemble de ces problèmes avec une étonnante patience, jusqu'à la répétition, qui finit par commencer... Malgré la propension des filles à se disperser et disparaître dans un espace pourtant limité, avec pour ultime excuse de se précipiter aux toilettes. Le moment du filage enfin venu, on entend soudain plus un mot, juste encore des maladresses et des oublis. Mais bouches cousues, partagé par toutes un silence religieux. Sans trop intervenir désormais, Jesus recommande aux filles de prendre leur temps sur scène, ne pas se précipiter. La chorégraphe a déjà animé ici et au collège de Saint Ouen une dizaine de séances de répétitions. Je m'amuse à retrouver déclinés par les filles certains gestes du solo en cours de création, « Accumulation#1 », on croirait parfois reconnaître parmi elles des Jesus miniatures en action. Certaines d'entre elles semblent très assurées, l'autorité du professeur et modèle bien assimilé, reprise à leur compte.

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Puis Jesus à son tour répète, ondule et fascine, fait la belle, la bête, la star et le soldat. Depuis ma dernière visite, la pièce s'est de plus en plus déterminée. Jesus appréhende toujours la réaction des parents qui viendront ce soir, lors de ce court moment au court duquel elle brandira contre ses reins le pouce géant créé par Yann, à la manière d'un phallus postiche. Quoiqu'il en soit, à ce moment du filage, loin de paraître choquées, les filles pouffent discretement. Il en faut sûrement bien plus pour traumatiser des collégiennes en 2009. A la fin du solo de Jesus, toutes les stagiaires applaudissent.

Bien des préparatifs plus tard, l'heure est arrivée. Les filles ressurgissent des loges, vêtues superbes de rose et mauve, des étoiles dans les yeux, maquillées. Se regroupent main dans la main sur la scène pour un dernier encouragement, toutes ensemble mais contre personne. Ravies de répéter « merde » pour se souhaiter bonne chance, en toute impunité. Le temps de s'inquiéter que les parents trouvent le chemin du studio de danse, la salle est comble. D'abord Jesus danse son « accumulation#1 » tel qu'en cours à ce jour. Les filles sont admiratives et complices, du premier rang n'en finissent pas de se retourner pour guetter derrière elles la surprise et l'approbation dans les yeux des parents. Puis les girls osent, à leur tour y vont.
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A quatorze investissent l'espace, courent sans se heurter, se portent les unes les autres, solidaires et affirmées, se supportent. Même les plus frondeuses durant l'après midi jouent le jeu. La lenteur est assumée, en humour et équilibre, même une pomme sur la tête. Les gestes de Jesus sont par toutes appropriés, les individualités surgissent. Non pas en exploits physiques ou virtuosité- il n'y a rien ici de d'extrêmement technique- mais par l'audace et l'intégrité. Ainsi elles désarment mes exigences. Ce ne sont pas des nouvelles stars, ce ne sont pas des petits rats, elles n'iront pas à Avignon, ne discourent pas sur la démocratisation culturelle, elles dansent simplement. L'identité reste au cœur des gestes, exprimé à l'aide d'un langage loin du quotidien, avec des outils pour se dire autrement, par des jeux mystérieux et émancipateurs. Pour affirmer une identité plus vraie que la diversité des origines et des particularités, dans le mouvement inexorable qui les éloigne de l'enfance. Chacune se découvre à se montrer, chaque corps affirmé loin de ses repères habituels, certaines encore l'air de s'étonner elles-mêmes, toutes attentives aux autres pourtant. Une petite fille noire, toute menue, prend la parole avec une autorité sans appel. C'est un moment surprenant, mais la chorégraphie de Jesus ne laisse nulle d'entre elles de coté, quitte à mettre parfois en évidence les fragilités, mais désamorce la compétition entre elles.

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Au moment des applaudissements de leurs familles les girls ont bien du mal, après des saluts répétés, à se décider à quitter la scène, trouvent le moyen d'y revenir pour de nouveaux remerciements, et remettre à Jesus un diplôme de leur cru. Refusent de laisser au passé ce moment, éphémère mais important, pour elles évidement, aussi pour nous montrer pourquoi, comment existe la danse.

C'était « Accumulation#1 », solo en cours de création par Jesus Sevari, et « Girls », pièce pour 14 filles de 12 à 14 ans du collège Michelet de Saint Ouen.  Le 2 juillet, à Mains d'œuvres.

Commentaires

  • très belle mémoire de cet après-midi, merci pour les mots que tu sais trouver, et pour ta patience ce jour-là!
    le nom de code du solo est précisément "accumulation#1"

  • Merci Guy de maintenir de la vie théâtrale en plein Paris plage, c'est extra, à très vite!
    PS: tu vas recevoir un mail collectif pour DDC...

  • Oopps, j'ai souvent pensé à DDC....
    Coté vie théatrale il y a toujours de quoi se nourrir à Paris: vu aussi May be et -sans rapport- une piece de grand guignol. Et je ne suis toujours pas allé à Aubervilliers pour Bérénice!

  • Merci d'avoir témoigné, avec humour et justesse, de cette journée du 2 juillet.
    Le projet "Accumulation#1" repose sur la confiance entre la compagnie Jesus Sevari / Absolutamente et l'équipe éducative du collège Michelet. C'est cette confiance qui permet aux élèves, de septembre à juillet, de trouver un équilibre entre une discipline personnelle (et de groupe) et un nécessaire lâcher prise pour laisser naître le mouvement dansé, pour permettre à l'espace scénique d'être à la fois un espace intérieur et un espace extérieur.

  • Celà méritait d'être écrit!
    Bravo pour vous occuper au quotidien de ces jeunes si débordants de vitalité :-) .

  • Le talentueux témoignage de Guy a inspiré de nombreuses réactions. Voici celle de Mohamed Boudroua... Mohamed est un fabuleux pédagogue... Je ne suis pas très sûre de la clairvoyance de tous ses jugements ontologiques. Laure



    Une mélodie des identités et des traces du temps

    Début juillet 2009, il fait très chaud sur la place … Tout le monde se dirige vers Mains d’Œuvres, sanctuaire de la culture vivante de Saint-Ouen.
    C’est le jour J, les GIRLS, un groupe de 15 élèves du collège Michelet vont y déployer leur pièce chorégraphique. Elles seront précédées par leur formatrice, la fantastique chorégraphe-philosophe Jesus Sevari dans la pièce SOLO.
    La salle est comble. Dans la pénombre, sous une lumière tamisée, les GIRLS et Jesus Sevari sont assises à même le sol, face à la scène. Un petit « cordon » d’enseignants s’assoient aussi par terre, juste derrière elles.
    Silence…, un ange passe. La coordonnatrice du projet, Madame Laure Laborde, CPE monte sur la scène ! C’est le discours inaugural : la salle écoute le récit de « la genèse » et de l’évolution du travail des GIRLS. Applaudissements !
    Madame Jesus Sevari monte sur scène. Dès le premier mouvement, l’assistance est subjuguée. Fascination des figures chorégraphiques ! C’est la mélodie des identités d’une seule et même personne, évoquées dans le langage du corps.
    On tente de mettre un mot sur un geste, un mouvement, une voltige, mais l’évolution de la pièce est tellement fluide et déterminée qu’on ne recherche plus de mots, car si le lecteur « écrit » , le spectateur « joue » !
    L’esprit et les émotions de l’assistance se mêlent à la pièce ; les prunelles des yeux jouent !
    Plus besoin de mots ! La « mélodie » chorégraphique apporte amplement la signification du récit des identités.
    Une belle épopée ! Déstructurations, restructurations, éclats, cris, douleurs, joies, retrouvailles avec soi ; des pans entiers tombent, d’autres s’édifient à la place.
    Le soi est en mouvement et les identités se construisent, dans la même personne, fortes comme les vagues de mer, tranchantes comme une lame acérée, apaisantes comme la voix d’un être aimé.
    Jesus est au milieu des vagues de la vie, et nous avec elle, avec son appel silencieux, ses invocations déchirantes, ses bras, l’un plié, l’autre presque déployé, ses mains entrouvertes, ses doigts qui comptent le temps et ses cheveux en bataille au-dessus de son maillot aussi vert qu’un jardin riant !
    C’est le dénouement ; l’être est apaisé. Les identités bouillonnantes retrouvent leur unité. Une voix douce s’élève dans la pénombre : Jesus chante dans sa langue maternelle, la langue du pays, le Chili ! Applaudissements !
    C’est le tour des Girls ! D’un bond, les 15 élèves investissent la scène. Légères, souriantes, heureuses et confiantes, elles saluent la salle et esquissent le premier enchaînement !
    Une symphonie visuelle se joue à Mains d’Œuvres, un récit vivifiant et joyeux se déroule sous nos yeux. Ce sont les multiplicités, les accumulations de tous les petits faits apparemment anodins mais déterminants de la vie qui s’emboîtent, s’imbriquent les uns dans les autres, s’associent puis se dissocient comme les traces du temps : un temps sans début qui s’écoule vers le toujours « demain »…
    Elles sont de toutes les tailles, issues de familles de toutes les provenances : franco-africaines, franco-portugaise, franco-arabe. La France les unit, le Portugal, l’Afrique, les pays arabes les diversifient…
    La pièce « Accumulations « raconte l’unité de soi dans la diversité de soi, aussi !
    C’est « le peuple voyageur » : un peuple mais des voyageurs… Une identité faite de plusieurs… « Une main seule ne peut applaudir » dit le proverbe ; un seul élément uniforme et monolithique ne peut construire une personnalité.
    C’est le mouvement, l’impermanence des situations et des parcours qui forgent le soi. Que de figures et de configurations pour faire le récit des « accumulations » ! C’est celui des identités vibrantes, rebondissantes, changeantes. Ce sont celles-ci qui constituent « l’identité », que seul l’individu peut ressentir et dire . Tout autre « étiquette »n’est justement qu’une « identification » reconstituée par autrui, selon ses propres besoins ou désirs, mais non la pleine identité ressentie par la personne concernée. Seul soi peut parler amplement et avec justesse de soi.
    « Accumulations » de ce senti comme aussi de « l’étiquetage » fait par autrui s’agglomèrent…
    Les parcours de construction connaissent aussi des haltes, des remises en mouvement, des doutes, des « évidences »provisoires… des recherches de soi
    ACCUMULATIONS… !!!
    Et le « je » existe-t-il… ?! Oui, car je l’ai rencontré mais comme « le ciel changeant » …
    ACCUMULATIONS… !!
    Les voyages continuent vers le port de la sérénité, celui de l’identité multiforme !
    La salle applaudit chaleureusement « les Girls » géniales et philosophes !!
    Telles maîtresses, telles élèves !
    Bravo !
    Le 9 septembre 2009

    Remerciements à tous, M.Boudroua,

  • Merci pour cette généreuse contribution, je suis heureux que Mohamed Boudroua la partage ici!

  • Bonjour,
    Les « GIRLS » ne sont pas encore à Avignon. Mais Jesus vous y attend…
    Comme l’écrit Jérôme Delatour, Jesus est « formidable » et son solo CHILDE est un voyage magnifique, exceptionnel…

    Jesus Sevari
    Childe
    Du 08 au 14 juillet 2010
    Avignon. La Condition des soies
    Horaire: 10h
    Lieu: Salle ronde

    Extraits de CHILDE :
    http://www.dailymotion.com/video/xducps_recherche-danse-sphere-childe-deux_creation

    http://ww3.ac-creteil.fr/Colleges/93/micheletstouen/evaspip/spip.php?article228

    Sur le site du collège, vous pourrez aussi découvrir des extraits de GIRLS (version 2010). Le groupe d’élèves volontaires formé en 2009 a manifesté le désir, la volonté de continuer à partager l’expérience de danser avec Jesus. Comme l’a si bien saisi Guy, ce groupe a réussi à exprimer des qualités : un goût pour le mouvement dansé, du caractère, une force de propositions, des propositions toujours très justes. Durant cette année scolaire, de nouvelles élèves ont rejoint le groupe. Encouragée par l’enthousiasme d’Eva-Marianne Coltice des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, la nouvelle équipe s’est mise au travail… Transformées par l’aventure vécue en 2009, les adolescentes ont accepté les moments de tâtonnement, de retouche, les moments inévitables et indispensables de gaspillage de temps et d’énergie, les moments de « psychodrame » lorsque les barrières de protection de la vie quotidienne ont été abolies… Sans accepter la fragilité, on n’atteint pas le précieux de l’existence…

    Laure

  • Merci pour votre témoignage. Et regrettant n'avoir moi-même pu revoir les girls à Patin!

  • Information pour les audoniens et pour ceux et celles qui le seront bientôt...

    Le samedi 18 septembre 2010, la Compagnie Jesus Sevari / Absolutamente et le Collège Michelet participent à la fête des associations de la Ville de Saint-Ouen.

    Nous vous attendons à 15h30 devant la mairie pour une présentation d’un extrait de CHILDE, essai chorégraphique sur une symphonie de Berlioz, et de GIRLS, pièce chorégraphique pour jeunes filles.

    CHILDE et GIRLS sur le site du collège:

    http://ww3.ac-creteil.fr/Colleges/93/micheletstouen/evaspip/spip.php?article234

    http://ww3.ac-creteil.fr/Colleges/93/micheletstouen/evaspip/spip.php?article228

    http://ww3.ac-creteil.fr/Colleges/93/micheletstouen/evaspip/spip.php?article217

  • OOPS…
    Jesus et les GIRLS danseront à 15h00. La scène sera installée rue Ampère (située à proximité de la place de la Mairie).

    Laure

  • Heureux Audoniens !
    A signaler aussi: Jesus présentera Childe mardi prochain à Micadanses, à Paris.

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