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Un Soir Ou Un Autre

  • SOS

    Elle a l'air d'attendre, mais quoi, mais qui? Montrer peut-être qu'elle nous attend, nous qui la cernons de deux cotés, de si prés. Elle ne se cache pas de nous calculer et avec un léger sourire, d'emblée le mur est tombé. Nous sommes mis au défi de la comprendre. Des émotions percent, mais lesquelles?
    Mouvements... D'abord très élastique, dans son sportwear, en état de mollesse, comme ivre, en latex. Déjà la musique entête, des contretemps heurtés, de sons échantillonnés et de voix déformées, comme des souvenirs mal digérés, traumatismes ou appels à l'aide, matérialisation de confusion mentale, en une boucle obsédante.
    Cette boucle musicale l'entraine: elle se rassemble. Ses mouvements se structurent en vigueur, pourtant identiques, énergiques maintenant, coupés au couteau. Est-ce le corps qui se souvient des gestes fondamentaux de la danse, l'esprit toujours perdu ailleurs.
    Tombé le sportwear: nue maintenant, sans manières, comme en régression. Au sol ce sont jeux de bassin et de ventre, l'air hébété, presque un retour à l'enfance. 
    Avec une sombre ironie, elle joue, elle exprime, la dépression, les doutes, en ce lieu ambiguë de la scène, pour l'artiste à la fois lieu de solitude et de partage avec le public. "I need help immediately"... regarder, de tous ses yeux, est-ce l'aider? Dans cette fuite elle vient à notre contact sans nous éclairer, pour remplir le vide la danse s'accumule, aussi de nouveaux vêtements, des effets de fumée, transe et hip hop jusqu'à la chute et l'essoufflement. Elle prend seule tout l'espace, s'échappe de tous cotés.
    Puis parle: ce monologue d'un triste sourire n'éclaire rien, le journal intime reste une énigme.
    A terme d'une heure de fort engagement et de sensations fortes, une ultime promesse: "I will haunt you in your dreams. In your dirty dreams." avec de s'enfermer dans son coffre, renoncée.
     
    « I need help immediately » d'Adél Juhasz (musique Marton Csenovszky) vu aux laboratoires d'Aubervilliers le 16 décembre 2025 avec Danse Dense et le centre culturel suisse
     
    Guy.

  • Post coitum animal tristus

    Le dispositif est audacieux.
    Pas tant par sa bi-frontalité, plutôt par l'enfermement des quatre performeurs dans un espace central clos et saturé d'objets, reproduction d'un lieu de vie, que nos regards n'appréhendent que malaisément, gênés par un voile et par les obstacles que constituent les accessoires. Mais des images en gros plan, nous sont imposées sur des écrans vidéos alimentés par des caméras que manipulent les acteurs eux-mêmes.
    Ces sources d'information visuelles, à la synchronicité malaisée se heurtent en un jeu intéressant: conflits entre la mise en scène appuyée par la vidéo et le voyeurisme libre et pourtant empêché que se permet le spectateur sur la scène selon sa place. Les visions fragmentés, offertes ou dérobées, s'imposent comme une métaphore évidente d'un mode croissant de sociabilité où au réel se substitue le "réel", à la rencontre physique la story des réseaux sociaux. Fini la télé-réalité, et bienvenue à une mise en scène du soi, recrée. Sur les écrans les visages et voix sont déformés par l'IA, rajeunis, vieillis, dé-genrés et re-genrés.
     
    Car il est question de genre, et des questions vertigineuses qu'ouvre le sujet, commentées en un troisième niveau de lecture par les citations politiques et sociologiques qui s'affichent sur tout le dispositif. Il est question de sexe, évidemment. D'amour mais sans vraiment se l'avouer.
     

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    C'est là que s'égare souvent, dans une confusion volontaire et une construction chaotique, la liaison entre ces deux discours en parallèle, celui froid et didactique des citations et celui, très engagé, des corps des performeurs en situations (oserait-on dire?) amoureuses. Est-ce pour rendre compte de la confusion des temps, de l'incompréhension des générations, de la déconstruction toujours en cours de normes patriarcales et hétéronormées?
     
    Mais dans ce champ de batailles politiques et intimes, je ne vois pas émerger de gaîté, de nouveaux possibles. Car la chair s'expose mais reste triste, même paniquée, contrainte souvent. La bande son enfonce ce pessimiste dans nos oreilles.
     
    Deux heures passent ainsi, et l'on respire quand l'espace s'ouvre enfin sur les performeurs... mais vers quelle libération? 
     
    visuel du le site du théâtre de genevilliers
  • Notre forêt universelle

    Dans la salle du Théâtre de Saint Nazaire, la fraicheur de tous ces enfants avec leurs quelques accompagnants (et une minorité d'isolés: les adultes qui auraient lu "Quartier Lointain" ou "Un homme qui marche") pour l'œuvre posthume et inachevée d'un vieil homme qui dessinait dans un pays lointain.
     

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    Les images colorées glissent sur l'écran, enrobées des harmonies des trois musiciens sur scène.
    Sur les lèvres des plus petits se dessinent à haute voix les textes des phylactères, avec un admirable sérieux.
    Une heure douce et intense: la Forêt millénaire de Jiro Taniguchi est à peine explorée, quarante-deux pages dessinées, et ce soir fidèlement mise en musique pour une histoire qui aurait du compter plusieurs tomes.
    L'œuvre reste ouverte.. aux jeunes spectateurs d'en imaginer les développements, d'en révéler les mystères.
    Taniguchi était un enfant du Japon, aussi le descendant de traditions croisées de bandes dessinées, du manga à la bd francophone, au point qu'il rendait hommage à Jean Giraud en calligraphiant à l'identique son prénom homophone: Jiro, et qu'il avait entamé cette dernière œuvre pour un éditeur français.

     
    Lenteur et délicatesse, mélancolie, lorsque le jeune héro, Wataru quitte Tokyo pour un village de montagne à la suite du divorce de ses parents, pour un village de montagne. Le rythme s'emballe, dramatique, lorsque Wataru, par défi, escalade un arbre majestueux dont on n'ose apercevoir le sommet.
    La forêt parle à Wataru, Taniguchi en revient à l'enfance, après des milliers de planches de tous genres, pour ce récit situé dans la région où il était né, dans la forêt se rapproche de l'essentiel, d'une nature menacée.
    Est-ce un voyage pour ces enfants?
    Plutôt une invitation à l'universalité.
     
    La Foret Millénaire de Jirô Taniguchi interprétée par la Compagnie Waï Waï vue le 17 octobre 2025 au Théâtre de Saint Nazaire.
    Guy
  • La saison de Frasq

    Y entrer. De l'autre coté du rideau. Et tout lâcher. Aussitôt, d’un coup, je vois tous et de tout, sauf de l’ordinaire. Flottent légèrement des brumes d'inconscient, s’ose brusquement le décalage, le grotesque, la performance.
    D’abord les gestes. Ces gestes se lancent, incongrus et po(é)litiques. Sans intentions qui s’imposent, tous errent. Pas de sens évident vers tant de directions. A l'image de l'époque. S’échangent des imaginaires, s'y frottent. Se heurtent de molles nécessités, futiles, urgentes.

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    Dans ce désordre organisé, tout l’espace m’est laissé. L’espace du lieu, du Générateur, celui capricieux de mes sensations. Je l’arpente sans repères. J'applaudis avec mes pieds, bouche bée.
    Remuez moi sous la retenue, l'indifférence, catalysez mes émotions. Sous la pudeur, de même que le plastique couvre les corps. Cherchez en moi l'enfant, ma sagesse oubliée. Devinez ce qui me meut, m’émeut, me fait vivant ou me laisse mort.
    Les mots s'échouent, ne fixent rien. Seul le son lie les mouvement, mais souvent. En liberté se démultiplie mon attention, puis s’évapore. S'inscrivent les gestes d'idiots célestes.
    Se réinventer (est ce pour moi encore temps?).
     
    Festival Frasq au Générateur à Gentilly depuis 2009, et à partir de ce samedi 4 octobre 2025
     
    Guy
     

    Photo Yassine Boussaadoune - Show Your Frasq 2024 © Bernard Bousquet - Le Générateur

  • River deep, Mountain high

    Yeux clos, je ressens.
     
    Intérieur mais exposé pourtant, à la lumière qui traverse mes paupières, aux odeurs et aux sons, aux gouttelettes de pluie, à la chaleur et au vent.
    Stimuli et sensations, méditation.
    Soudaines variations.
    Je me souviens soudain d'un après midi de printemps, d'une sieste dans un parc, empli des effusions arythmiques des cloches de l'église toute proche.

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    Mon transat est suspendu, juste un léger mouvement du bras ou de la jambe, et je me berce, je me balance.
    Je voyage dans les pays de l'hypnagogie.
    Endormi, éveillé, chamanisé.
    Une myriade de clartés filtre à travers mes paupières,autant de points lumineux qui composent de fugaces images.
    Elles dialoguent avec l'informulé de ce que j'entends, avec les caresses et surprises de la chaleur ou de l'eau.
    Elles racontent autant d'histoires fulgurantes , tout intellect abandonné.
    Et toute mesure du temps.
     
    Où tout cela m'emmène-t-il?
    ...c'est personnel.
     
    Ou suis je?
    Je ne suis ni dans mon jardin pourtant, ni sur une plage, ni dans une forêt.  Je suis, nous sommes, en interieur.
     
    Je suis une montagne d'Éric Arnal Burtschy, au Lieu Unique (Nantes) le 19 septembre 2025.
     
    Guy
     
    illustration: la vie secrète des arbres Benjamin Flao
  • Kaamelott: retour vers le futur

    Cap sur Brocéliandre pour se plonger dans les délices dans un double anachronisme. En premier lieu les textes d'Alexandre Astier placent dans la bouche d'Arthur et des chevaliers de la table ronde des mots et des modes de pensées hyper contemporains. Ensuite les rôles d'ordinairement dévolus à des adultes sont ce soir incarnés- et très professionnellement- par les adolescents de la troupe des Terribles.

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    On s'étonne, mais pas vraiment. Concernant le premier point: de tout temps la fiction historique ne parle jamais que du présent. La relecture des mythes de Kaameloot à hauteur de notre réel est teintée d'un drôle de désenchantement.
    Et en second lieu: le jeux des jeunes terribles convainc vite pour faire oublier toute dissonance. S'allie alors l'enthousiasme juvénile des interprètes et l'expérience plus que cinquantenaire du metteur en scène, le vétéran Numa Sadoul , qui mène depuis toujours plusieurs vies artistiques, de l'écriture à l'opéra, du théatre aux interview des grands de la BD.
    Mais peu importe, l'important c'est maintenant: gouter ce moment de théâtre d'un rire qui s'installe doucement dans l'absurde.
     

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    Kaamelott, librement adapté des textes d'Alexandre Astier, m.e.s par Numa Sadoul et interprété par les terribles, vu au Théo-Théatre le 17 juillet.
     
    Guy
  • H comme la Vie

    Douce mélancolie, étrange poésie. Serait-il un peu fatigué ce soir d'hiver à Saint Nazaire, un peu malade? Cela colore avec d'autant plus de beauté les émotions qui s'installent bientôt. Arthur entreprend ce soir de "réarmer l'amour". En passant, de raviver ici dans le présent les liens passés entre les figures aimées- le père Jacques Higelin, Brigitte Fontaine... -et nos avenirs.
     

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  • F pour Faux

    Tout est faux, sauf exceptions- on aime à croire l'inverse- au cours de ces aventures intimes que reconstituent Laurent Bazin et ses complices, de Bucarest à Ibiza en passant par Venise. Faux pour de vrai, F comme faux, comme une imposture en mode Orson Welles, à l'heure où les réseaux sociaux font béer l'écart entre l'être et le paraître. On plonge dans le flou de la performance sans bouée de sauvetage, ni manuel de survie. Mais avec jubilation. Errements. Bientôt dans la salle de premières questions interloquées- mais peut être de comparses - tant toutes les hésitations sont sans doute calculées, les improvisations préparées: on voit la pièce en train d'essayer de se faire. De se refaire: les évènements racontés avaient déjà délibérément tout de l'artificiel: des poses pour la photo, sans réalité. De ce vide, le récit est mélancolique, donc jamais triste. Qui est la "créature", d'une irréelle séduction, personnage dont il est depuis le début question? La verra-t-on ? Ou s'agit il s'un profil Instagram, d'un avatar, d'une fiction qui permet en abyme à l'auteur de se mettre en scène, d'exister? Nous mêmes du public ne pouvons échapper à cette indécision dans l'identité, bientôt invités à toutes les virtualités. Porter des masques de carnaval, se transformer en danseurs anonymes, en qui l'on veut. To be or not to be, tout est simulacre , même l'adagio d'albinoni une contrefaçon (je m'interdis de vérifier), cette virtualité repousse les limites, dans l'inquiétude et la beauté. Tout est signe. Tout est faux.
     

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    Trois contrefaçons- Laurent Bazin- vu au théâtre 13 le 6 février 2023
     
    Guy
     
    photo: Sven Andersen, avec l'aimable autorisation de la compagnie
  • L'Eden d'avant Adam

    S'imposer sur scène dés avant l'arrivée des spectateurs, avec tant de force et sérénité, c'est d'abord affirmer une sensation de réel, une continuité d'avant la représentation. Un état stationnaire. Aussi déjouer d'emblée par la nudité en pleine lumière, toute interprétation érotique pour s'affirmer ailleurs. D'évidence dans le domaine du féminin, de la communauté, en toute égalité. It's a woman's world.
     

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    Tranquilles, elles mangent: pommes, raisins, fruits du jardins... Est-ce ici une utopie? Dans cet Eden: ni homme, ni péché, ni serpent et c'est bien ainsi, pour laisser place nette à d'autres enjeux. Le texte de Monique Wittig me traverse sans vraiment m'éclairer, comme musical il me laisse des repères évocateurs. Ces mots me renvoient à la sororité: diversité des corps de tous âges et tempérament, des peaux claires ou mates, mais que les gestes unissent. Ce soir les regards, mouvements et énergies de chacune semblent s'offrir avant tout au groupe. Nous en sommes les heureux témoins, à l'orée de la clairière. La communauté se constitue en cercle, se divise, apprend des contributions de chacune, s'étire et revient. Ces modulations s'épanouissent avec une grande richesse. Les bassins ondulent lents, les protocoles se transmettent en duo-miroir, figurent des échanges d'où rapports de force sont absents. Il y a de la vigueur pourtant, quand les amazones s’entraînent pour un combat qui ici n'aurait pas à être livré, courses, rougeurs, sueurs et claquements. Mais une vigueur joyeuse, sans violence. Avec amour.
    Sans doute qu'on ne nait pas sœurs, qu'on le devient.
     
     
    Amazones: conception et chorégraphie Marinette Dozeville. Interprétation Léa Lourmière, Elise Ludinard, Florence Gengoul, Frida Ocampo, Delphine Mothes, Lucille Mansas, Dominique Le Marrec. Musique Dope St Jude. Voix Lucie Boscher, Dope St Jude. Conseillère artistique Julie Nioche. Dramaturge Rachele Borghi.
     
    Vu le 2 février au Carreau du temple avec le festival Faits d'hiver
     
    Guy
     
     
    Photo de Marie Maquaire avec l'aimable autorisation de la compagnie
  • Au nom du père

    Le 5 novembre 1977, nous avons tous perdu René Goscinny, créateur de BD sans pareil et parrain- avec le journal Pilote-de la bande dessinée post-enfantine francophone. 
    Mais Anne Goscinny, à l'age de 9 ans, a ce jour là perdu son père. 
    "Le bruit des clés" dit ce deuil au théâtre, avec force et subtilité, deuil raconté par l'écrivain adulte à la recherche des émotions de l'enfant, de adolescente, de la jeune femme enfin. 
    Un long chemin, si difficile ,sans guide ni carte, du déni initial et de l'incompréhension, en passant par la recherche de substitut, par la colère contre les médecins, jusqu'à l'acceptation. Arrivée à ce point, la mémoire est devenue assez sereine pour faire vivre le père disparu, même à travers lui ceux de la famille du scénariste que la shoah a privé de sépulture.
    Le récit est forcement intime, forcement partagé pourtant. Le personnage public nous appartient un peu: ne sommes nous pas d'abord venu ce soir car il s'agit de l'histoire de René Goscinny?  Puis nous sommes gagnés par l'universalité du propos, si nous avons perdu, trop tôt ou beaucoup trop tôt, un père. Un peu plus encore si nous avons gardé dans notre cœur une photo de lui prise sur la rivière enchanté du jardin acclimatation. 
    Le travail de scène, à l'épreuve du monologue, est solide et sensible. Il assume les dimensions publiques et privées du récit- un album d'Asterix trône en bonne place, avec une judicieuse économie d’accessoires-il s'agit de manque et de perte ici, et évidemment pas d'image du disparu  Le jeu de l'actrice suit avec justesse et sans heurts les différents âges de la narratrice, fidèle donc à elle même jusqu'à retrouver sa vérité.

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    Le bruit des clés , texte d'Anne Goscinny (editions NIL) , mise en scène de David Ruella avec Anne Veyry (comédienne) et Wim Hoogewerf (musique) .
     
    Vu à la Comédie Nation le 27 novembre 2021 . les vendredis et samedis jusqu'au 11 décembre.
     
    Guy
    Photo avec l'aimable autorisation de la compagnie