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  • Le rouge est mis

    A l'occasion de la cloture ce samedi de MA GANG DE MONTREAL au théatre de Vanves dans le cadre du festival  Artdanthé, avec Julie Andrée T. (Rouge et Not Waterproof) et Nicolas Cantin  (Belle Manière), ci aprés la rediffusion du texte du 7/5/2011

    "What color is this?". A la première occurrence de l'interjection, quelques voix dans la salle s'élèvent pour répondre: "Rouge..." Et c'est vain de dire la réponse, tant elle est évidente, et n'appaise en rien l'interrogation, qui tourne à l'obsession. Repétée par Julie Andrée T. des dizaines, des centaines de fois, sur tous les tons. Plainte, hurlement, psalmodie, injure, balbutiement, plaisanterie, manifeste... Chaque objet (de couleur rouge évidemment...) qu'elle extrait de sa malle à malice: nappe, coeur en plastique, chapelet, poivron, bombe à peinture... (on s'en épargnera l'énumération complête) offre chaque fois un nouveau prétexte à une action. Chaque fois, sans apporter plus d'explication. Mais en contribuant à une accumulation critique, et à l'évolution sensible des humeurs de l'artiste. Les parties passent, anecdotes, le tout importe.

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    Ces actions partagent le public. J'en prends conscience aux réactions mitigées ce soir au théatre de la Bastille, aux échanges avec des spectateurs d'Avignon. Certains semblent choqués par les libertés que l'artiste prend avec son corps, d'autres, blasés, jugent la performance "datée" (en tant que performance?), n'y trouvent pas de sens... Pour ma part je ne suis pas ce soir à la recherche de sens. Je suis plus sensible aux sensations. J'aime ce désordre de plus en plus envahissant, cette escalade vers la saturation, ce cimetière d'objets suspendus en collection précaire à des fils sur le plateau. J'accepte d'être débordé par cette confusion agressive et monochrome d'objets design, inattendus ou quotidiens, de tâches et de reliefs, le corps éperdu et agité au milieu. Le sens vient quant il veut, parfois appuyé (l'évocation du sang menstruel), plus allusif en général. En tapant large dans l'universalité (couleur forte oblige) on finit forcement par toucher juste et faire saigner un peu, entre la vie, l'amour, la mort, du coté des blessures partagées.

    entrer des mots clefs

    Quant au début de débat sur la nouveauté de cette proposition, je ne sais pas si celui ci a grand intérêt. J'ai l'intution que l'on exige plus de novation des propositions artistiques considérées comme des "performances" que s'agissant d'autres formes. La performance est elle encore praticable? C'était l'un des enjeux de Magical,vu récemment. Quoiqu'il en soit, et bien qu'on ne sache pas quelle part cette proposition laisse chaque soir à l'improvisation, Julie Andrée T. fait preuve d'un grand sens de la théatralité. Le nez rouge ne fait pas le clown, mais l'apparition de chaque objet produit un effet comique bien préparé (l'effet "Tshirtologie" ?). Puis, les éclairages qui paniquent, la bande son qui s'affole, concurrent d'une manière organisée à une montée spectaculaire de l'enervement, un voyage rouge de colère ou de honte vers l'angoisse, la rage, l'intensité, avec une étonnante intervention au ukulélé saturé de feed back, avant le reflux de cette vague panique. L'artiste parvient presque alors à mettre le feu (métaphoriquement) à nos perceptions. Significativement, Julie André T. se drape dans un rideau de scène, accessoire théatral par excellence. Un détour dans l'imagerie pourpre érotique se révèle également trés codifié, accessoires mis à contribution jusqu'à nous faire rougir...

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    Une chose ne souffre pas de doute: l'artiste engage, sollicite (empourpre ici) son corps sans managements (mais cette démarche est-elle spécifique aujourd'hui à la performance, plus qu'aux arts de la scène? C'est douteux..), telle une matière première dramatique, sans plus d'égard qu'avec les autres objets à disposition. Si ce n'est avec plus de rudesse et impudeur vers le ridicule assumé, l'auto-dérision ou la cruauté... L'emmène sur le chemin de l'enfance également, vers la régression, à se bourrer de bonbons, dégouliner de jus de poivrons. Le rapport vis à vis de la nourriture et la salissure déborde basique et viséral. Ce retour vers les émotions premières touche profond. Le corps est contaminé de rouge, aprés un passage par le noir, tout finit heureusement sur une touche de bleu espoir.

    C'était Rouge de Julie Andrée T. au théatre de la Bastille, jusqu'au 10 mai.

    Guy

    merci à Jérome Delatour - images de danse, pour les photos (1et 2)....et pour m'avoir guidé vers cette performance!

    Voir sur images de danse ses photos et son compte rendu.

    Photo 3 par Jean Lheureux, avec l'aimable autorisation du théatre de Bastille

  • Mythique

    D’une année l’autre, sur un tel solo, le regard se déplace, se laisse surprendre. Tant le corps vu ici, si dense et lent, lui s’obstine. Depuis l’extrait vu au printemps dernier, mon attention porte moins sur l’objet, et plus sur le phénomène, s’échappe de ce qui est vu vers ce qui ne se laisse pas saisir, Eurydice

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    La proposition me semble moins érotique, plus essentielle et énigmatique. La nudité n’est pas la vérité. Rien de la danseuse ne se dérobe, tout d'elle se déforme. L’imaginaire ne peut alors se nourrir de rien de caché, sur la peau il fait réfraction, mais ainsi s’enrichit. La théâtralité revient par la lumière, qui décompose, morcèle les framents d’une potentielle identité. Modèle la succession des postures clouées à terre, trouble et nous emmène dans d’étranges territoires. Du plus organique au plus plastique. Le visage reste un masque, mais je ressens que les mouvements convergent peu à peu vers la construction d’un tout, d’une conscience de soi et du monde, avec nous dans un échange muet. Le corps accède à la verticalité. Le masque tombe, révèle l’humanité.

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    De cette sobriété, de ces points de départ, au long de ce parcours sur le fil, si fragile, chacun peut recréer de son regard. Je vois une histoire d’origines. Un corps premier qui littéralement nait de l’obscurité, au début des temps dans le fracas d’un accord fondateur, suivi d’éclairs de décharges d’énergie. .. Des transformations. Des effarements et des soubresauts, la vision blafarde d’organes reptiliens, l’évidence de la structure des os qui affleurent sous la peau, avant que ne s’installe la chair, que s’incarne l’âme. Jusqu’à se révéler en l’idéal d’un corps entier et antique, lisse et asexué comme une statue sans aspérités, paradoxal, à la fois femme et déesse, concrète et abstraite, nue et révélée mais épurée et inaccessible par cette distance invisible entre l'être et sa représentation, dans l'ambiguité.

    C’était l’Effraction de l’Oubli de et par Camille Mutel, vu à Mains d’Oeuvres dans le cadre du festival Incandescences.

    Photos d'A.V. Tisserand avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Tombée en enfance

    La Confusion, pièce de Marie Nimier mise en scène par Karelle Prugnaud, au Théatre du Rond Point jusqu'au 7 avril.

    C’est l’histoire d’une femme, mais dont l’identité se brouille, dont la voix se module, d’une jeune fille, d’une vieille femme. Qui parle à son chien crevé dans un appartement reclu où s’accumulent des souvenirs piégés dans les objets du quotidien: le fer à repasser, la tringle à rideaux, la machine à laver. Une enfant qui ressasse ces souvenirs d’une vieille voix mais qui retombe en enfance, une vieille fillette manga aux cheveux bleus noyée dans un cimetière de peluches.

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    L'actrice- Hélène Patarot- joue à nous perdre. On est pris dans ce trouble, dans cette confusion. Il est question d’elle-Sandra- et de son compagnon Simon, de jeux d’enfant, de jeux d’inceste, d’enjeux lourds et déçus. Il est question de tout cela, et d’une maison disparue. Puis volent les peluches, et les lambeaux de l’enfance comme des feuilles mortes, le temps d’un autre trouble. A la mise en scène, Karelle Prugnaud a le sens du cérémonial, de l’inquiétant et de l’inattendu. Tout au long les trouvailles visuelles fusent, denses comme rarement, oniriques, s’accumulent. Ceci force la beauté de la pièce, peut-être aussi la limite. L’histoire en est floue, les mots de Marie Nimier émergent comme des piques. Dans des cages, les mannequins immobiles se transforment en loups ou en hommes, et quand les masques commencent à tomber, en personnages indéfinis qui lui ressemblent et en musiciens qui jouent punk.

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    Les rôles flottent. Au premier plan le solo s’invite en duo, par la visite- rêvée ? -de Simon l’ami, l’amant, de l’amour d’enfance. Les rites et souvenirs se rejouent une fois de plus encore entre eux deux comme la répétition infinie d’un vieux jeu. Mais l’heure tourne comme le tambour de la machine à laver, comme le temps qui décaperait sans pitié corps, illusions, masques et vieux vêtements pour ne laisser survivre que la vérité nue. C'est beau et fort, peut-être en manque d'économie.

    C'était La Confusion, pièce de Marie Nimier mise en scène par Karelle Prugnaud, au Théatre du  Rond Point jusqu'au 7 avril.

    Guy

    photo par Giovanni Cittadini Cesi avec l'aimable autorisation du théâtre du rond point

    lire aussi: Neige à Tokyo

  • Daniel Léveillé: le choc des glaçons

    Ce mois ci, Artdanthé fait venir Ma gang de Montréal à Vanves, 10 compagnies de la scéne actuelle québécoise, avec des habitués (Daniel Léveillé, Julie Andrée T...) et des inédits par ici. Ca commence ce vendredi le 9 avec Behind de Marie Béland et La Pudeur des Icebergs. A cet occasion rediffusion d'un texte (initialement mis en ligne le 28/2/2007, merci de votre indulgence!)

    Les cinq danseurs de Daniel Léveillése présentent sur scène au naturel. L'expression est un peu désuête, mais pour le coup semble tout à fait adaptée: notre grande semaine de la nudité intégrale en danse (après Maria Donata d'Urso et Boritz Charmatz), s'achève sur une note comme presque naturiste. On s'imagine bien ces garçons musclés plonger droit et stoïquement dans des lacs glacés.

    medium_4_icebergs.jpgA defaut de pouvoir jamais être anodine, une nudité donc "morale" de premier abord. La preuve en est que le Théatre de la bastillen'a pas jugé nécessaire-comme cela avait le cas pour Ann Liv Young-d'interdire le spectacle aux moins de 18 ans. Conclusion: à la Bastille on peut être tout nu, l'important c'est d'être tout nu chas-te-ment. Et il y a "pudeur" et "icebergs" dans le titre, c'est dire qu'on se situe à l'opposé de la lascivité des cocotiers. Avant de fermer la parenthèse, relevons qu'il n'y avait hier que des adultes dans la salle, ce qui ramène bien interdiction d'il y a quelques mois à sa stricte fonction gesticulatoire.  

    D'ailleurs rien de sexuel ni d'"explicite": on se touche très peu, ou alors virilement, et pour des portés droits et vigoureux, qui s'achèvent en bruyants lâchers. Le corps de l'autre encombre un peu. Et le plus souvent on danse chacun son tour, ou parfois à deux en echo. On court raide, on saute- très haut- on s'immobilise accroupi, essoufflé. Puis on revient attendre en fond de scène, au garde-à-vous, comme pour un exercice militaire. Tous ces mouvements juste un peu adoucis par un fond de Chopin. Mais tout du long on se regarde, sévèrement, impassiblement, yeux dans les yeux, avec intensité...Peut être la trouve-t-on là, la première clef qui nous permet de rêver cette pièce, ce contraste entre la nudité-source de tous les dérapages possibles-et la sévérité des regards, ces regards qui désamorcent toute vulgarité, et ouvrent un espace d'interrogation et de mystère.
    Une demoiselle rentre en scène, dans le même uniforme, pour rejoindre les messieurs. Mais la surprise est de courte durée. Il est vrai que l'armée ouvre depuis déjà longtemps ses rangs aux femmes. Et cette femme ci tient ici exactement le même rôle que les hommes, pas de regard déplacé ni de gestes ambigus. La nouvelle venue ajoute plutôt un type physique suplémentaire à cette palettes de physionomies masculines déja contrastées, une fesse un peu plus ronde et moins musclée. Des athlètes et le style de danse est à l'unisson, haché, découpées en répétitions, en actions courtes, rapides, vigoureuses, des sprints arrêtés, des poses d'atlêhtes antiques-pourquoi soudain pense t on à Montherlant? 

    Mais on aurait tort de s'en tenir là, bien que la plupart des fournisseurs professionnels de pensée en papier qu'on a lu  se sont arrêtés à cette rudesse (pour ceux qui ne s'en étaient pas tout simplement arrétés à la nudité). Car se glissent entre les scènes des instants d'hésitations, d'abandon, des moments de soudaine vulnérabilité, qui font basculer la pièce vers l'intensité. Un danseur frissonne soudain, ou considère son propre corps, étonné. Une danse de groupe s'esquisse, les possibilités se multiplient, on ne reste plus droit comme un I mais on se prostre. Les mêmes motifs sont repris, mais avec plus de brutalité: le partenaire n'est plus porté mais rejeté à l'autre bout de la scène. Un amas de corps se forme- plus résigné, plus serein peut-être que celui de Herses. Par ces renversements gradués on vient de dépasser la démonstration et le maniérisme pour entrevoir bien plus loin.

    Bref on est même persuadé qu'ils peuvent danser autre chose, habillés. On devra attendre deux semaines pour le vérifier, au festival Artdanthe.

    C'était la Pudeur des Iceberg ♥♥de Daniel Léveillé au Theatre de la Bastille, et c'est jusqu'à demain.

    Guy

    P.S.: Et Daniel Lévéillé nous propose une belle vidéo, ici

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