Une nouvelle contribution de François:
Un gorille seul assis par terre sur la scène faite d’un plan très incliné percé de trois trappes. Le gorille est vert fluo ; c’est un homme revêtu d’un déguisement de gorille, masque compris. Un métronome posé sur le sol bat une mesure très lente. L’espace est également rempli d’une nappe sonore, indéterminée, plutôt synthétique, quelque chose qui évoque la bande-son d’un film de science-fiction. Quelques accidents scéniques viennent parfois hacher le cours de ce temps lent et plat : une modeste flamme surgit d’une des trappes et s’éteint lentement, une fumée colorée s’élève d’une autre trappe en explosant et se dissipe sans hâte dans l’univers (une fois verte, une fois rousse,…), des briques de carton remplies de talc tombent du ciel à intervalles réguliers en créant à chaque fois un petit nuage de poudre blanche ; une plante verte elle aussi tombée du ciel s’écrase sur la scène en faisant gicler de petits éclats de terreau.
Au bout de quelques minutes, un évènement majeur se produit. Une enseigne lumineuse, elle aussi descendue du ciel, se fige sur le fond de la scène avec ses quatre lettres de néon se détachant distinctement du fond sombre : D I E U.
Un peu plus tard ou peut-être un peu avant cette manifestation divine, le gorille se met à bouger, il se déshabille très lentement et devient un hommel âgé aux cheveux gris ; à l’aide de ruban adhésif l’homme colle sur son corps un micro et un ampli portable ; à l’aide de deux feuilles de papier et d’une paire de ciseaux il confectionne en tremblant une couronne qu’il pose sur sa tête. Une fois la tunique de gorille complètement enlevée, l’homme nu plie méticuleusement le déguisement et le laisse tomber dans la trappe la plus proche.
L’homme nu et couronné se déplace à pas comptés sur le plan incliné. Il se dirige vers les tas de talc et s’en asperge tout le corps. Il se met à parler : il raconte un très vieux souvenir d’enfance, lorsqu’il se retrouvait avec son père dans l’ambiance humide de la salle de bain familiale. Il conclut son récit par une phrase mettant en doute l’existence du temps et de l’espace. Il sort du plan incliné et se retrouve sur le devant de la scène ; le rideau s’abaisse derrière l’homme nu et couronné. Il se dirige à pas très lents vers la sortie de secours et disparaît.
Une escapade parmi d’autres
Thomas Ferrand a repris quelques éléments scéniques d’ «une excellente pièce de danse », son spectacle précédent (la couronne, le talc, la flamme…). Il introduit une gravité supplémentaire dans l’écoulement du temps qui, notamment grâce au métronome, devient physiquement perceptible par nos sens. Et il réduit encore le spectre de l’action jouée par l’acteur. Celle-ci, minimaliste, tient en quelques gestes. Elle prend forme par l’intermédiaire d’un roi nu. Le roi nu évoque la fameuse phrase du conte d’Andersen prononcée par un enfant, seul à dire ce que chacun voit tout en faisant semblant de voir autre chose, parce que la pesanteur sociale étouffe la manifestation de la vérité.
Dieu est omniprésent dans cette pièce, même si ce n’est que sous la forme d’un affichage promotionnel fait en tubes de néon ou peut-être surtout parce qu’il n’est plus qu’une enseigne lumineuse, un slogan. L’homme-gorille assis au pied du néon Dieu, à ne (presque) rien faire, fait penser aux deux personnages de la pièce de Beckett ‘en attendant Godot’. Beckett a certes nié avoir caché Dieu derrière l’identité de son personnage invisible God(ot). Mais la pièce de Thomas Ferrand s’inscrit dans la veine qu’a ouverte Beckett : montrer une existence humaine sur une scène déserte, une solitude dans un monde où rien ne se passe si ce n’est périodiquement quelques ravages , une attente de sens qui ne vient pas. Dans cette vie là, Dieu ne se manifeste pas plus que des tubes de néon et il n’est pas d’un grand secours pour notre roi nu qui après ses ablutions rituelles au talc décide finalement de s’échapper par la porte de secours.
Le titre vɔɪədʒəʳ III fait référence à une sonde envoyée dans l’espace par la NASA en 1977. Elle suggère un au-delà ou même un univers fictionnel où tout serait illusion. Mais finalement tout dans cette pièce ramène à la condition humaine ici et maintenant.
C’était vɔɪədʒəʳ III de Thomas Ferrand, les 13 et 14 novembre 2014 au Théâtre d’Orléans – scène nationale, à l’occasion du mini festival ‘Des Floraisons‘
François
photo de Marion Poussier avec l'aimable autorisation de la compagnie