Cette soirée est dite partagée, car s'y présentent deux compagnies. Mais le partage se fait d'abord avec moi (le public), de ces risques que prennent les deux solistes, chacune à la fois chorégraphe et interprète. J'aime cette forme, directe et sans filtre, dans son intensité sans appel. Même avec le soutien de son équipe- musique, lumière, scénographie- l'artiste reste seul, dans cette expression de soi, quelque soit la distance que le propos chorégraphique tente d'installer entre le corps et le regard.
Eva Assayas apparaît à la scène dans un paysage étrange et lunaire, hérissé de rochers incertains, elle y vient comme à la vie. Les mouvements d'abord au sol semblent en quête, en recherche de contexte et d'identité. Dans nos pensées flottent les références au roman inachevé de Camus- le premier homme. Chaque instant, le rapport au monde que suggère les gestes est dilemme, au bord du renoncement. Tout est dans le faire, l'éffort. J'aime ce cheminement sensible dans ce beau costume moucheté d'incertain, déstabilisé par les sonorités électroniques alentour et les lumières vacillantes. C'est émouvant. Elle se lève. Où va-t-elle?
Sans avoir à s'imposer, en douceur, Marie Simon est une évidence. Sa nudité déplace le sujet de la pudeur vers ce que ses mouvements pourraient cacher des émotions en jeu, autant que de les révéler. Car, dans "Soie" il s'agit encore du rapport entre soi et le monde. Dans cet enchaînement d'états d'âme et de corps, tout prend un enjeu fort et rien n'est hésité. Vitalité, richesse, exigence. Soutenue par le rythme de l'oud, aucun temps mort dans cette danse, même dans les ralentissements et interrogations. La danseuse témoigne d'une belle assurance par des gestes qui tombent toujours juste, au bord de l’insolence. Je chercherais en vain ici de la fragilité, je trouve-qu'on me pardonne de l'écrire- une grande beauté.
Le vrai lieu d'Eva Assayas , Soie de Marie Simon, dans le cadre du festival signes d'automne au Regard du cygne, vu le 22 novembre 2019
Guy
photos par Jeanne Michel avec l'aimable autorisation du Regard du Cygne