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Je baise les yeux (je n'ai pas trouvé de meilleur titre pour ce texte que celui de la pièce)

Alors que s'installe l'assistance, les trois conférencières déja assises discutent à mi-voix, dénudées derrière la table, l'air de rien et seins à l'air... Cette entrée en matière nous place dans la perspective d'une pièce de danse contemporaine débribée, la feuille de salle suggère une performance aux développements plutôt intellectualisés, les premières minutes nous installent dans la fiction d'un talk show télévisé avec des professionnelles du strip-tease... Il s'agit un peu de tout cela à la fois, et aussi d'un drôle de canulard qui nous prend à contre-pied, comme l'annonce la barbe postiche de mlle Gaëlle Bourges et ce titre à retourner en tout sens: je baise les yeux.

Au premier degré, on écoute les effeuilleuses invitées. Elles témoignent sur un mode documentaire auprés de l'animateur des réalités du théatre érotique. A savoir les conventions du strip tease en tant qu'acte spectaculaire, les conditions économiques de l'exercice de ce métier, les relations de travail et motivations personnelles des artistes, la sociologie et la psychologie du public, ainsi de suite... La bonne nouvelle, c'est que traités à juste distance, avec quelques ruptures déconcertantes, ces échanges sont décalés et hilarants, et les rôles savoureusement bien distribués. Gaspard Delanoë plus que parfait en interviewer pédant et féru de références culturelles hors de propos pour réhausser les évidences. Les trois performeuses se distribuent les rôles du jeu, de la généreuse candide à la contradictrice systématique. Le débat s'épice pince sans rire, et l'on se rend compte que les platitudes qui sont dites n'en sont pas moins des vérités. L'ironie n'est elle ici qu'un habile moyen pour y nous sensibiliser?

L'exercice risquerait pourtant de lasser sans les travaux pratiques...Nous surprend alors un nouveau renversement: puisque que la conférence est nue, les strip-tease resteront habillés, les attentes du public déjouées. Chacune se révèle dans son style. Gaëlle Bourges dans une recréation effrénée de Saturday Night Fever en talons aiguilles, Marianne Chargois en contorsionniste à la fois poétique et provocatrice, Alice Roland en créature de cuir et de chaos.... Derrière les codes aguicheurs et les poses explicitement sexuées se profilent des imaginaires érotiques singuliers, et de fulgurantes affirmations chorégraphiques. La lecture à plusieurs niveaux de leurs paroles et de leurs gestes s'enrichit dans l'ambiguité lorsque l'on considère que les trois interpretes pratiquent professionellement le strip tease... Mais à l'issue de cette performance drôle et fine, focalisée sur l'ailleurs d'un théatre ouvertement libidineux, est paradoxalement occulté une interrogation inhérente à la situation qui vient d'être vécue: la place de l'érotisme dans le cadre d'une performance contemporaine.

C'était Je baise les yeux, m.e.s. par Gaëlle Bourges, avec Alice Roland, Gaspard Delanoë, Marianne Chargois, Gaëlle Bourges, à la Ménagerie de Verre.

Gaëlle Bourges est en résidence à Point Ephémère, et crée en mai La Belle Indifférence aux rencontres du 9-3

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Commentaires

  • A la suite de quelques échanges privés, je prends conscience que la lecture de ce billet- qui ne voulait pas didactif- peut amener à me prêter des jugements qui ne sont pas les miens. D’où ce post-scriptum pour tenter quelques nuances et développements sur deux points.

    Le terme de platitudes que j'ai utilisé dans le second paragraphe était sans doute inapproprié, avec sa cohorte de connotations négatives. Gaëlle Bourges fait un état des lieux complet et nuancé, du champ du strip-tease. Il n'en reste pas moins que je ne me souviens pas avoir entendu durant la performance quoi que ce soit de vraiment neuf sur le sujet, rien que je n'aurai pu imager moi même. C'est personnel évidement...et ai-je bien tout entendu? Car il me semble aussi que le traitement distancié et parodique-et c'est par ailleurs une vraie réussite sur le plan spectaculaire- que G.B. fait subir au discours, ne nous aide pas à le prendre en compte sérieusement, à nous souvenir des arguments développés d'une manière organisée. On joue à plusieurs niveaux sur les connivences et sensations, à mon avis l'information s'y perd un peu.

    Ensuite, s’agissant de la fin du billet, il est vrai que la nudité, les propos, les gestes dansés déplacent la charge érotique de la scène de strip-tease- qui est racontée- à la scène contemporaine- qui accueille la proposition-...Mais- et c'est ce que je voulais dire- de manière détournée, clandestine. L'attention du spectateur est focalisée par le discours sur cet ailleurs du théâtre érotique, un autre monde dans l’esprit du public de la scène contemporaine, celui des autres, celui des voyeurs libidineux, etc... A un point que le spectateur de la performance de G.B. peut évacuer vers cet ailleurs la question de son propre regard et de l’érotisme présent dans ce qu'il est en train de voir !

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