La critique est un art à part entière, la bande dessinée est un art désormais pris au sérieux et une conférence à propos de cet art est, après tout, un spectacle vivant comme un autre. Ce soir présenté sur la scène d'un lieu bien particulier: le Musée des Arts et Métiers. La où tous les objets exposés invitent à une méditation sur le temps qui passe, ce temps qui donne à ces artefacts la qualité de devenir un jour extraordinaires et non plus simplement utilitaires. Le public est fervent, la salle- pleine- applaudira abondamment. L'auteur et interprète de la performance, c'est Benoît Peeters: professeur, écrivain et scénariste (les citées obscures..). Il utilise ce soir moins de moyens qu'on ne se permettrait dans la plus sobre des mises en scène contemporaines: le conférencier parle assis, sans mouvement, les images sont projetées. Dans un langage précis, vif, construit, les textes qu'il dit sonnent très écrits. Mais déjà le mode oral permet d'établir que Georges Remy se prononce "Reumy"... Alors que la précédente soirée du cycle était consacrée à l'exploration d'un continent pour beaucoup d'entre nous inconnu, et pourtant influent: celui des comics strips US, nous sommes maintenant invités à nous souvenir du " moment belge", l'enfance de la BD francophone. On pourrait craindre une certaine froideur, un excès d'objectivité. Mais vite, sous l'apparente neutralité de l'analyse, sous la pudeur du récit, perce une évidente tendresse et affection pour les artistes. C'est autant d'eux: E.P. Jacobs, Franquin, Cuvelier, Jacques Martin... personnages en tant que tels, que de leur art dont il est question ce soir. De leur talent, mais aussi de leurs naïvetés et de leurs faiblesses, leurs doutes et leurs grandeurs, leurs chemins et leurs éclairs de génies. Les nombreuses anecdotes sont essentielles en cela qu'elles donnent de la chair au récit. Les erreurs des hommes, fréquentes en cette terrible première moitié du XXème siècle où ils sont ballotés, ne sont pas occultées. Mais nous sommes appelés à ne pas en juger trop facilement. Le conférencier ne se prive pas de certains effets: un gag scatologique et peu connu du tout jeune Hergé, une planche de Jerry Spring par Jijé que l'on peinerait à distinguer des premiers épisodes de Blueberry que dessinera ensuite son élève Jean Giraud. Tous les personnages de cette fresque racontent ensemble une seule histoire: celle de l'enfance d'un art, d'un art encore pour les enfants, qui s'ignore comme tel longtemps. Ce moment belge se figera au passé quand la BD connaitra, mais plutôt en France, une turbulente adolescence. Alors viendra avec Yves Chaland, Ted Benoit, Floch, Rivière... le temps doux-amer de la nostalgie tels que les adultes se la racontent.
C'était Pour une histoire de la bande dessinée: Le moment belge, de Hergé à Yves Chaland, conférence de Benoit Peeters, professeur associé au CNAM, le 14 décembre 2017 au Musée des Arts et Métiers.
Prochaine conférence le 11 janvier : Le temps des revues, de Pilote à Lapin. (accès libre sur inscriptions)
Guy
Illustration: couverture des hebdomadaires Spirou et Tintin en 1946 (site du musée des arts et métiers)