Ce soir à Artdanthé, le ton est franchement animalier. Il y a cette performance de volailles plutôt volatile d'Ayelen Parolin. Annoncée pourtant sérieusement, en tant que représentation sociologique du fonctionnement d'un groupe d'amis, copains comme cochons. A un point qu'on se sent vite de trop, à regarder ces quatre personnages sur canapé, trop connivents et vus de profil. Leur entre-soi est abscons, je donne vite ma langue au chat. Je suis remis énergiquement dans le jeu par Viviana Moin qui m'atterrit dessus -mais gentiment- au premier rang, au terme d'un déchainement destructeur et saisissant. Cette action est la conséquence d'un pari perdu. Et dans ce petit groupe il s'agit donc de cela (au detour de quelques confidences sexuelles désenchantées): bizutage, petits jeux de pouvoir-l'homme est un loup pour l'homme!-, humiliations consenties, vagues excitations, defis potache. Des gages qui tournent mal (ou bien question de point de vue?): car bientôt tous tout nus, plume dans le cul.
Dés lors on a passé un point de non retour, les personnages désormais dépourvus de toute humanité. Dit autrement: ces pouffes sont réduites à des poules à poils. qui se cambrent et caquettent menton dans le cou et croupion en arrière. Privées de parôle.La démonstration est courageuse, longue et appuyée...D'un coté on se dit que cette performance radicale mérite le respect à défaut d'adhésion. On rit nerveusement. Mais ça fiche un peu la chair de poule. Je m'interroge sur la dimension possiblement kafkaienne de cette métamorphose. Caricature, satire, justice immanente...en tout cas ça donne le cafard. Pourtant je ne crois pas qu'on nous prenne pour des pigeons, au début il avait un projet. Et c'est dommage, mieux construite la piece aurait pu être chouette. Que lui manque-t-elle? D'être, au choix, plus drôle ou plus cruelle?
Heureusement, deux heures auparavant, Kataline Patkai et Yves Noël Genod ne nous avaient pas posé de lapin. Les cochons étaient de retour à Artdanthé, un anniversaire offert comme un beau cadeau d'au revoir pour cette fin de festival. Je goute ce moment qui revient, d'une délectable inconsistance, le temps évaporé en volutes. Plein de riens qui apaisent. Kataline, Yvonnick Muller béat et leur ménagerie semblent glisser sans toucher terre en cet eden et entrainent autour eux une irresistible douceur, par nappes et revêries. La neige fond doucement tout au fond flou des paysages d'hiver et Y.N.G. plâne quelque part derrière nous au micro dans la salle, en retrait. On croirait par moment qu'il n'ose parler, muet comme une carpe, chuchote à tout prendre. Je repense à cette évidence que je formulais la veille en compagnie de deux écrivains de romans: le texte de théatre se nourrit de silences. La nouveauté de ce texte ci est éventée, mais les redites s'offrent simples et modestes. Les notes de piano de Pierre Courcelle se perdent en cercle, le lapin, le chat et autres bestioles de la ferme se promènent quant à eux sans affolement sur la scène calme. La curiosité ne tue pas le chat. Kataline est nue, Kataline est belle. D'une dangereuse candeur. Sa voix douce, nouvellement assurée. La beauté, comme la nature, est cruelle: Kataline plume un pigeon, desosse un civet. Sucitant l'indignation de certaines, mais les chiens aboient et la caravane passe: elle le plume avec tendresse. Puis elle revient, contre son sein un petit homme qui était absent l'année d'avant, on ne peut resister au suprenant partage de cette intimité, ce bonheur osé ici.
C'était SMS & Loved'Ayelen Parolin et C'est pas pour les cochons, avec les mêmes que l'année d'avant. Au théatre de vanves, pour cloturer une saison d'Artdanthé.