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ibsen

  • Toute la vie (ou presque)

    Le théatre devrait toujours nous prendre et nous surprendre comme ceci, toute la vie concentrée en 1H15. Nos destins incertains ou celui de Peer Gynt d'Ibsen, ce dernier propulsé en quelques étourdissantes ellipses de l'état de jeune fanfaron à celui de vieil homme à l'heure de rendre des comptes, et sans avoir compris comment. Ce théatre vécu de tout près, qui bondit, rit, crie et pleure, déblase en quelques instants. Etre Peer à fond, transposé dans cette Norvège des légendes populaires, avec les trolls- mais rock and roll -et le diable au bout du chemin.

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    Peer Gint court et vole sans boussole, de désirs en impostures et d'audaces en hésitations, entre et sort en quatrième vitesse, passe du comique à l'épique, du tendre au truculent. Les sept acteurs bondissent de rôles en rôles et de costumes en costumes, font d'une bâche une mer déchainée et batissent une montagne avec des bouts de carton. Ils créent ensemble une généreuse machine théatrale à émerveiller jusqu'aux plus jeunes, dans le même temps nous tendent un miroir pour mieux y voir nos vies en exagéré, tous perdus entre amour, ambitions et inachevement, imparfaits comme des boutons à refondre dans le grand chaudron. En une fable drôle et cruelle, la condition humaine.

    C'était les Aventures de Peer Gynt, d'aprés Ibsen, mis en scène par Yaël Bacry, vu à Anis Gras à Arcueil, ce samedi encore.

    Guy

    photo avec l'aimable autorisaton de Yael Bacry

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  • John Gabriel Madoff ?

    Des brumes, des douleurs, des regrets. L'action de la pièce d'Ibsen se situe après. Trop tard. En hiver. Les personnages engourdis par rancoeurs irrésolues. D'abord se heurtent les deux sœurs. Ella et Gunhild, rivales et jumelles. Qui se disputaient jadis John Gabriel Borkman, le banquier aujourd'hui ruiné et déchu. Qui chacune aujourd'hui revendiquent l'affection de son fils Erhart, l'une fît sa première mère, l'autre sa mère adoptive.

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    John Gabriel Borkman vit reclus dans le passé, orgueilleux, aveugle, furieux. Sous le regard complaisant d'un dernier ami se rêve encore un géant en exil, incompris dans un monde de nains. De sa chute on sait peu. On entend juste Borkman répéter avec morgue qu'il n'était coupable de rien, sûrement pas un escroc, seule vraie victime et nullement responsable du sort de tous ceux qu'il a ruiné. La faute en revenant aux médiocres et aux envieux qui l'ont empêché de mener ses entreprises à leur terme. Il se savait- se croit toujours- homme d'exception, quasi démiurge, doté d'assez de puissance et de volonté pour extraire du sol ses joyaux et créer la richesse, de même qu'un artiste crée son oeuvre. Ou était il secrètement possédé par l'ivresse de « voler en ballon au dessus d'une mer aux flots déchaînés », et fasciné par l'inéluctabilité de sa perte? Tout rapprochement entre la piece d'Ibsen (1828-1906) avec une éternelle actualité ne doit rien au hasard...

     

    Angela Winkler (Ella Rentheim) und Josef Bierbichler (Borkmann). Vorabfoto © Arno Declair.JPG

    Autour de John Borkman, tout de la vie et de l'amour a été sacrifié à ses ambitions. Ne restent que quelques heures avant le dernier engourdissement pour tenter de tout dénouer des conflits. Juste une nuit pour tout nous avouer mais ne rien résoudre, juste finir, en toute noirceur. Les personnages font peser leurs dernier espoirs sur le jeune Erhart, mais qui refuse et part au loin, choisit la vie, désireux de se soulager du fardeau des réparations dont veulent le charger ses aînés. John Gabriel Borkman meurt, sans dire « Rosebud ».

    Que dire du travail d'Ostermeier, sinon que celui ci évite tout hors-sujet, jusqu'à presque faire oublier sa mise en scène. Le regard est d'une ironie acerbe, aigue et assez délétère, soulignée par quelques accords cruels de bossa nova. Vis à vis des personnages: ni pitié ni acharnement, juste de la lucidité. Erhart peint trés falot n'est pas mieux traité que les autres. La distance est soulignée à nos oreilles par l'emploi de la langue germanique. Le mobilier semble effacé, la scène tourne sur elle-même, du salon de Gunhild à la retraite de John Gabriel sans vraiment changer. Un rideau translucide tombe sur les émotions, sur la distillation des secrets. Le jeu est réaliste mais en évitant tout pathos, trés justement dosé. C'est donc admirable, et de nature à terriblement ennuyer impatients et distraits.

    C'était John Gabriel Borkman, de Henrik Ibsen, mis en scène par Thomas Ostermeier, au Théatre de l'Odéon. C'est fini.

    Guy

    .Pour: Neige à Tokyo, contre: Les Trois coups

    Photo d'Arno Declair avec l'aimable autorisation du théatre de l'Odéon