Plutôt qu'une adaptation des trois ombres, on s’immerge ici dans extension de l’œuvre par d'autres moyens artistiques, une radicale recréation dans l'espace scénique. D'abord du récit : le conte onirique en BD de Cyril Pedrosa- tragédie d'une fuite éperdue-est déplacé d'un passé indéfini vers un présent qui fait écho aux tragédies contemporaines. La menace mystérieuse des trois ombres aperçues au loin se précise avec des références aux guerres bien réelles. S'impose d'emblée un sentiment inéluctabilité, la relecture de la tragédie se fait au passé. Les personnages sont ramenés à l'essentiel autour du trio familial: le père, la mère et l'enfant condamné. Les péripéties cèdent le pas aux allégories. De tous l'unique comédienne se fait le corps fragile, la voix inquiète, soutenue par le dessinateur et les musiciens. Recréation formelle: la narration cède le pas à la puissance des sensations que permet la convergence des arts de la scène, de l'évocation d'un simple feu de bois à la tempête. Tout part pourtant de la noirceur du dessin de Pedrosa, qui envahit le plateau, ses traits et gestes en direct, agrandis, amplifiés par la musique, la vidéo. Ils produisent une intense contagion sur la scène, il faut bien dire un sentiment d'étouffement. Qui traduit toute la dureté du monde. C'est dans un igloo, une bulle, que Cyril Pedrosa, dessine, dans un fragile refuge face au deuil, à toutes les menaces, surface de projection de quelques espoirs.
En situation d'immersion, le spectateur s'y trouve aussi en se plongeant dans les expositions du festival Pulp de la ferme du buisson. Dans cette situation, la bande dessinée se projette hors du cadre habituel de l'album, sur tous les murs, pour entourer le visiteur. Elle cesse d'être narration pour s'affirmer art simplement, s'il en est encore besoin de le prouver. Le choc est manifeste pour la rétrospective consacrée au monumental Philippe Druillet (Lone Sloane, Salamboo...), artiste plus grand que nature, qui dessine sur des planches en format XXL, et il semble que le format n'est jamais assez grand pour contenir la profusion, la puissance et la violence de ses images qui explosent hors des cases. Dans cette exposition, et à travers l'évolution de l'artiste depuis 50 ans, l'histoire racontée à l'origine compte de moins en moins par rapport à l'image, à jamais figée à l'instant donné. Nous restons en sidération devant la contemplation d'un big bang apocalyptique, la fin et le commencement, hallucination traversée d'angles aigus et de couleurs exaltées.
Et les autres expositions : Big Nose Art de Florence Cestac dont les célèbres nez sont sublimés par le relief, celle des gracieux sumos de David Prud'homme, celle de l’inénarrable collection BD cul, prouvent, chacune différemment, la capacité de la BD à se montrer où on l’accueille en mutant de forme.
Trois ombres, mis en scène par Mikaël Serre d’après la BD de Cyril Pedrosa le 7 avril et les expositions de la ferme du buisson dans le cadre du Pulp Festival. Les expositions sont visibles jusqu'au 21 avril.
Guy
photo de les 3 ombres par Philippe Guillaume