Les vrais gens sont heureux: rappels, bravos et ovation, joie et felicité, et pour moi un grand moment de solitude: je me sens cerné. Avec la mauvaise conscience de ne pas avoir aimé, de faire ainsi insulte aux braves gens, rejeté vers l'elitisme, bunkerisé dans le snobisme.
Mais, malgré toute ma bonne volonté, agacé dès les premières scènes: le grand bal au palais avec tous les figurants, danse de salon avec le roi, les courtisans et la princesse, et même les méchants. Méchants en noir, gentils en blanc. C'est peut-être cela qui me gêne, cette lisibilité organisée à l'extrême, cette narration transparente et aussi le soucis permanent d'en mettre plein les yeux. Dans le même temps je me sens mal à l'aise de reprocher à Preljocaj de vouloir être compris à tout prix. N'empêche, me reviennent les images de shows à Disneyland, aussi explicites: d'autres princesses dans d'autres ballets, et des méchants tout aussi visiblement méchants, avec la différence que chez Disney on peut manger ou lire en regardant. Partant de là, toute cette belle danse, je ne parviens pas à m'y intéresser, je ne vois que le clinquant des costumes de J.P. Gaultier, les beaux décors et les belles diagonales, les effets de fumée, et la maîtrise éprouvée des artifices. Tel le miroir avec les reflets vivants, un vieux truc de music hall, déja usé chez les Marx Brothers et même par Max Linder encore avant. La musique de Mahler est omniprésente, dramatisation redondante, sans respiration. Je vois qu'évidence, et nulle profondeur. Preljocaj pourtant semble s'intéresser à l'exploration des contes et des mythes- je me souviens du Stonehedge d'il y a deux ans- j'attends en vain qu'il cherche la clef pour ouvrir avec moi des portes interdites, me fasse entrevoir des choses troublantes dans l'obscurité de l'inconscient (peut-être suis je le seul à attendre, les autres spectateurs se contentant du "Beau" et je ne peux pas le leur reprocher). Dommage. Avec Blanche Neige et sa marâtre, il y a à faire et explorer (Walser l'a déja fait). Sur le mode allusif on a droit ici tout au plus quelques coquineries, l'air de ne pas y toucher: l'attirail SM de la méchante reine et de ses esclaves en catwomen (cage, cuirs et fouets), une blanche neige courte vêtue qui doit se faire respecter par ses nains, la cruelle traque collective de la biche dans la forêt. On s'arrête là dans le genre émoustillant et tant mieux, on en a soupé avec Ann Liv Young. Je goute une consolation en conclusion, comme dans la pièce d'Howard Baker la reine danse dans ses petits souliers chauffés à blanc, et nous replonge un court moment dans les obscurs mystères du conte. Mais peu importe, comme avec Pietragalla (plus audacieuse à tout prendre) presque tout le monde est content. Pas moi, non par tant par snobisme que parceque sans doute m'ennuient les histoires trop évidentes.
C'était Blanche Neige d'Angelin Preljocaj au Theâtre National de Chaillot.
photo de JC Carbonne avec l'aimable autorisation du théatre de Chaillot