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chaillot

  • Bain de jouvence

    Cette salle si grande à Chaillot souvent pèse de trop d'attente, ce plateau que trop de danseurs envahissent comme des armées, et des souvenirs hérissés de déceptions incrédules. Mais ce soir je suis comme ce petit garçon qui à la sortie de la pièce de Carolyn Carlson confie à sa mère: " J'ai bien aimé mais j'ai rien compris". Je suppose qu'il a ignoré ce qui était ce soir le plus oubliable et le plus explicite: les récitatifs explicatifs-des développements durants- pour plutôt s'abandonner aux sensations, s'y plonger comme dans l'oubli. "Eau": c'est le titre et le thème, cet élement est présent plus dans le souffle et l'esprit que par allusions précises. Même si l'eau se dresse en arrière-fond, captée dans les images d'Alain Fleischer, miroir de nos rêves. Et devant juste un petit bassin, presque à deviner: une Vénus y naît. Les poncifs et recifs évités, les danseurs d'abord heurtent des gestes saccadés, loins d'un symbolisme trop évident.

    eau 13 © Frédéric Iovino.jpg

    Poursuites, énergie, transformations, méditations, les lignes courent inattendues. On lit que la création fût partagée avec les danseurs- beaucoup de pièces s'échouent ainsi- mais ici leurs mouvements se prolongent ensemble. Les répétitions des sons m'appaisent, les couleurs me réconcilient aussi. Je pense aux musiques d'Alain Kremsky. Je crois reconnaitre Jodorowsky. L'imaginaire s'écoule, s'écume. Des chevelures ondoient et pleuvent. La pièce me semble- mais pourquoi?-irrésistiblement féminine, fait s'entremêler douceur et aprété, reconciliés en poésie. Le tout me fait renoncer à l'impatience. Apprivoisé.

    Il y a une belle convergence de générosité et d'inspiration entre Carolyn Carlson, le musicien Jody Talbot-flux et reflux, vagues renaissantes, de cordes, piano et vibraphones- et le plasticien Alain Fleischer qui plonge les mouvements en images qui respirent. Alain Fleisher est également photographe, écrivain. Ce qu'Isabelle(1) écrivait à propos de son roman pourrait tout autant être inspiré par ce que je vois ce soir: Fleischer navigue dans cette immobilité, en quête d'une étoile remontée du fond des eaux, et, « dans ce silence, l'histoire ne cesse de se dérouler à grand fracas. ». Ainsi, celle-ci, arrêtée, est explorée par cet accroc au tissu du temps par lequel s'écoule ce qui les lie alors l'un à l'autre dans le jeu muet des âmes : l'attente, l'interrogation, la soumission, l'abandon. Architecte de l'eau, archéologue de l'intervalle, de l'entre- deux, des flux souterrains de l'âme au monde, du passage d'un monde à l'autre, Fleischer voyage au cœur de l'ambivalence et de l'immersion dans les profondeurs de l'autre. Il distille, précipite, laisse sourdre, goutte à  goutte, submerge, inonde, ralentit, évapore, mélange. On baigne dans le liquide amniotique de sa pensée, dans l'humide douceur des plaies, dans la moiteur du sexe. (1)

    C'était Eau de Carolyn Carlson, musique de Jody Talbot, images et dispositif d'Alain Fleischer, au Théatre National de Chaillot.

    Guy

    (1) Isabelle Vieville Degeorges dans La Revue Littéraire N°32  (éditions Léo Scheer), à propos de l'Ascenceur d'Alain Fleischer (édition Le Cherche Midi)

    photo de Fréderic Lovino avec l'aimable autorisation du Théatre National de Chaillot

  • Des bêtes avec âmes

    Juste deux conférenciers aux allures de losers, elle hagarde, lui la barbiche assurée. Avec leur réserve d'images, et un retroprojecteur comme dans une salle de sciences nat' poussièreuse. S'y glissent d'improbables gravures enfuies d'un bestiaire de l'absurde et débodent sur le mur. 

    Bestiare animé.jpg

    Ce cours n'est pas magistral quand les professeurs se muent en sujets incertains, deviennent matière à pensée, spécimens de moins en moins sûrs d'eux-mêmes: "il y a une machine dans ma tête qui prend toute la place et je ne sais même pas comment elle marche". Le couple se chahute, s'invective avec une cocasse obscénité, et des noms d'animaux. Mais les mots se jouent d'eux. La science déraille et s'égare, poétique et brinquebalante, devient méthode à réver, à déclasser et à juxtaposer les opposés. Les images sortent de l'écran et de nos cadres mentaux: de drôles de bestioles inattendues, mutantes et merveilleuses, les points de vues renversés et les choses jamais ce qu'elles semblent. C'est poétique et un brin mélancolique, les enfants rient beaucoup. Les mots flous, sans dessus dessous, se dérobent, modelés d'une pâte pétillante et colorée. Ils nous font animaux libres et métaphysiques (comme la girafe: bien au dessus de la physique)!

    C'était le Bestiare Animé de Véronique Bellegarde, d'aprés des textes de Jacques Rebotier, au Théatre National de Chaillot dans le cadre du festival Anticodes.

    Guy

    lire aussi: théatre du blog

  • Des regrets: Blanche Neige de Preljocaj

    Les vrais gens sont heureux: rappels, bravos et ovation, joie et felicité, et pour moi un grand moment de solitude: je me sens cerné. Avec la mauvaise conscience de ne pas avoir aimé, de faire ainsi insulte aux braves gens, rejeté vers l'elitisme, bunkerisé dans le snobisme.

     

    Blanche Neige 5 @ JC Carbonne .jpg

    Mais, malgré toute ma bonne volonté, agacé dès les premières scènes: le grand bal au palais avec tous les figurants, danse de salon avec le roi, les courtisans et la princesse, et même les méchants. Méchants en noir, gentils en blanc. C'est peut-être cela qui me gêne, cette lisibilité organisée à l'extrême, cette narration transparente et aussi le soucis permanent d'en mettre plein les yeux. Dans le même temps je me sens mal à l'aise de reprocher à Preljocaj de vouloir être compris à tout prix. N'empêche, me reviennent les images de shows à Disneyland, aussi explicites: d'autres princesses dans d'autres ballets, et des méchants tout aussi visiblement méchants, avec la différence que chez Disney on peut manger ou lire en regardant. Partant de là, toute cette belle danse, je ne parviens pas à m'y intéresser, je ne vois que le clinquant des costumes de J.P. Gaultier, les beaux décors et les belles diagonales, les effets de fumée, et la maîtrise éprouvée des artifices. Tel le miroir avec les reflets vivants, un vieux truc de music hall, déja usé chez les Marx Brothers et même par Max Linder encore avant. La musique de Mahler est omniprésente, dramatisation redondante, sans respiration. Je vois qu'évidence, et nulle profondeur. Preljocaj pourtant semble s'intéresser à l'exploration des contes et des mythes- je me souviens du Stonehedge d'il y a deux ans- j'attends en vain qu'il cherche la clef pour ouvrir avec moi des portes interdites, me fasse entrevoir des choses troublantes dans l'obscurité de l'inconscient (peut-être suis je le seul à attendre, les autres spectateurs se contentant du "Beau" et je ne peux pas le leur reprocher). Dommage. Avec Blanche Neige et sa marâtre, il y a à faire et explorer (Walser l'a déja fait). Sur le mode allusif on a droit ici tout au plus quelques coquineries, l'air de ne pas y toucher: l'attirail SM de la méchante reine et de ses esclaves en catwomen (cage, cuirs et fouets), une blanche neige courte vêtue qui doit se faire respecter par ses nains, la cruelle traque collective de la biche dans la forêt. On s'arrête là dans le genre émoustillant et tant mieux, on en a soupé avec Ann Liv Young. Je goute une consolation en conclusion, comme dans la pièce d'Howard Baker la reine danse dans ses petits souliers chauffés à blanc, et nous replonge un court moment dans les obscurs mystères du conte. Mais peu importe, comme avec Pietragalla  (plus audacieuse à tout prendre) presque tout le monde est content. Pas moi, non par tant par snobisme que parceque sans doute m'ennuient les histoires trop évidentes.

    C'était Blanche Neige d'Angelin Preljocaj au Theâtre National de Chaillot.

    Guy

    photo de JC Carbonne avec l'aimable autorisation du théatre de Chaillot

     

  • La possibilité d'une pièce

    Est-ce trop? 

    Roboratif sûrement, compulsif, cabotiné, effusionnel, exagéré, long, trop plein même au point d'en écoeurer certains... Mais c'est qu'à la perfection, la forme répond au fond! En substance, au delà des histoires gigognes que l'on ne saurait résumer, la possibilité de la fiction est elle même dans cette pièce remise en question, crée la tension entre vide et accumulation. 

    La Paranoia 3@ Christian Berthelot.jpg

    Il y a pour commencer un prétexte narratif digne du scénario d'un vieux Star trek. Dans un futur lointain et amnésique, les "intelligences" extra-terrestres qui nous gouvernent, exigent de se nourrir de nos fictions. Il faut donc en inventer, sous pression, et à partir de là se téléscopent en un joyeux syncrétisme les références littéraires et artistiques (de Bosh à Philippe K. Dick) et les esthétiques populaires: série B et chinoiseries, burlesque et soap opéra, non-sens et science-fiction, pièges logiques et effets à sensations, sous-marins et détectives privés, miss Venezuela et télé-réalité. Entre les différents niveaux de récits, le jeu en direct et les scènes videos se répondent avec jubilation. Question de survie, les innombrables personnages courent et créent frénétiquement, quitte à en faire des tonnes-il faut lutter contre le vide-, toujours au bord de l'épuisement. On devine la création, celle de la piece, pas seulement celles des pièces dans la pièce, trés collective. Dans cette lutte les uns incarnent les artistes - cet écrivain à succés réduite à se plagier elle-même-, les autres de froids logiciens s'éfforçant d'inventer des fictions combinatoires nourris de modèles mathématiques. Si la parabole est évidente, lorgnant vers notre société en besoins contradictoires de sens et de divertissements, et évoquant les eternelles difficultés de la création, on attendrait en vain des réponses. Les évidences s'effrittent en exacte proportion de leur apparente solidité: ceci par exemple n'est pas une plante, mais juste son idée, et l'on ne peut plus se reposer sur le calendrier grégorien. Cette troupe joue Spregelburd comme elle joue Copi: hilarante, grinçante et travestie, au mépris du bon goût, avec toujours affleurant quelque chose d'inquiet, voire de desespéré. Drôle, virtuose et agaçant, le projet porte en lui même son propre épuisement.

    C'était La Paranoïa de Rafael Spregelburd, m.e.s. de Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier, avec Marcial Di Fonzo Bo, Frédérique Loliée, Pierre Maillet, Clément Sibony, Rodolfo de Souza, Elise Vigier, Julien Villa. Et c'était au Thééatre de Chaillot.

    Guy

    Lire le Tadorne, et Froggy's Delight.

    photos de Christian Berthelot avec l'aimable autorisation du Théâtre de Chaillot.

  • Juste un E-mail à Y.N.G.

    Cher Yves-Noël Genod...

    (Car par où commencer pour raconter le spectacle « Yves-Noël Genod » proposé à Chaillot ? Alors on tâtonne en s'adressant à « Yves-Noël Genod » le metteur en scène).... Donc vous êtes le metteur en scène, mais aussi l'hôte qui tous nous accueille en souriant, coiffure en côte de mailles et bottes emplumées, très content de sa plaisanterie, et vous êtes spectateur aussi, qui s'assoit au premier rang, à égalité avec nous, réjoui de ce que font les interprètes. Une chose au moins est évidente, ces interprètes font sous votre regard ce qu'ailleurs ils ne feraient pas, ou rarement. Est ce pour cela que Kataline Patkai tenait tant, et depuis si longtemps, à travailler avec vous?

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    De même l'expérience de spectateur est avec vous tout spécialement singulière. Vous nous laissez du champ. Votre Hamlet  m'avait excédé une fois pour toute... me laissant libre de m'ouvrir à tout ce qui pourrait suivre. De là à comprendre le comment, le pourquoi... Au moins on se risque à deviner que vous avez travaillé comme certains chorégraphes, exploitant la matière apportée par les interprètes pour la ré agencer en un flux. Pour le reste... Je lis, relis votre blog, votre quotidienne autofiction, mais pour constater que plus vous dévoilez en chair et en verbe, et plus tout cela s'embrouille finalement, comme vu à travers la fumée qui envahit « Yves Noël Genod » (la pièce !). Dans cette pièce, vous faites un peu défaut. Tout juste présent dans le titre, et même plus commentateur détaché comme pour les « Cochons ».  J'avais vu le Feydeau de Sivadier à l'Odéon la veille, et il m'a semblé ce lendemain que votre spectacle commençait là où le Feydeau s'était achevé, la mécanique théâtrale désormais déréglée, tout par terre. Il y a eu un déluge et des morceaux reviennent à la surface. Des visions, des souvenirs, des idées. Par milliers. Dont du Baudelaire, une chanson populaire, un sexe, un dictateur...mais énumérer, ce serait tromper, ou pire, ennuyer. C'est cela: on voit ce qui émerge. Ces acteurs sont comme des naufragés sur la plage entourés de débris (culturels). Libres et nus- plus ou moins- pour jouer une certaine vérité....En tout cas libérés du social et du sacro saint sujet. Dans un lieu à la fois vrai et caché, de béton rugueux et canalisations apparentes, dans l'envers des escaliers du Trocadéro...Puis à la lumière, à la bande son, à la connivence joyeuse d'une pluie de neige factice, à la vue de tous ces artifices complices on comprend que la probable impréparation initiale a accouché d'une grande précision! Je suppose que comme tout un chacun vous avez horreur des comparaisons, mais on pense aussi à la démarche de Rabeux avec son Corps Furieux: peu de mots et le regard tout prés du corps, d'un corps pas forcement glorieux. Mais peut-être l'important n'est il pas ce que vous montrez, mais ce que cela fait de nous...légers ? C'est que l'on se sent très à l'aise, pour juste saisir ce qui est donné- doux, cru et tendre- et même libéré de l'obsession de tout interpréter... . C'est donc irracontable, comme je disais au début, et tant pis. Pendant ce temps l'on renonce même au temps, prêt à accepter les attentes, la fumée et le silence, que tout cela reste éphémère, qu'aprés l'on puisse bientôt même l'oublier, et apprendre à accepter la mort peut-être. En attendant continuez !

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    @ bientôt

    Guy

    C'était Yves Noël Genod, d'Yves Noël Genod, avec Mohand Azzoug, Kate Moran, Yvonnick Muller, Felix M. Ott, Marlène Saldana, installation lumière Sylvie Mélis, installation son Erik Billabert, musique originale et interprétation au piano Pierre Courcelle à Chaillot jusqu'au 6 juin.

    P.S: Cela n'expliquera rien de plus à mes lecteurs, mais puis-je utiliser quelques photos de votre blog?

    photos de Patrick Berger avec l'aimable autorisation d'Y.N.G.

    Lire aussi Télérama, le magazine, tadorne 1 et 2