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carolyn carlson

  • Et pourtant ils tournent

    Carlson/Bartabas: belle affiche. J’attends une rencontre, de la beauté et de l’animalité. Mais la pièce, pour commencer, joue des dualités: opposition entre hommes (très hommes)-ils sont farouches et bruts- et femmes (très femmes)- toutes en robes et cheveux longs. Chevaux et écuyères forment aussi des couples, plus unis. L’espace s’organise d’abord en deux zones, partagé entre danseurs parqués au terme de courses dans un cercle intérieur, et cavaliers et montures qui tournent autour d’eux. La musique tourne déja.

    Pas d’échanges d’emblée entre danseurs et cavaliers, si ce n’est appréhension ou méfiance, aux lisières des territoires ainsi délimités. A l’intérieur, si une histoire est racontée entre danseuses et danseurs, celle-ci est loin d’être tendre. Les distances sont gardées, les rencontres brèves et nerveuses. Les femmes en abandon se jettent d’un seul geste dans les bras de leurs partenaires, portées, repoussées. En tension, sans résolution, ces motifs se répètent.

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    J’en oublie les chevaux et cavalières, qui tournent sans se lasser, comme les danseurs aussi au milieu. La partition de Philippe Glass s’entête en masses sonores et répétitions circulaires, matière à hypnotisme et crescendo.

    Je me sens gagné par le même détachement qui m’anesthésie lorsque que les moyens utilisés tendent à exacerber le spectaculaire. C’était le cas avec Olivier Dubois. Tous les corps se fondent dans le même mouvement aux allures de cérémonial, un ensemble (trop) parfait, et je ne me sens intéressé par personne en particulier, et ni par les chevaux. Les gestes encore sont répétés, amplifiés de corps en corps, la partition à l’unisson. Tout de même me touchent des traces d’émotions, mais d’une nature esthétique, je ne peux m’attacher à des personnages ni à une réflexion.

    Plus tard et pour le meilleur, les territoires s’interpénètrent, des chevaux investissent l’espace intérieur, les danseuses se dispersent autour en de nouveaux cerces de lumières. Les rencontres se produisent enfin, au plus près avec une sensation de danger. La musique est toujours omniprésente, soutient des paroxysmes. Les danseurs forment une sculpture de groupe, bras tendus, répercutée d’échos équestres. Quand des amazones poursuivent à cheval de leurs piques des danseurs en fuite, on devine une revanche des femmes, on peut construire un sens.

    C'était we were horses de Bartabas et Carolyn Carlson, à la grande Halle de la Villette.

    Guy 

    Affiche du spectacle, photo d'Agathe Poupeney

     

     

  • Un Prophète

    Ce qui me fait venir à la Cartoucherie c’est la curiosité, le hasard d’avoir à la fois relu Jean Giraud, et vu « La Montagne Sacrée ». Pour une soirée à la croisée, où se rapprochent les disciplines dans une étrange promiscuité- danse, poésie, musique, peinture-autour de Jodorowsky, qui est un artiste indiscipliné. Quelqu’un à coté d’où on l’attend, surprenant dans la cohérence de ses œuvres et collaborations avec le Mime Marceau ou avec Moebius, de la poésie au cinéma et à la bande dessinée, de la psychanalyse à la magie et au tarot. L’homme charme dès l’entrée en scène, son essence même de charmer. Il parait ne pas avoir oublié d’avoir été un jour acteur, son pas insouciant des années, le sourire dévorant, la barbe enneigée de maitre et la voix rocailleuse, cabot et modeste. Ici sur scène pour bien plus que de lire des poèmes- mais au juste pourquoi faire ? - et l’air de pouvoir tout improviser, être aussi inattendu que notre attente même. Au cœur d’une profusion de sensations, le tout orchestré en liberté par Carolyn Carlson. Sur les tableaux partout les couleurs pleurent, gravitent autour de lui sept jeunesses dans une danse fluide, les musiciens font gémir des ombres. Le tout montre pour commencer plus de liberté que de profondeur, et les échanges d’abord par dessous. Jodorowsky lance des haikus, autant de traits qui touchent et s’évaporent, puis explore l’espace de tout autour, ceux qui partagent la scène. Carlson le tempère, son double sans un mot, moqueuse, son pôle opposé. De son bras elle dessine des réponses, d’un geste esquisse d’autres interrogations. Jodorowky délivre ses aphorismes, ni oracles ni vérités figées. En quelques mots sa voix enfle pour partager la condition humaine, le tragique, la violence et le sacré, le sacrifice de soi pour la quête de l’être. Alors des instants de tension, de gravité. Que soulignent les danses, les musiques et les tableaux en mouvement. Ou la voix s’apaise ironique, pour des instants de légèreté, tout renoncé. Mais aussitôt il renonce aux mots, reconnait leur vacuité pour aller toucher les corps, les corps d’abord et sa voix les caresse. Plus que lui c’est Carolyn Carlson qui semble être la sagesse même, la sagesse muette. Elle le suit, le défie, le cajole, le provoque, le taquine, le sublime et le démystifie. L’aide à rendre au public la sagesse que celui-ci lui prête, pour chacun puisse chercher son chemin. Tout ceci n’étant qu’un rêve, la peinture prête à se dissoudre et la danse oubliée, ni peur du vide, de la vie et de la mort, sans limites, jusqu’à un grand éclat de rire et un tendre pas de deux.

    C'était Poetry Event A partir des haïkus d’Alejandro Jodorowsky, tirés du recueil Les Pierres du Chemin. Danse: Carolyn Carlson, Interprétation Jacky Berger, Chinastu Kosakatani, Céline Maufroid Danseurs du Centre Chorégraphique National de Roubaix Nord-Pas de Calais Avec 7 danseuses du Conservatoire à Rayonnement Régional de la Ville de Paris
    Poèmes Alejandro Jodorowsky, Peintures Pascale Montandon. Au théatre du Soleil avec June Events.

    Guy

  • Bain de jouvence

    Cette salle si grande à Chaillot souvent pèse de trop d'attente, ce plateau que trop de danseurs envahissent comme des armées, et des souvenirs hérissés de déceptions incrédules. Mais ce soir je suis comme ce petit garçon qui à la sortie de la pièce de Carolyn Carlson confie à sa mère: " J'ai bien aimé mais j'ai rien compris". Je suppose qu'il a ignoré ce qui était ce soir le plus oubliable et le plus explicite: les récitatifs explicatifs-des développements durants- pour plutôt s'abandonner aux sensations, s'y plonger comme dans l'oubli. "Eau": c'est le titre et le thème, cet élement est présent plus dans le souffle et l'esprit que par allusions précises. Même si l'eau se dresse en arrière-fond, captée dans les images d'Alain Fleischer, miroir de nos rêves. Et devant juste un petit bassin, presque à deviner: une Vénus y naît. Les poncifs et recifs évités, les danseurs d'abord heurtent des gestes saccadés, loins d'un symbolisme trop évident.

    eau 13 © Frédéric Iovino.jpg

    Poursuites, énergie, transformations, méditations, les lignes courent inattendues. On lit que la création fût partagée avec les danseurs- beaucoup de pièces s'échouent ainsi- mais ici leurs mouvements se prolongent ensemble. Les répétitions des sons m'appaisent, les couleurs me réconcilient aussi. Je pense aux musiques d'Alain Kremsky. Je crois reconnaitre Jodorowsky. L'imaginaire s'écoule, s'écume. Des chevelures ondoient et pleuvent. La pièce me semble- mais pourquoi?-irrésistiblement féminine, fait s'entremêler douceur et aprété, reconciliés en poésie. Le tout me fait renoncer à l'impatience. Apprivoisé.

    Il y a une belle convergence de générosité et d'inspiration entre Carolyn Carlson, le musicien Jody Talbot-flux et reflux, vagues renaissantes, de cordes, piano et vibraphones- et le plasticien Alain Fleischer qui plonge les mouvements en images qui respirent. Alain Fleisher est également photographe, écrivain. Ce qu'Isabelle(1) écrivait à propos de son roman pourrait tout autant être inspiré par ce que je vois ce soir: Fleischer navigue dans cette immobilité, en quête d'une étoile remontée du fond des eaux, et, « dans ce silence, l'histoire ne cesse de se dérouler à grand fracas. ». Ainsi, celle-ci, arrêtée, est explorée par cet accroc au tissu du temps par lequel s'écoule ce qui les lie alors l'un à l'autre dans le jeu muet des âmes : l'attente, l'interrogation, la soumission, l'abandon. Architecte de l'eau, archéologue de l'intervalle, de l'entre- deux, des flux souterrains de l'âme au monde, du passage d'un monde à l'autre, Fleischer voyage au cœur de l'ambivalence et de l'immersion dans les profondeurs de l'autre. Il distille, précipite, laisse sourdre, goutte à  goutte, submerge, inonde, ralentit, évapore, mélange. On baigne dans le liquide amniotique de sa pensée, dans l'humide douceur des plaies, dans la moiteur du sexe. (1)

    C'était Eau de Carolyn Carlson, musique de Jody Talbot, images et dispositif d'Alain Fleischer, au Théatre National de Chaillot.

    Guy

    (1) Isabelle Vieville Degeorges dans La Revue Littéraire N°32  (éditions Léo Scheer), à propos de l'Ascenceur d'Alain Fleischer (édition Le Cherche Midi)

    photo de Fréderic Lovino avec l'aimable autorisation du Théatre National de Chaillot