Pour Xavier Lot, le pepito de Belin a quelque chose de la madeleine de Proust. Mais, dés les premiers mots on est prevenu contre le goût trompeur de la nostalgie. Malgré les saveurs du biscuit, tout n'était pas mieux avant. La pièce, 100% autobiographique, est racontée en habits de ville- en habits de vie- de l'enfance ouvrière à Chateau-Thierry jusqu'à la quarantaine d'aujourd'hui, entre les deux une jeunesse française qui s'ouvre sur la danse et sur l'Afrique. Et la rencontre avec Bienvenue Bazié.
Le ton est sec, vrai, physique. Xavier Lot marche son texte, devant lui pousse une table, la tire, comme tout le poids de ses souvenirs, la renverse, l'escalade, parfois jusqu'à être emporté par le déséquilibre. Sur les points de repères collectifs (avec quelques surprenantes approximations de dates.. -Est ce un effet du flou de la mémoire?- Ce qui amène à faire le constat plus général que le texte gagnerait à être encore travaillé.) se tisse le déroulement de l'histoire personnelle. Le "Et moi, et moi, et moi" s'enrichit de "200 millions d'africains". C'est bienvenu, pour éviter tout enlisement dans le nombrilisme. C'est logique, tant la marche du monde marque toujours l'expérience individuelle. On le sait bien depuis "Je me souviens". Ces évènements sont autant de disparitions d'un monde qui part en lambeaux- ou un monde de plus en plus difficile à lire- la danse se crée en marchant tout au long de ce solo pour redonner du corps et du sens à ces souvenirs. Leur conférer de la beauté. A la répétition sans fin des gestes accomplis par l'ouvrier des années soixante répond celle des exercices interminables du danseur. La danse commence des bras tendus, pour manipuler d'invisibles outils.
La danse aussi se réfléchit. Xavier Lot mène l'exercice biographique avec assez de force et de lucidité pour s'obliger à une reflexion sur son art, sur sa portée. S'interroge sur les nouveaux académismes, les pesanteurs acquises qui entravent ses aspirations à l'envol. Les doutes, les échecs, ne sont pas occultés. Car c'est aussi un constat de la quarantaine, sans auto complaisance, d'une féroce honnêteté. Les souvenirs- si sensibles soient ils- peinent à se reconstruire en un tout, à s'ordonner. Sinon à dessiner un tableau plutôt dépressif, aussi pessimiste que tous les bilans que l'état du monde peut inspirer, sur un fond de mondialisation. Alors que les ex-usines Belin se vident.
Xavier Lot nous fait aussi remarquer que, s'agissant des papilles, la saveur sucrée se découvre dès l'enfance, mais l'amertume à quarante ans. Pas avant. C'est le goût-fort et troublant- qu'Ay Pepito nous laisse dans la bouche.
C'était Ay Pepito! ♥♥♥♥, de et avec Xavier Lot, sur un texte de Ronan Chéneau et Xavier Lot, au Théâtre de Vanves, avec le festival Artdanthé