Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ronan Chéneau

  • Cannibales: à boire et à manger

    523409649.jpgDans le désordre: une déclaration d'amour drôle et émouvante à force d'être perdue d'avance, un salon/espace social (après la salle de bain solitaire et régressive de "Fées"),un plateau blême pour le portrait d'une unième génération perdue, l'élégance des gestes circassiens, une caméra sous la couette, de lassantes énumérations, une immolation par le feu( après le quasi-suicide par noyade de "Fées"), quelques rires, pas mal d'embarras, de spectaculaires acrobaties à la perche, du no-future en boucle, des chansons trop générationnelles, un couple embarrassant à rester planté au micro comme pour un discours de mariage, de belles répétitions de gestes, un peu de danse(juste un peu), trop de mots, mais sans beaucoup expliquer, du ton faux, (comme dans "Fées") des dizaines de flacons de produits de beauté, des longueurs et des bâillements, un rap remarquable, des beaux moments, une fête à tous danser sur le lit mais à laquelle on ne se sent pas invité, un spiderman, des groupes comme des additions de solitudes, des sous-vêtements noir et blancs, une sincérité touchante, de l'angoisse et de la précarité, des clins d'oeil téléphonés, de la jonglerie, des pas brusques et des luttes à la T.R.A.S.H., l'explication de la différence entre la blennorragie et la myxomatose, des projections d'images urbaines, une longue complainte de la gauche désabusée, des cascades en transparences, de la verticalité (après l'horizontalité de Fées), de la déprime à la tonne, une fin surprenante (un espace enfin approprié?)

    Au final, une ambiance: les trentenaires parlent des trentenaires aux trentenaires. On a compris. Et pour les autres?

    C'était Cannibales, ♥♥♥ texte de Ronan Chéneau, mise en scène de David Bobée, au Théatre de la Cité Internationale, jusqu'au 5 avril.

    Guy

  • Fées: que d'eau, que d'eau!

    Qu'il a du mal à être, ce garçon! 

    Lui tout seul- ou lui censé représenter toute la génération née des seventies. Normal, puisque l'Histoire, il y a dix ou vingt ans, se serait arrêtée en route. Depuis ne resteraient que les "à quoi bon"! Ce garçon a du mal à l'Etre aussi, et à 34eb01c99bd0b55c020917fb66e558cd.jpgnaître tout court. Pour mettre en scène cette impossibilité, le lieu introspectif de ce soir n'est pas la chambre, mais la salle de bains. Choix terriblement efficace et claustrophobe, matérialisé en un beau dispositif bi-frontal qui nous enferme entre deux murs carrelés. Avec les miroirs pour s'examiner, la baignoire pour s'y engloutir jusqu'aux origines. Et des cameras miniatures pour des très gros plans projetés sur les murs. Au cours des moments d'introspection post adolescente en très gros plan, on passe à deux doigts de l'examen de l'acné. Tout baigne engourdi et blème dans le vert et dans l'eau, comme dans du liquide amniotique. Cette eau envahit tout, jusqu'à ce que les personnages glissent et perdent pied dans l'onirique en de spectaculaires effets, c'est physique et saisissant. Le monde fait irruption dans cette sphère intime avec deux fées aux sourires inquiétants, les voix de la conscience morale et politique, sur un mode caricaturé. Les gestes troublent ou amusent, la chair humide s'expose entre spleen et sensualité, mais le texte, trop attendu, échoue à créer un lien clair entre ce dedans, et le monde au dehors. Entre le repli sur soi et l'engagement. Ce qui devrait être le sujet même. Faute d'audaces, les mots en restent à s'alourdir comme les lignes brutes d'un journal intime. Quitte à vouloir écouter une voix trentenaire et politique, on sera plus surpris par les propositions de  Nadège Prugnard, ces jours-ci au L.M.P.. On s'est quand même pris de sympathie pour ce personnage mouillé et dépressif, mais on lui souhaite de sortir bientôt au grand jour.

    C'est un jour comme celui-ci, un peu plus tard, un peu plus tôt, que tout recommence, que tout commence, que tout continue.

    Cesse de parler comme un homme qui rêve.

    Regarde! regardes les. Ils sont là des milliers et des milliers, sentinelles silencieuses, plantés le long des quais, des berges, le long des trottoirs noyés de pluie de la place Clichy, en pleine rêverie océanique, attendant les embruns, le déferlement des marées, l'appel rauque des oiseaux de mer.

    Non. Tu n'es plus le maître anonyme du monde, celui sur qui l'hhistoire n'avait pas de prise, celui qui ne sentait pas la pluie tomber, qui ne voyait pas la nuit venir. Tu n'est plus l'inaccessible, le limpide, le transparent. Tu as peur, tu attends. Tu attends place Clichy, que la pluie cesse de tomber.Georges Perec- Un Homme Qui dort. Edition Denoel- 1967.

    C'était Fées ♥♥♥,, mis en scène par David Bobée et écrit par Ronan Chéneau, avec Fanny Catel-Chanet, Abigaïl Green, James Joint, à Artdanthé.

    Guy

  • Ay Pepito!: la madeleine de Xavier Lot

    Pour Xavier Lot, le pepito de Belin a quelque chose de la madeleine de Proust. Mais, dés les premiers mots on est  prevenu contre le goût trompeur de la nostalgie. Malgré les saveurs du biscuit, tout n'était pas mieux avant. La 3169cd4a848f9efd956d11788f1eefdc.jpgpièce, 100% autobiographique, est racontée en habits de ville- en habits de vie- de l'enfance ouvrière à Chateau-Thierry jusqu'à la quarantaine d'aujourd'hui, entre les deux une jeunesse française qui s'ouvre sur la danse et sur l'Afrique. Et la rencontre avec Bienvenue Bazié.

    Le ton est sec, vrai, physique. Xavier Lot marche son texte, devant lui pousse une table, la tire, comme tout le poids de ses souvenirs, la renverse, l'escalade, parfois jusqu'à être emporté par le déséquilibre. Sur les points de repères collectifs (avec quelques surprenantes approximations de dates.. -Est ce un effet du flou de la mémoire?- Ce qui amène à faire le constat plus général que le texte gagnerait à être encore travaillé.) se tisse le déroulement de l'histoire personnelle. Le "Et moi, et moi, et moi" s'enrichit de "200 millions d'africains". C'est bienvenu, pour éviter tout enlisement dans le nombrilisme. C'est logique, tant la marche du monde marque toujours l'expérience individuelle. On le sait bien depuis "Je me souviens". Ces évènements sont autant de disparitions d'un monde qui part en lambeaux- ou un monde de plus en plus difficile à lire- la danse se crée en marchant tout au long de ce solo pour redonner du corps et du sens à ces souvenirs. Leur conférer de la beauté. A la répétition sans fin des gestes accomplis par l'ouvrier des années soixante répond celle des exercices interminables du danseur. La danse commence des bras tendus, pour manipuler d'invisibles outils.

    La danse aussi se réfléchit. Xavier Lot mène l'exercice biographique avec assez de force et de lucidité pour s'obliger à une reflexion sur son art, sur sa portée. S'interroge sur les nouveaux académismes, les pesanteurs acquises qui entravent ses aspirations à l'envol. Les doutes, les échecs, ne sont pas occultés. Car c'est aussi un constat de la quarantaine, sans auto complaisance, d'une féroce honnêteté. Les souvenirs- si sensibles soient ils- peinent à se reconstruire en un tout, à s'ordonner. Sinon à dessiner un tableau plutôt dépressif, aussi pessimiste que tous les bilans que l'état du monde peut inspirer, sur un fond de mondialisation. Alors que les ex-usines Belin se vident.

    Xavier Lot nous fait aussi remarquer que, s'agissant des papilles, la saveur sucrée se découvre dès l'enfance, mais l'amertume à quarante ans. Pas avant. C'est le goût-fort et troublant- qu'Ay Pepito nous laisse dans la bouche.

    C'était Ay Pepito! ♥♥♥♥, de et avec Xavier Lot, sur un texte de Ronan Chéneau et Xavier Lot, au Théâtre de Vanves, avec le festival Artdanthé

    Guy