Ce n’est ni à une répétition, ni à un spectacle, ni un festival, auquel j’assiste aujourd’hui, mais à des rencontres entre professionnels de la danse. Une vingtaine de compagnies, connues ou moins, présentent durant deux jours, à la Maison des Arts de Créteil, leurs créations à des programmateurs, en présentent plutôt des extraits. Pour la troisième année le CDC du Val de marne m’invite aux Plateaux, j’en suis content, attiré ici par la variété des propositions, m’y sentant toujours pourtant comme un peu clandestin, au milieu de professionnels. Il y a là plus d’une centaine de programmateurs, de représentants de lieux de spectacles et de création, qui viennent quant à eux autant pour le travail que pour le plaisir de la découverte. Je leur souhaite d’arriver à concilier les deux. Le rythme est soutenu. Afin de permettre à un maximum de compagnies d’être vues dans le temps par définition limité de la manifestation, ce sont des échantillons- idéalement représentatifs- des pièces qui sont proposées. Des teasing de 10 à 30 minutes, c’est quitte ou double. Cette contrainte est d’évidence réductrice pour le chorégraphe, et souvent frustrante pour le spectateur. Mais la curiosité est éveillée, tant les propositions, sur le fond et la forme, sont variées. L’essentiel est que cette louable initiative du CDC permette à des compagnies de gagner ici en visibilité. Se crée ici pour quelques heures tout à la fois un lieu de création et une place de marché, un lieu d’approches, d’étonnements et de rencontres. On devine que réputation et notoriété se construisent sans doute sur un plus long terme que ne souhaiteraient ici les artistes.
J’arrive pourtant en terrain connu. Je retrouve Veronica Vallecillo pour Redressage, Redresser, Redresse-toi. Et me retrouve saisi par l’intensité déjà vécue qu’il y a trois ans à Point Ephémère, gagné par des sensations lourdes déjà ressenties alors, par la même étrangeté. Le sol semble trembler sous le martèlement guerrier des talons de la danseuse, les vibrations s’insinuer dans mon inconscient, accompagnées par de graves chuchotements, et par le grain palpable de l’image et du son. Le noir domine, déchiré d'écarlate, l’espace dessiné libre pour des rêves troubles. Au fond le paysage s’enfuit, des banquises s’effondrent. Au centre, farouche, la figure féminine: corps raide et en défi, corseté en robe noire, voile et bottines, en pleine flamenco attitude. Entrainé dans un vertige érotique, dans une danse post-apocalyptique, entretenant avec les comparses vêtus de collant noirs et munis de trousseaux de clés des relations réversibles et ambigües. Fouets, baisers et étreintes avec la mort rouge: les scènes se chargent d’autres images fortes et fantasmatiques….et la création en reste là, inachevée, pour le moment en recherche de budget. Impossible d’oublier ici que la dance est aussi une activité économique, dont on connait la fragilité des paramètres (faiblesse des recettes de billetteries, complexité des soutiens publics, grande richesse de l’offre créative, précarité de la situation de beaucoup d’artistes…). En l’absence de financements beaucoup de créations restent longtemps à l’état d’ébauches, je souhaite que cela ne soit pas le cas de celle-ci.
La jauge est ensuite annoncée quasi complète pour Claudio Stellato, je m’efface pour laisser plus de place aux pros. Louves, de Christian Ben Aïm, ensuite me laisse perplexe. Au moins je ressens avec évidence un déluge inquiétant de piano et percussions. Il faut d’abord s’habituer à la féminisation du danseur, qui, dans ce songe de fées, se rêve petit chaperon rouge puis grand méchant loup, se débat dans sa robe. Le suivre, alors qu’il se déplace par mouvements paniqués, puis lorsqu’il évolue de personnage en personnage, sa hache brandie, du comique au menaçant. Le temps me manque, sans doute, pour m’adapter à ces changements de modes. Pourtant, il semble que la création-qui sera reprise cette saison à Artdanthé- aie été dés le départ prévue pour ce format: c’est l’exception qui confirme la règle.
Au retour du déjeuner Bruno Pradet, avec Des Cailloux sous la peau nous emmène déambuler aux quatre coins de la Maison des Arts. Afin de présenter en continu les différentes propositions des compagnies, une demi-douzaine de lieux du bâtiment du M.A.C. sont utilisés tout au long de la journée. Ce chorégraphe ci a choisi de mettre en mouvement avant tout les matières: sable, lumière, fumée, images projetés… Aux danseurs de s’y confronter, de glisser leurs corps dans ces environnements. A défaut de pouvoir en vingt minutes nous guider dans la profondeur, Pradet nous place dans un état de jubilation enfantine, impressionnés par le renversement des sensations et l’inventivité des effets. Et tire bien son épingle de ce jeu de démonstration accéléré.
Pas le temps de souffler- tout juste de saluer des visages connus, voire des personnes moins bien identifiées dans la cohue et qui ne m’ont peut être plus reconnu non plus, ou de reconnaitre d’autres personnes pour de bon mais sans avoir le temps de les saluer, et d’abord ne pas reconnaitre Veronica Vallecillo (qui sur scène était masquée)-il faut aller ensuite découvrir Palle Granhoj (Danemark), qui présente un extrait de 2men2mahler. Ce duo masculin joue d’abord drôlement des muscles, et à cache-cache avec la nudité, dans une suite de gags qui trouveraient leur place dans une salle de gym…mais la pièce passe progressivement du comique à la subtilité, les rapports entre les deux personnages gagnent en intensité et incertitudes… Leur relation muette semble riche et annonciatrice de futurs développements. Mais à dire vrai, ma concentration commence à se perdre, plus par l’effet de ma propre fatigue qu’à cause de la pièce, sa douceur permet d’agréablement m’évader ailleurs. Cette proposition est ouverte. Si j’étais programmateur, je voudrais en voir plus, mais plus tard peut-être.
La proposition suivante commence avec du retard, de tels aléas techniques étant la rançon de cette course en flux tendu, et la transformation de tous les espaces d’ici en lieux de représentations. Toucher terre de Laura Nercy me lasse très vite, la fatigue y est peut –être pour quelque chose. C’est la cinquième proposition vue aujourd’hui, à chaque fois un effort d’adaptation à un univers différent, un exercice d’humilité. Mon empathie d’assèche, et le public de professionnels qui m’entoure me semble plus difficile et retenu qu’un public d’amateurs. Mais j’aurais eu, confronté à cette pièce dans un autre contexte, des réactions similaires: confinée sur une chaise la proposition me parait trop statique, introspective et auto-centrée, sans la grâce ou le mouvement qui pourrait la transcender. Ni la subtilité de la proposition d’avant, ni le spectaculaire de la précédente. Gros coup de fatigue et saturation, je sèche INAWTP de Kasja Sandström. Brève évasion dans le réel, dans un rade de la dalle-esplanade de Créteil, lieu vaste, vide, blanc, plat et venteux entre Hôtel de Ville, Commissariat, Chambre de Commerce, Préfecture et Maison des Arts et de la Culture. J’admire les pros, qui pendant ce temps enchainent sans sourciller (mais peut-être certains font-ils l’école buissonnière ?).
Retour à la M.A.C. Grand hall central encore désert, mais dans la fosse quatre jeunes femmes plus nues qu’en intégral, bronzées et huilés, aux physiques calibrés au poil prés selon les canons du jour, qui s’étirent alanguies sur un tapis de danse. Réveil instantané. Il s’agit de la mise en place de la prochaine performance, Broken Glass Performance d’United-C (Nl). Le show s’enclenche sans heurts ni ruptures à la sortie du public de la salle d’avant. Les belles évoluent en frôlant au sol des verres cassés, pour donner le sentiment de pouvoir se blesser durant l’exercice. Elles caressent les tessons du bout des doigts de pied, lentement se retournent, se fraient horizontales des chemins des les verres coupants en glissements charnels, étirements sensuels et pivotements luisants. Les verres tintent aussi agréablement. Personne ne m’en voudra de révéler que les belles s’en sortent indemnes, les amateurs de sang ou de coupures en restent pour leurs frais. A dire vrai, je ne parviens pas à avoir peur pour elles. Les danseuses semblent plus exposées aux regards qu’au danger (sinon au niveau symbolique). A défaut d’être vraiment intense ou cruel, c’est « plastique » et visuellement généreux. Et très lisible à la fin d’une journée bien remplie. A suivre: une autre création de la même série dans quelques mois à Artdanthé (décidément).
Ensuite, T.R.A.S.H. (Nl) délivre avec T+Bernadette ce qu’il faut, à 18H00 passé, d’adrénaline. Je connais leur style (et n’ose plus dire d’où), on ne peut plus physique et nerveux, on craint plus pour eux que pour les danseuses d’United-c. Courses et saccades, gestes tendus, pendus, tremblés, équilibres pénibles, corps qui se trainent et se heurtent, se saisissent et se culbutent cris et tremblements, agitation extrême, le sol en est secoué. Et un violoncelle est là pour taper sur les nerfs. L’Il et l’Elle du duo changent souvent de rôles et de costumes, mais je ne sais lesquels. Si je ne comprends rien à ce qu’ils disent, je goute à de belles fulgurances. J’en sors en n’ayant rien découvert de plus: ni conquis ni déçu.
Je commets une dernière erreur, aller voir, le regard épuisé, la représentation publique de Mais le diable marche à nos cotés d’Heddy Maalem mon regard épuisé. La pièce est nerveuse et intense, situé dans un désert aux couleurs rouges traversé de migrations inquiètes, la musique entêtante, le tout est trop oppressant, je ne suis plus, après cette journée, armé pour affronter cela. La rencontre n’a pas lieu. Les plateaux continuent le lendemain, ouverts au public. pour des raisons personnelles je ne peux assister à cette seconde journée et n’entend tirer ni bilan ni conclusion de la première. C’est un voyage express dans un paysage contrasté et morcelé, avec d’étonnant aperçus, un paysage modelé par les différents artistes, qui me donne envie d’encore marcher et découvrir. Sans règles, ni tendances lourdes qui se dégageraient, ni directions partagées: tant mieux.
photo 1 avec l'aimable autorisation de Véronica Vallecillo
photo 2 avec l'aimable autorisation de United-C