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  • Fragments, grouillements, observations

    Dans sa nouvelle pièce, Sofia Fitas s’efface. Elle s’efface en tant que Sofia. Comme lors de la pièce Que Ser découverte l’an passé, les spectateurs n’ont pas l’occasion d’apercevoir son visage. Mais alors que Sofia nous apparaissait dans son entièreté verticale dans Que Ser, même si c’était uniquement de dos, elle ne livre dans cet Experimento 3 que des bribes d’elle-même. (dans l'imprévisible, obstinée, continuité d'Experimento 1 et d' Experimento 2)

     

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    Pour ce faire, elle s’impose la contrainte de se présenter emballée dans un immense sac plastique ! Nichée ou plus certainement empêtrée dans ce film noir, souple et informe, elle fait face à la difficulté de se mouvoir, paradoxe de danse.  Emergent du sac des portions de corps: au début un bras, rejoint rapidement par un autre, des extrémités de bras ensuite, ce qu’on appelle doigts, d’autres extrémités plus tard, celles des pieds, et aussi des cuisses, un genou, un dos. C’est un corps désagrégé qu’il nous est donné de voir. (Un autre ordre devient possible, un précaire équilibre). Le corps découpé en morceaux disparaît en tant que corps pour laisser la place à des abstractions plastiques que nous aurait livrées un peintre ou un sculpteur. Des abstractions organiques qui rappellent parfois les formes inventées par Jean Arp ou Salvador Dali, ou évoquent aussi un bouquet végétal d’où se dressent, si on y prête attention, d’étranges tiges qui ressemblent à des doigts humains. Des abstractions géométriques, quasi constructivistes, de carrés, d’ellipses, d’angles. (Une géométrie de l'étrange)

    L’humain a disparu de la scène. En quelques séquences, l’abstraction se métamorphose à son tour en évocations animales.(Ces grouillements m'inquiètent). Les formes issues du sac s’assemblent en d’étranges coléoptères rampants dont un représentant menaçant finit par s’échapper pour se réfugier dans une autre poche plastique posée sur le devant de la scène et y disparaître définitivement, marquant ainsi la fin de la pièce. 

     

     

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    Sofia Fitas joue avec ses formes et tel un sculpteur, elle y applique avec lenteur tout un jeu de forces, de tensions et de torsions invraisemblables dans un atelier qui n’a plus rien d’humain. 

    Pour accompagner cette prestation, une bande sonore mêle des sons indistincts où à tout moment l’atmosphère de sons urbains ou industriels peut s’entendre comme un bruit naturel de vent ou de vagues.  La lumière en clair-obscur est parfaitement au service du propos en privilégiant l’éclairage pointu de la portion de corps présentée plutôt que l’illumination de l’ensemble. 

    C'était Experimento 3 de Sofia Fitas vu à la Briqueterie, dans le cadre de la biennale de danse de Val de Marne

     François (et contrepoints en italique de Guy)

     

    Photos avec l'aimable autorisation de la compagnie Sofia Fitas

     

  • Le rouge et le blanc

    Pourpre revient à La Loge cette semaine, à partir de mardi (rediffusion du texte du 2/6/2012). 

     

     

    Il y a ce soir deux femmes, deux personnages, deux archétypes, deux corps, deux sensations…

    Un corps en chairs, rassurant de rondeurs, et un corps femme mais frêle, inquiet. L'un des personnage qui sur-joue, force les codes surannés du burlesque, l’autre qui s’aventure muet aux limites, ob-scène et hors-champs: sa trajectoire tend vers l’asymptote d'un impossible dévoilement.

    Il y a la lumière rouge qui enveloppe, aussi les flashs qui aveuglent, blancs.

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    Apparaissent un corps paré, et un corps nu: avec d’un coté une surcharge d’accessoires qui font diversion –bas noirs et frous-frous, trucs en plumes, caches tétons, portes-jarretelles... -, de l’autre une robe blanche, léger tissu qu’elle relève sur sa nudité crue. On entend sur un tourne disque d'avant The man I love, Blue reefer blues, et maintenant à la guitare des décharges electriques et boucles lancinantes, intemporelles.

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    Ici le tiède, là le glacé (ou le brulant).

    Soit des effeuillages de dentelles qui se dérobent soulignés de clins d’œil coquins, sinon l'obsession d'un regard fixe et impassible, un mouvement lent qui s’ouvre et s’offre sans retour. D’un coté de l’aguichement, de l’autre un déchirement. Soit l'art de la feinte, du simulacre, ou un geste d’’aveu et de défi, dans l'absolu abandon le violence se retourne.

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    L'objet, et le sujet.

    Il y a un corps qui joue au plus fin sur le terrain du regard et du pouvoir masculin, l’autre qui provoque hors des règles, suit son propre désir jusqu'au bout.

    ... quand le décor tombe, elles se rencontrent.

    C’est Pourpre, un spectacle de Christine Armanger, encore ce soir à La Loge.

    photos avec l'aimable autorisation de la compagnie Louve

  • le Péril Hystérique

    Rediffusion de la chronique du 17/8/2009, à l'occasion de la reprise de la pièce au théatre 13 dans le cadre du programme Grand Guignol.

    « Ce n'est pas la prison qu'il faut à ces malheureuses, c'est le cabanon !» Va pour l'humanité, du moment qu'on les enferme... Car ces femmes sont dangereuses, sujettes à la « folie circulaire »,meurtrières, corruptrices, perverses, lesbiennes pour ne rien arranger, accros à la morphine et à l'opium. Des maîtresses qui règnent sur une « école du vice»-comprendre un pensionnat- fréquentée par les milieux les plus huppés de Versailles, donc- forcement- les milieux les plus dégénérés.... Le discours sur la moralité et la décadence que tient le médecin des « Détraquées » est de tous temps réactualisé et repété, avec ses fureurs et ses invariants. Mais délivré avec ce langage qui fleure bon le début de siècle d'avant (les protagonistes ont « horriblement mal aux nerfs »), ce discours nous semble très transparent, de même que nos naïvetés contemporaines- concentrées en leurs survivances artistiques- sûrement éclateront aux yeux de nos descendants.

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    photo de Sarah Preston avec l'aimable autorisation de Frederic Jessua

    C'est un étrange objet théâtral, millésimé 1921, qu'on a la bonne idée d'exhumer cet été, avec le rien de distance narquoise qui suffit à le remettre en scène. Curieux texte même dés le départ que ces « Détraquées »: un grand succès à l'époque- accompagné d'un petit scandale- dans le genre grand guignol, avec donc ce qu'il faut de sous entendus poisseux, d'ambiance cauchemardesque, d'effets sanglants, d'érotisme de dortoirs et de porte- jarretelles, le tout conclu par une moralisation appuyée... mais la piéce fut écrite avec la collaboration-clandestine-du docteur Joseph Babinsky, éminent neurologue, inventeur du test qui porte son nom et élève préféré de Charcot. Soit la surprenante alliance du théâtre à sensations et de la Faculté de médecine, réunis pour nous mettre en garde contre le péril hystérique. La folie étant avant tout un fléau féminin: pour s'en rappeler on peut aller se recueillir, à l'entrée de l'hôpital de la Salpetrière, devant la statue du bon docteur Pinel, "bienfaiteur des aliéné(e)s", sa main magnanime posée sur la tête d'une folle reconnaissante, allongée en chemise à ses pieds.

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    photo GD (remerciement à Catherine Rihoit)

    Ce n'est sûrement pas cet aspect moralisateur- pour le moins ambiguë- qui a sucité la fascination André Breton: le surréaliste écrivait dans « Nadja » son « admiration sans borne pour la pièce": « la seule œuvre dramatique dont il voulait se souvenir ». Sont-ce ses proximités de situation avec les phantasmes de Breton, ses troubles non-dits et ellipses sur les interdits, qui ont sauvé l'oeuvre de l'oubli? Ce n'est pas grace à sa seule valeur littéraire, il ne s'agit pas quand même pas de « la ville dont le prince est un enfant ». Qu'en faire aujourd'hui? Difficile aujourd'hui de considérer les échanges fievreux de la directrice Mme de Challens, sa maîtresse Solange, et la jeune et docile Lucienne, en formulant le diagnostic clinique de Babinsky. Alors les regarde-t-on avec avec les yeux écarquillés, voire complices, de Breton? 

    Plutôt, avec une incrédulité qui va croissante, on est surpris par la crudité des situations, suggérées sans que la mise en scène s'oblige à grossir le trait ni à les moderniser. C'est astucieux, le texte nous laisse voir de lui-même ses exagérations. Nous lisons entre les lignes, devinons avant les personnages où gît l'infortunée Lucienne, tout en critiquant ironiquement l'idéologie présentée, nous attendons le comment de l'inéductable conclusion. Le décor est sage et réaliste, les effets de grand guignol sont tels quels assumés-quoique parcimonieux, la mécanique dramatique reposant plutôt sur l'attente-: cris dans la nuits, lumières inquiétantes, sang et évanouissements. Les acteurs et actrices (plus jeunes que les rôles) restent impeccablement impavides, sans tomber dans le piege de la caricature. Comme pour nous proposer soit d'y croire quand même, soit de rire des procédés eux-mêmes. C'est donc très drôle, à la manière d'un film d'horreur, justement à force d'outrance, et nous laissant dans l'ambiguité, voyeurisme détourné, jusqu'à refouler tout ce qu'il y aurait d'insoutenable dans l'intrigue, si on la prenait au sérieux.

    C'était Les détraqués d' «Olaf »(Joseph Babinsky) et Palau mis en scène par Frederic Jessua au Cine 13 théatre, en alternance jusqu'au 29 août 2009 dans le cadre du festival de Grand Guignol : Ca butte à Montmartre.

    Guy

    Lire le texte de la pièce, ici. et à propos de Nadja et des détraquées, ceci.