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  • L'homme est un chien pour l'homme

    En ce moment au théâtre des bouffes du nord (rediffusion de la note du 9 mars 2013)

     

    Grrr ! Les chiens ont retrouvé de leur mordant. Est-ce de s’être repu de chair humaine à la fin du précèdent opus? C’est sans doute de recentrer le spectacle, sans en sacrifier la réjouissante imprévisibilité, autour d’un sujet actuel et cruel: les dérives de certaines officines en développement personnel. Place aux nouveaux petits maitres en mieux agir et mieux être. Training en virilité ou féminité (« Etre femelle donne des ailes »), thérapie par la grammaire, répétition d’entretien d’embauches... Peu importe le thème, il ne s’agit ce soir que de contrôle, que de rapports de pouvoir. Chez les animateurs la bienveillance de rigueur n’est qu’une bienveillance de façade. Les participants, tout en demandes, ridicules et fragilités, pathos pleins à déborder, deviennent rien de moins que des chiens à dresser, ploient ou se cassent lors des exercices auxquels ils se soumettent. Les corps souffrent asservis à ces injonctions paradoxales: sois spontané! Plus sur de toi, plus sexy, plus calqué sur le modèle idéal, sois toi et un autre…

    Se dessine un traité de la manipulation sociale bien plus riche et efficace, jouissif, que dans bien des pièces « sérieuses ». Cet absurde poussé aux extrêmes oppresse les personnages tout en exacerbant le comique des situations. (Aparté personnel: suis-je sensible à ce sujet en raison du souvenir toujours incrédule du jour ou un formateur en techniques commerciales tenta vainement et hystériquement de me transformer en mannequin-vendeur en une heure chrono (garanti ou remboursé), tout en tentant me faisant avaler un peu de bouddhisme de pacotille? )Je préfère, et de loin, la thérapie par le rire proposée par les Chiens. Ce soir la situation ne manque pas de sel, sachant que les scènes sont nées d’improvisations collectives. Les acteurs sont libres mais les personnages sous influence, placés face à des propositions de jeu impossibles. Il me semble que beaucoup d’entre eux n’ont jamais aussi bien joués (poussés dans des zones d’inconfort?). Mais aucun réalisme ici, l’illusion comique est maltraitée, hachée par de brusques ruptures, Le délire est poussé à son comble dans l’hilarante thérapie par la recherche de l’enfant idéal, où la princesse revit son conte de fée avec cui-cui, lapinou et le prince charmant avec une séance de touche-pipi d’un mauvais goût réjouissant. Double occasion, de suggérer jusqu’où va la régression dans la vraie vie, et de montrer jusqu’où sur scène on peut encore aller trop loin.

    Et surprendre toujours, avec ses sauts muets, indispensables, qui nous projettent sans préavis dans d’autres espaces temps. Sans rapports évidents entre eux, toutes conventions battues en brèche. Cet ailleurs est superbement cinématographique (autant que le titre à la Pialat), sur un mode tonitruant: l’accueil avec un jeu de boules sur le plateau en terrain vague, la réinterprétation en plus salace encore du duo Ike & Tina… ou plus suggestif : la dérive d’un couple vu de dos (mais leurs chiens au premier plan), une scène en voix off. Autant de belles respirations. Les chiens rêvent aussi. « Quand je pense qu’on va vieillir ensemble » : c’est une invitation pour nous à durer avec eux, avec cette maturité dans l renouvellement.

     C'était Quand je pense qu’on va vieillir ensemble du collectifs Les Chiens de Navarre, vu au théatre de Vanves.

     Guy

     

    Quand je pense qu'on va vieillir ensemble - teaser from Théâtre des Bouffes du Nord on Vimeo.

     

  • Sauvages

    Jeudi est à nouveau joué jeudi prochain à Micadanse dans le cadre du festival ZOA (du 4 au 10 octobre, aussi avec Eva Klimackova, Mohamed El Khatib, Malika Djardi Muriel Bourdeau). Voici ce que j'écrivais le 24 mai dernier à la création de la pièce.

    Corps juste de glaise, elles s’étreignent. Entre ces deux pas même l’espace pour glisser une hésitation, ni la plus mince des réserves. Des déesses instantanées. J’ai rarement vu sur scène des corps si proches, en leur harmonie, comme avant toute différentiation sexuelle. Jumelles, elles se découvrent par gestes ou se confortent, intenses et apaisées pourtant. Car innocentes? Dès lors tout semble libre, beau et possible. Exit les Juliettes de la version de travail vue au Génrateur, et bienvenue les Eves de bien avant, ici surtout sans serpent. Le propos est épuré, la danse resserrée et généreuse, et il ne s’agit pas ici d’une leçon de philosophie, juste un cadeau, pour rêver. A l’assaut d’un portique- comme un clin d’œil ironique à un certain monolithe- elles s’y hissent et s’envolent comme des anges couverts de poussière et de boue. Peut-être nos corps sont-ils ainsi, espiègles affamés et curieux de tout, avant un jour de s’alourdir, avant de tomber.

    KATALIN PATKAÏ - JEUDI from Rencontres chorégraphiques on Vimeo.

    Jeudi de Katalin Patkaï avec la collaboration d'Ugo Dehaes, dansé par Katalin Patkaï et Justine Bernachon, le 18 mai à la Parole Errante dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine saint Denis.

    Guy

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  • Mais ça c'était avant

    Alors que le spectacle est rejoué au théâtre de la cité internationale à partir du 7 octobre 2014, je rediffuse cette note du 22 décembre 2012

    Dark Side of the Moon, je l’ai quant à moi découvert adolescent à la fin des seventies, à juste à quelques années de distance de sa création, pourtant c’était déjà de l’histoire ancienne. L’éruption punk avait dressé une barrière, ou le temps alors passait plus rapidement. J’écoutais l’album comme une pièce de musée, comme un disque de Stravinsky, ou de Duke Ellington, couches par couches. Beau et fascinant mais rien de vraiment vivant. Et depuis cela n’avait plus bougé.

    Pourquoi assister à cette recréation, aujourd’hui, au lieu de tranquillement réécouter le cd dans son fauteuil? Heureusement, et contrairement à ce que la feuille de salle laisse à penser, il ne s’agit pas d’un concert de tribute band. Comme il en existe des dizaines, qui imitent avec application Pink Floyd, Stones, Genesis et consorts, jusqu’aux light shows et costumes de scène, tournent sur les plages l’été, même jusqu’à l’Olympia. A l'instar de certains survivants de luxe, condamné à s’imiter eux-mêmes, notre époque ne sait pas trop quoi faire de ces icones qui n’étaient pas censées vieillir (pour faire mentir Pete Towshend et Roger Daltrey). Ceux des Beachs Boys qui ont échappé à la picole et au cancer se reforment cette année. Vainement, Brian Wilson ayant déjà enfin extrait Smile, ou son reflet, de ses souvenirs embrumés. Paul Mac Cartney, silhouette juvénile et toujours basse violon hoffner, enchaine concerts Beatles à la note près (mais il faut être juste et rappeler qu’il peut encore surprendre). Que faire de toute cette nostalgie, ces déferlantes sentimentales, ce mythe de la fontaine de jouvence? J’avoue pour ma part une faiblesse pour les époques que je n’ai pas connues, pour le voyage dans un passé qui n'est pas le mien. Comment résister à la tentation de la dernière chance: gouter à ce qui reste encore de vie dans les performances de ceux qui ont un jour changé ce qu’on imaginait pouvoir écouter? Mais les grands du jazz, sauf Sonny Rollins et une poignée, ont déjà succombé. Où a disparu la suite? Le problème est de craindre que le vocabulaire musical des genres populaires (Rock, jazz, pop, soul, etc...) ne se soit construit et figé au milieu des seventies. Ensuite, que des retours aux sources ou des voies sans issues. De plus jeunes que moi écriront l’histoire autrement. Mais faut-il s’habituer à voir se construire un répertoire de ces musiques populaires, dans une logique de la conservation ?

    En déjouant cette logique, d'une distance subtile, Thierry Balleste prouve qu’un projet peut en cacher un autre. A lire distraitement l’argumentaire, on s’attendrait à l’album joué à la note prêt. Rien n’est moins vrai. Second regard à la feuille de salle: il s’agit de plutôt de retrouver les sons d’origine, ceux que Pink Floyd une fois l’album achevé s'avérait incapable de reproduire sur scène. Réinventer les sons analogiques, avec orgue Hammond et cabine Leslie, caisse enregistreuse et réveils, vieux synthétiseurs: Moog, VSC3, et tous les moyens du bord. Le résultat n’est qu’un point de départ. Le pari est lieu réussi, de retrouver la force émotionnelle de l’album, celle des vocalises de the Great Gig in the Sky, cette tonalité tantôt lyrique, tantôt amère, avec tempêtes et accalmies. Formellement tous les morceaux de l’album sont bel et bien joués, avec les bruitages en directs. Mais la haute fidélité est heureusement détournée. Belle introduction blues à Money, saxophone qui brille par son absence, remplacé par la guitare ou la basse. Ironie: un vrai revenant des seventies, Klaus Blasquiz (chanteur historique de Magma) s’est éclipsé après les premiers concerts pour laisser sa place à un jeune. Surtout les variations electro-acoustiques interprétées par les deux joueurs de synthétiseurs prennent une nouvelle ampleur, avec une audace qui dépasse celle de l’original. Pour prendre les accents d’une vraie création. Derrière les silhouettes de Dave Gilmour, Richard Wright, Nick Mason et Roger Waters se cache celle de Pierre Henry. C’est la face cachée du projet. Sous le prétexte, sentimental ou commercial, de la commémoration, se révèle l’opportunité de créer une musique inédite, à la fois populaire et aventureuse. L’ambiguïté est perceptible dans la mise en scène: autour des 9 musiciens un encombrement scénique bien préparé, qui évoque plus le fouillis d’un studio que le dispositif spectaculaire d’un concert, avec une profusion d’instruments, claviers, et autres accessoires. Des écrans ne glorifient pas les musiciens mais soulignent l’étrangeté des instruments. Seul pur accessoire visuel, un magnétophone tourne à blanc pour réaliser un enregistrement fictif, mais la musique vie et meurt librement. Je demande à Thierry Balasse quelle autre reprise il aimerait réaliser sur scène: la Messe du temps présent.

    C'était La Face caché de la lune par Thierry Balasse au Théâtre de la cité internationale jusqu'à samedi.

    Guy